paysage paysage Steve@Masuma baobab lions zambèze

Mission Le Pic Vert
projet Mares de Hwange

Parc National de Hwange (Zimbabwe)
8-21 novembre 2016

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Page du projet - Mares de Hwange - Adoptez une mare au Zimbabwe !
Rapport de mission 2016
Rapport de présentation du projet drone (2016)
Journal de mission Hwange 2013
Journal de mission Hwange 2011
Journal de mission Hwange 2009
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Journal de mission


à l'usage des copains et des curieux imprudents

Prologue –
A l’origine de ce voyage, le projet Mares de Hwange du Pic Vert, qui a maintenant cinq ans. Le partenariat entre Le Pic Vert, initiateur et coordinateur du projet, la fondation Le Pal Nature qui assure l’essentiel du financement, et Bhejane Trust (BT) association zimbabwéenne de défense de la biodiversité, a permis à ce jour d’installer six pompes solaires sur les mares du parc national de Hwange dans le cadre d'un programme de soutien à la biodiversité du parc.
La mission avait pour but, d’une part de réaliser un bilan d’étape du projet dont le programme sur cinq ans arrive à terme cette année. Il s’agissait aussi de tracer des perspectives pour une extension du programme, ainsi que d’examiner la phase initiale du projet drone proposé cette année par Le Pic Vert et Bhejane Trust, et dont la fondation Le Pal Nature a accepté d’assurer le financement.

Lundi 7 novembre –
Magali rentrée hier de l’île m’emmène à St-Exupéry. Le vol est à 16h40. Nous sommes bien en avance. A l’enregistrement de mon bagage le lecteur optique refuse de lire le cryptogramme (code QR) de ma carte d’embarquement imprimée hier soir en format A5. Erreur sans conséquence, mais à retenir. L’hôtesse au comptoir d’enregistrement de British Airways (BA) me dit que je devrai récupérer mon bagage à Joburg et le déposer au comptoir de transfert en correspondance, après le passage en douane. C’est ce qu’on fait pour les correspondances avec les vols intérieurs aux US. C’est ce que j’ai fait en mai en allant voir ma sœur. Destination Springfield (Mo) mais correspondance à Atlanta, 1er port d’entrée aux US, passage immigration et douane et transfert sur tapis spécial correspondance vers les vols intérieurs. Cette fille ne sait pas que Victoria Falls n’est pas en Afrique du Sud. Sur le moment je ne fais pas trop attention et je commets l’erreur de ne pas l’interroger, car l’ignorance de la dame ne me semble pas devoir poser un problème. Il s’agit de mon 4ème voyage à Hwange. Mais j’ignore alors que la dame n’enregistre mon bagage que jusqu’à Johannesburg….
Magali repart et j’entre dans la machine infernale des contrôles successifs dont je ne sortirai qu’à Vic Falls. Vols sans histoire, globalement, à l’heure, et assez banals de bout en bout à quelques petites péripéties près. En cette circonstance la banalité est une vertu. A Heathrow je visite le rayon des whiskies de la boutique hors taxes. Promotion sur le Lagavulin notée pour le vol retour. Le chouette Glenrothes que j’avais pris une fois est toujours sur les étagères. Mais correspondance 5h30-8h au retour, et pas sûr que la boutique soit ouverte. Pour le vol sur Joburg j’ai le siège 80A. Bonne surprise, c’était 40 € pour réserver son siège sur ce segment, et 20 € pour les deux autres, donc 160 € de supplément pour l’A/R, bravo BA dont le site vous dit que vous n’aurez pas de supplément surprise à payer, ouaip ! Bref, chouette me dis-je, une fenêtre, je vais pouvoir me gaver des grands espaces africains pendant les dernières heures du vol. Naïf le papy qui a pourtant une expérience solide de ces voyages. Voyageurs sachez-le, le siège 80A du vaisseau A380 est devant la sortie de secours, totalement aveugle. Son seul intérêt est qu’on peut allonger ses jambes et que l’occupant du siège de devant ne va donc pas, sitôt assis, le mettre en position allongée, ce qui me rend jobard.
Le service de ce vol ordinaire fut parfaitement calamiteux. Bon, j’ai eu mon whisky (médiocre) en apéritif, sans une cacahuète, mais les hôtesses nous oublient pour le vin du repas. Je juge moins pénible de laisser courir que de leur courir derrière pour avoir ma fiole, ma stomatite ne s’en plaindra pas. On nous propose le café au milieu du repas, mais pas à la fin. No fill, no refill !
Les films sont sans intérêt. Je dors, et fort bien. Le petit déjeuner "All English breakfeast" est bien aussi. Je vois défiler sur mon écran la trajectoire du vol au dessus de l’Afrique Australe. Arrgh comme je suis malheureux, la Namibie est juste là en dessous de nous et je n’en vois rien, rien non plus de la traversée du Limpopo. Je lis pour oublier.
J’ai l’impression d’atterrir dans un sous-marin.

Mardi 8 novembre –
Rien d’autre à faire que transférer ma seule personne une fois débarqué à Joburg, comme prévu, sans avoir à me préoccuper de mon bagage enregistré. J’ai une petite heure de libre avant le vol suivant. Tour dans le hall international. J’attrape deux bouteilles de vins d’Afrique du Sud, au pif: un Sauvignon et une Syrah pour Steve et Trevor. L’une sera bien, l’autre pas, loterie du hors-taxes.
Et enfin, la dernière ligne droite. Embarquement pour VicFalls. Vol nonchalant. Sans rien voir du paysage.
13 h - Débarquement dans le nouvel aéroport. Les locaux du contrôle d’immigration sont bien plus accueillants qu’en 2013 – tout est neuf, mais la procédure toujours aussi lente. Deux contrôleurs officient : l’un encaisse la redevance du visa (30 $US), et l’autre remplit le formulaire. Le tout prend de trois à cinq minutes. Evidemment une lecture optique, deux clics et une imprimante règleraient le problème en une minute et diviserait le temps d’attente par 3 à 5. Mais l’un des deux employés se chercherait un job. Qu’est-ce qui est mieux, la modernité technologique ou le partage du travail ? Alternative simplette, et faux problème me dira-t-on. Peut-être. Mais vraie plaie planétaire avérée, qu’il faudra bien aborder et traiter un jour.

Dans la file d’attente je sors la carte d’embarquement sur laquelle est collé le coupon d’identification du bagage pour passer la douane, et là je découvre que l’hôtesse à Lyon a enregistré ma valise jusqu’à Johannesburg. Je suis vert. Et je m’en veux d’avoir haussé les épaules sans réagir quand elle m’a dit cette connerie. Elle est censée savoir que Victoria Falls est au Zimbabwe quand même, et même dans l’erreur géographique elle n’avait aucune raison de ne pas l’enregistrer jusqu’à l'aéroport de destination.
Donc je vérifie à peine que ma valise n’est pas sur le carrousel et je file au bureau de BA pour la procédure de recherche et de récupération. En traversant le hall d’arrivée, j’observe qu’il n’y pas de Trevor parmi les gens qui attendent. On verra après.
Accueil courtois et attentionné de la jeune hôtesse. Elle me dit finalement que mon bagage a déjà été récupéré par BA à Joburg, et que je l’aurai demain. En fait ce sera après-après-demain. Mais ouf. Problème suivant. Heureusement j’ai mis les trucs importants – toilette, pharmacie, … - dans mon bagage cabine. Chat échaudé…

Trevor n’est toujours pas dans le hall d’arrivée. J’examine les pancartes que brandissent les gens qui attendent quelqu’un, pas de Bhejane Trust (BT). Je remercie les chauffeurs de taxi qui me sollicitent, et je décide de lui donner encore un quart d’heure pour arriver avant de prendre un taxi.
Je suis assis depuis trois minutes lorsqu’un jeune homme m’approche avec un panneau BT à la main. C’est le fils de Trevor. Son père a dû aller sur le terrain pour une urgence pompe. Il m’embarque.
Jeune homme blond, poli, pas très disert, que la corvée a l’air d’ennuyer prodigieusement, mais qui lutte héroïquement pour qu’il n’en paraisse rien.
Il me pose devant Lorries B&B une petite demi-heure plus tard, et file. Je tombe dans les bras de la maîtresse des lieux, qui n’a pas épaissit depuis trois ans et flotte en apesanteur dans ses vêtements. Et je salue poliment Clive le régisseur, deuxième membre du trio maison. Je ne vois pas Georges, le troisième. Trois minutes plus tard je suis dans ma chambre. Il est 15h30.
Il fait bien chaud. Vite, tenue légère, café, et terrasse-galerie, d’où j’admire sans retenue le très beau jardin tropical du B&B. Lorrie passe. Je lui demande si Georges est là. Ouiii ! Au bar dit-elle. Je file vers le bar derrière la terrasse, et je butte dans Trevor qui arrive. Congratulations d’usage. Et bière conviviale dans la foulée, bien sur. Georges a pris un méchant coup de vieux. Il est d’une maigreur impressionnante. Clive lui reproche en ricanant de ne pas m’avoir reconnu. Georges s’énerve car il voit mal dit-il (voir plus loin) et Clive le sait. C'est l’évidence, son regard à l'infini est celui de quelqu’un qui voit très mal. Georges est sympa, Clive pas.
Trevor me propose un tour à Chamabonda dans le parc national de Zambezi proche. Ce parc était quasi abandonné, totalement désert car livré aux braconniers depuis des années. Bhejane Trust (BT) qu’il dirige (qu'il possède en fait, avec tout ce que cela implique de pouvoir) a entrepris de le restaurer avec un très remarquable succès depuis cinq ans environ. J’accepte avec empressement, j’attrape les jumelles et le Lumix au vol, et nous voilà partis.

Le temps est couvert mais pas de pluie. Un rayon de soleil de temps en temps. Trevor emprunte une piste en assez bon état, qui nous amène en un quart d’heure à l’entrée (pour les professionnels) du parc où le gardien nous salue.
Impression générale : milieu totalement sec et désertique, quelques arbres sont verts néanmoins et des coins de forêt restent verts.
Chamabonda est une longue plaine d’une quinzaine de kilomètres de longueur environ, en forme de léger vallon (vlei dans la langue locale) inscrite entre deux lignes de collines boisées de faible hauteur. Savane dorée de hautes herbes, très belle, et ourlée de verdure forestière.
Une ligne de mares a été créée le long du vlei, certaines remises en état, au cours des cinq dernières années, depuis que BT a pris en charge la restauration du parc (550 km2).
Trevor à qui je demande s’il a eu recours à un expert géologue pour choisir l’emplacement des nouveaux forages, me dit que le sourcier c’est lui, au moyen de la fourche de bois du sourcier classique, méthode universelle. Et ça marche dit-il ! Je lui demande pour plus tard une démonstration que finalement il ne me fera pas. Je me demande aussi en secret si un éléphant ne ferait pas aussi bien, comme l’âne qu’on envoie dans la montagne Corse quand on veut y tracer une route, avec un ingénieur des ponts et chaussées derrière pour relever le tracé.

La première mare de Chamabonda est presque à sec - une flaque et un peu de boue. Elle est déserte. Nous filons vers la suivante (Timots 1) un peu plus loin, déserte aussi, que nous passons sans nous arrêter. Puis Timots 2 où nous nous arrêtons pour une visite de la plateforme d’observation en cours de construction. L’équipe est en train de terminer sa journée de chantier (photos).
A la mare suivante (Thompson) un groupe de d’antilopes sables (hippotragues noirs) est en train de paître dans la prairie périphérique. Magnifiques animaux, d’une rare élégance dans leur costume couleur de nuit africaine, et avec un masque facial assorti, qui a sans doute inspiré la culture locale. Quelques photos de loin au télé (merci Lumix !). Pas pros évidemment, mais pas pires comme on dit au Québec. Nous reviendrons les voir de plus près me dit Trevor. Nous ne reviendrons pas.

sables dans chamabonda elands dans Chamabonda buffle patibulaire zèbres
Antilopes sables, Antilopes Elands, Buffle menaçant, et zèbres dans Chamabonda.
Plus loin, à la dernière mare de la séquence, c’est un troupeau d’élands du Cap (Taurotragus oryx) qui s’écarte prudemment à notre approche et entre dans le bois, mais me laisse mettre l’image de leur fière allure dans ma petite boite, en plusieurs exemplaires. Encore plus loin, c’est un troupeau de buffles débonnaires qui pâture la prairie dans une quiétude dorée de fin du jour, quasi céleste, et qui lui se laisse approcher sans trop réagir, certains s’écartant un peu à l’approche du véhicule. De gros mâles nous font face en nous observant fixement d’un œil terrible qui ne donne pas envie de les approcher plus (photos). Steve me dira plus tard dans une circonstance semblable "If you go out of the car, they’ll kill you !". Petite fête photographique néanmoins.
Nous croisons le chemin d’une superbe outarde kori (ardeatis kori) qui s’éloigne d’un pas pressé en nous surveillant du coin de l’œil.
Et plus loin enfin c’est un troupeau de zèbres, dont un tout jeune poulain qui gambade autour de sa mère. Ils s’écartent vivement à notre approche, et s’arrêtent une fois leur distance de fuite restaurée. Merci à dame nature de les avoir pourvus de ce merveilleux pyjama et de cette constante bonne humeur.

Retour chez Lorrie vers 18h, ravi de ce préambule à mon séjour, la nature sauvage de l’Afrique Australe retrouvée. Au bar de l’hôtel Georges nous sert une bonne bière locale, quelle que soit l’appellation elles sont toutes assez légères, comme la plupart des bières africaines que je connais, sans grande qualité gustative mais idéales pour se désaltérer (de 37,5 à 44 cl ici, 63 au Bénin, Cameroun, Niger, etc…). Trevor me propose pour demain un rendez-vous pour discuter du programme drone et des projets futurs, et un autre tour dans le "vlei" de Chamabonda à Zambezi. Il ne sera rien fait de tout cela comme il en sera souvent ainsi avec lui, je l’apprendrai à mes dépens. Et pour après-demain ce sera une journée de chantier pour la restauration du pompage de la mare de Kazuma Pan dévasté par les éléphants assoiffés.

De retour à ma chambre je découvre que mon tel mobile n’est pas dans ma poche, ni ailleurs dans la chambre. Je l’ai donc perdu. Il a dû glisser hors de la poche peu profonde de mon short, soit sur le siège dans la voiture, soit sur le sol en sortant de la voiture… Grosse inquiétude. J’en parle à Lorrie qui appelle Trevor qui dit qu’il va vérifier. Puis rien pendant une vingtaine de minutes que je consacre à évaluer le problème que cela va me poser. Rien de dramatique, mais gros souci quand même. Je commande à Georges une autre bière pour me soutenir le moral, quand Trevor surgit, mon iphone à la main, et en prime la batterie secondaire du Lumix qui avait aussi glissé hors de la sacoche en toute discrétion. Reconnaissance enthousiaste. Et leçon à retenir.
Le dîner est un peu léger à mon goût – poulet aux légumes, pommes de terre et courgettes petites et rondes, arrosé d’une autre bière. Dicky, une copine de Lorrie qui cornaque des touristes british, appelle ces courgettes gemsquash – courge donc - ce qui nous vaut une petite polémique rigolarde sur le sujet avec participation active des sujets de Sa Gracieuse qu’elle guide, des brits très peuples, pas raffinés pour deux sous, tout droit sortis d’un film de Ken Loach, juste comme on les aime, qui soutiennent mon point de vue : ce sont des courgettes !
Retiré vers 20h30. Il fait bien chaud dans la chambre, disons 30° (mon thermomètre d’ambiance est dans la valoche restée à Joburg). La ventilation du plafond perd un peu de son efficacité à travers la moustiquaire qui coiffe le lit. Mais le conditionnement reste acceptable. Connexion internet (merci au wifi de Lorrie) pour voir comment se présentent les élections US. Rien n’est encore joué. Pas de résultats pour les swing states avant deux heures du mat’. Le petit abus de bière m’emporte doucement et je me réveille vers 23h30. Toujours rien de déterminant sur les élections aux US. Il fait chaud. J’éteins les lumières et je tourne en rond une petite heure sans trouver le sommeil. Qu’à cela ne tienne. J’éclaire et je regarde les commentaires élections. Sans intérêt réel. Je bouquine un long moment "La fracture coloniale", ouvrage collectif passionnant et superbement documenté sur la "mission civilisatrice" de la nation, qui a fait le malheur de millions d'êtres humains et dévasté de nombreuses cultures, et aussi lourdement contribué à faire du monde (occidental et global) ce qu’il est aujourd’hui, une civilisation probablement en cours d’effondrement (cf rapport Meadows sur la croissance, revu par G.M. Turner récemment).
Je finis par éteindre après un dernier coup d’œil sur France-Infos, et dormir vraiment…

Mercredi 9 novembre -
… Comme une masse jusqu’à 8h30 lorsque le bruit des voix des touristes britishs qui petit-déjeunent m’aide à m’extraire des limbes douillettes d’une somnolence que je prolonge avec délice depuis un moment.
Je me jette sur le laptop : stupeur ! c’est Trump. Le ciel du Zim me tombe sur la tête. La série noire de la venue au pouvoir de chefs d’états ou de gouvernements, fascisants, populistes, mafiosi, parfois carrément sans foi ni loi, se poursuit implacablement. Si ce guignol hallucinant fait ce qu’il a promis, le pire du pire est à venir. Mais le pire de ce pire sociologique, avéré ce matin, est qu’il s’est trouvé une centaine de millions de citoyens US pour élire cet épouvantail irresponsable et sans morale, pour qui le mensonge délibéré est une arme privilégiée. H. Clinton est sans doute un personnage politique assez usé et assez rusé, mais elle a tracé des perspectives politiques décentes pour son pays. Incompréhensible. Les laissés pour compte de l’Amérique n’ont pas compris qu’ils l’étaient pour longtemps et que le glissement de leur pauvreté vers plus de pauvreté fabriqué par le néolibéralisme fou dont les vannes ont été ouvertes par le binôme sinistre et de sinistre mémoire Thatcher-Reagan, est irréversible. Ce n’est pas le discours de Fox News qui aura éclairé pour eux cette réalité, pas plus que la nullité affligeante, terrifiante, du débat politique. L’avenir est sombre et s’assombrit tous les jours.
J’échange quelques commentaires avec Dicky et Lorrie. Je dis à Lorrie que je vais rester dans cette chambre sans air conditionné, que je n’utilise jamais de toute manière, sauf en mode survie (cf Pendjari 2008). Et j’économise l’argent public – 50€ au lieu de 90€ la nuit (le trésor public subvient aux 2/3 de mes dépenses de mission via la réduction d’impôts associée à la procédure d’abandon de frais).

Je rattrape sur le petit dej’ la légèreté du dîner d’hier soir. "All English breakfeast" comme ils disent : œufs au bacon et toast grillé, salade de fruits, yaourt liquide, céréales. Bien calé.

Puis une bonne douche, et après avoir appelé Magali - il neige à St-Jean, merci Skype, je m’offre une matinée de rédaction et de méditation, confortablement installé sur une fauteuil ancien sur la belle terrasse véranda, carrelée de tomettes d’un bel ocre roux, dans une paix qui m’est d’ordinaire totalement étrangère et que je savoure avec délice en levant le nez de temps en temps pour contempler la quiétude du jardin et écouter l’appel des bulbuls, en sirotant mon café. Quelques rares mouches prétendent perturber cette paix, sans vrai succès. Les employés vaquent à l’entretien, balayant les allées, nettoyant les massifs où prospèrent de superbes fougères tropicales, certaines arborescentes, divers dracenas, alocasias, palmiers nains, sous les grands arbres aux troncs engloutis dans l’opulence de philodendrons et caoutchoucs intrépides, qui distillent une mi-ombre savante, douillette, rassurante. Une misère comme celles que nous avons à St-Jean et que je bichonne avec amour, mais à grosses feuilles ici, a envahi et coiffé la base tronçonnée d’un arbre mort au milieu de la pelouse de chiendent. Bref, vrai moment de bonheur tranquille, propice à la réémergence d’excellents souvenirs.

Vers 11h30 Georges vient se poser pas loin de moi et déjeune, ce qui me donne un peu faim. Je ne sais pas comment je vais déjeuner. Pas envie de marcher jusqu’au centre, à 20’ à pieds, sous le cagnard, ce qui romprait le fil de ma trop belle tranquillité.
Je joue à identifier les arbres du jardin. Des tecks du Zambèze, baikiaea plurijuga – espèce endémique, un peu menacée aujourd’hui – identifiés grâce à mon guide, et un ficus (espèce locale ?).

13h – je demande à Lorrie si quelqu’un pourrait me faire un sandwich. Elle grogne un peu, elle grogne toujours un peu. Un employé s’y colle. Sandwich au poulet.
Le rendez-vous avec Trevor est à 14h30 pour discuter des projets présents et futurs. Il est en avance, mais c’est pour me proposer sans explication d’aller avec Andrew son fils servir de touriste-cobaye au centre de formation des guides pour l’épreuve d’examen d’un candidat guide. Il me dit aussi que nous partirons demain à 6h pour Kazuma Pan pour la réparation de la pompe endommagée par les éléphants, et que vendredi nous irons d’abord dans le secteur de Robins du parc de Hwange et qu’il me conduira ensuite à Sinamatella le soir pour le reste du séjour. Mais dis-je, Steve ne rentre de ses vacances en Angleterre que dimanche !? Et là, j’apprends que Steve n’est pas parti en Angleterre car sa demande de visa a été refusée. Steve est un ex citoyen britannique naturalisé zimbabwéen. Il a renoncé à sa citoyenneté britannique par rigueur morale me dit Trevor (faux, voir plus loin). J’y verrai plutôt de la rigidité que de la rigueur car il n’y a rien d’immoral à conserver une double nationalité. Bref, Steve est à Sinamatella. Et je suis moyennement content de ce bazar.
Néanmoins j’accepte le statut de cobaye et Andrew me prend un quart d’heure plus tard avec son 4x4 de bobo parisien, sans doute assez utile ici, et une jolie copine. Nous sommes au centre de formation des guides en un quart d’heure, le temps de savourer en route les minauderies de la copine. Elle débarque à l’arrivée une grosse et lourde glacière qu’elle porte sous l’œil indifférent du copain jusqu’au gros 4x4 avec nacelle pour touristes, qui va nous promener.
Nous embarquons ensuite rapidement après un briefing express de deux minutes, avec un autre couple de cobayes, l’aspirant guide et l’examinateur, pour un long tour sur le terrain d’exercice, essentiellement forestier. Le domaine est ceint d’une haute clôture électrique qui décourage les éléphants et autres grands mammifères me dit l’examinateur a coté de qui je suis assis sur la banquette arrière de la nacelle.
Les arbres de cette forêt sont d’assez faible hauteur, beaucoup de coupes, un peu comme dans la forêt de châtaigniers de Bonnevaux, avec quelques grands arbres ça et là. Milieu très sec, jaune et brun. On entrevoit quelques feuillages persistants ou précoces au loin lorsque la piste domine le paysage. Arrêt pour un éléphant. Le guide nous apprend que les défenses des éléphants locaux sont fragiles et de plus en plus courtes. C’est à cause d’une carence endémique en calcium du milieu, précise l’examinateur. Nous apprenons aussi que les shepherd trees (Boscia albitrunca) dressent des défenses pour protéger leur feuillage contre les girafes. Nous passons un espace ouvert planté d’un groupe de grands arbres magnifiques (ana tree, Faidherbia albida). Une mare d’eau de pompage offre ses services à la lisière de cette clairière.

Andrew et sa copine s’extraient des bières de la glacière, et sirotent. Délicatement convivial ! Je salive. Raffiné le fils de son papa ! Arrêt près d’un nid d’ombrettes avec commentaire pédagogique du guide. Je signale un peu plus loin la présence du couple d’ombrettes en contre-bas de la route sur une flaque du lit de la rivière dont nous suivons le cours. Arrêt photos et présentation des oiseaux.

ombrette
Ombrette à la pêche
J’interroge l’examinateur sur l’origine de l’eau présente en abondance dans ce lit quand tout est affreusement sec ailleurs. C’est le barrage en amont qui fuit me dit-il. Un beau rapace (african hawk eagle) nous survole. L’aspirant guide ne voit pas le jabiru (saddle billed stork) qui explore d’un bec avide un coin en eau de la rivière. C’est l’examinateur qui lui signale, et qui note… Nous croisons un couple de guib harnachés (bushbuck, Tragelaphus scriptus), occasion d’un autre exercice pédagogique. Et nous arrivons au barrage bien pourvu en eau qui alimente un peu le cours inférieur de son déversoir. Pause café conviviale. Pas mal de monde sur les berges : blacksmith lapwings (vanneaux forgerons, très communs), oies d’Egypte, bec ouvert africain. Je fais partir un joli héron à dos vert (green backed heron). L’examinateur me signale devant le mur du barrage un petit groupe de sarcelles à tête rouge. J’observe les oiseaux et j’objecte que ces sarcelles ont un bec et un profil de grèbe. Ah oui dit-il ! ce sont des grèbes (little grebe). Je bombe le torse, fiérot. Un cormoran à poitrine blanche immature (white breasted cormoran) se fait les plumes sur l’autre rive.

Fini la récré. Nous repartons dans l’autre sens.
Je signale deux éléphants. Le guide n’a pas vu. L’examinateur note. Me voilà cobaye cafteur maintenant. Pas drôle.

éléphants
éléphants en quête de nourriture
Andrew et sa copine se font une autre bière.
Andrew s’étrangle, et signale un oiseau, juste à coté du véhicule, qui s’enfuit immédiatement : pearl spotted owlet, dit l’examinateur. Aaarrrgh, la chevêche locale. Et j’ai à peine vu son ombre filer. J’enrage.
Arrêt pour une leçon sur la biologie des tortues locales avec la coque vide d’un jeune sujet, sept ans d’après le nombre des écailles, probablement morte d’inanition. Observation d’un nid de vautour dans un baobab et leçon sur la biologie du baobab, son abondante floraison de fleurs blanches et sa pollinisation par les chauve-souris. Un calao gris (grey hornbill) qui niche dans les trous d’arbres et une famille de grands koudous, terminent le parcours touristique. Il est presque 18h30. Brèves congratulations et nous filons.
aigle
Aigle ravisseur phase sombre
Andrew se fait une dernière bière sur la route.

De retour à l’hôtel, je me fais un petit whisky pour compenser ma frustration de bière et clore cette journée moyennement enthousiasmante. Lorrie grogne sec quand je lui dis que le partirai pour la journée à 6h demain et que j’aurais besoin d’une poignée de céréale et d’un peu de lait pour le petit déjeuner (thé et café sont dispo 24h/24 sur la terrasse), cela alors que tous les employés sont partis. Mais c’est la faute à Trevor qui change trop facilement les plans établis sans préavis ni consultation. Et elle arrive pendant que je dine, avec une boite à lunch qui contient un déjeuner complet (Trevor m’a dit qu’il préparait tout…). Prudent, je n’objecte pas et je la remercie.

Salade variée et moussaka à la mode Zim au menu ce soir. Bon. Accompagné d’une bière (Castle).
Longue discussion avec Lorrie après le diner sur les élections, la démocratie et l’Afrique, avec participation épisodique de Clive (ex président de l’association des planteurs de tabac du Zim avant la réforme agraire de Mugabe) dont quelques remarques ricanantes attrapées au vol au cours de la matinée m’ont confirmé le profil politique du bonhomme. Je m’esquive un peu avant 21h pour intégrer la grande tiédeur de ma chambre, qui me semble un peu plus difficile à affronter ce soir qu’hier soir. Mais il en faudrait plus pour m’empêcher de dormir.

Finalement j’éteins vers 23h30 après ménage de messagerie et une poignée de pages de la très intéressante "Fracture coloniale", même si l’ouvrage date un peu et mériterait une mise à jour.

Jeudi 10 novembre -
Réveil nocturne vers 3h45, impératif technique. Puis retour les pieds sous le drap. Bien-être du glissement dans le sommeil en cours quand mon palpitant se met à des irrégularités pas vraiment inhabituelles mais assez inopportunes à cette heure. Je poursuis ma petite méditation sans trop prêter attention au phénomène qui persiste comme rarement. Sans m’en inquiéter outre mesure je me dis que ce serait un sale coup pour Magali si elle devait gérer le rapatriement de ma carcasse défunte en même temps que sa vieille mère manipulatrice perverse et parfois un peu démente. Mais pas de panique, je finis par retrouver le sommeil dans ce bazar palpitatoire extra systolique qui ne m’avait pas importuné depuis longtemps. Le vent l’emportera comme disait si sombrement la belle chason de Noir Désir.

Boum, le réveil de 5h30 ne me rate pas. Vite debout. Quelques difficultés à ouvrir les portes pour me faire un thé sur la terrasse, surmontées ou contournées. A 6h moins deux minutes je quitte l’hôtel juste comme le gros Land Cruiser Toyota de Trevor arrive.
Un passager africain dans la benne du cruiser, et trois dans la cabine, moi au milieu, pas confortable. L’autre est une relation de Trevor qui va donner un coup de main pour la récupération de la pompe que les éléphants ont fait tomber au fond du forage. Le Zim n'est plus un état colonial mais les blancs voyagent prioritairement dans la cabine, règle implicite.
Deux heures de route pour la mare dans le parc national de Kazuma Pans, et sa pompe au fond du forage, sur une piste en mauvais état général – ornières, bosses, tôle ondulée - mais praticable. Paysages de forêt clairsemée. Il pleut un peu.

pluie sur la piste
Pluie en chemin, qui cessera vite.
Nous croisons le chemin de nombreux animaux : antilopes sables, brown snake eagle, grands calaos, rollier pourpre, aigle bateleur juvénile, outarde houpette (red crested korhaan),… Et aussi un groupe humain monté sur la nacelle d’un véhicule de terrain arrêté à peu de distance sur l’autre branche d’un carrefour. Ils sont scotchés à leurs jumelles. Trevor recule et emprunte cette branche. Un membre se détache du groupe, s’approche de nous et se présente, le responsable semble-t-il, manifestement assez nerveux. Il parle avec Trevor. Fort accent local. Tenue de chasse. Normal, ils sont chasseurs. Trevor m’apprend que notre route est sur la ligne de séparation entre zone protégée et zone de chasse d’un domaine public en concession. L’interlocuteur confirme qu’il est du « secteur 6 » (zone de chasse). Je n’en saurai pas plus. Finalement nous repartons.
Après une longue traversée assez rectiligne, la perspective s’ouvre sur un espace moins boisé. Virage vers la gauche, et nous longeons un moment la frontière avec le Botswana. Puis le paysage se transforme encore en une immense savane de hautes herbes, au-dessus de laquelle j’observe, navigant en patinant d’une aile sur l’autre un rapace au vol trop caractéristique pour que je ne le reconnaisse pas: busard cendré. Il est évidemment mieux armé que le pouillot fitis que je verrai plus tard pour faire ce voyage depuis l’Europe, mais c’est quand même un émerveillement. Je sourie aux anges de cette observation que je trouve benoitement émouvante. Nous sommes au cœur du parc national de Kazuma Pans, une magnifique plaine d’inondation qui s’étend à perte de vue, encore dorée à ce jour, blonde chevelure de la fée Nature, mais qui va bientôt être submergée et verdir - et alors plus punk sera la fée… - si la saison des pluies veut bien se presser un peu.
Nous arrivons à destination vers 8h15. Une équipe d’ouvriers est déjà sur place pour approfondir la tranchée de protection contre les éléphants. Le cadavre d’un beau python git sous un buisson (photo). Nul ne peut dire de quoi il est mort.

Nous attaquons tout de suite l’exercice de plomberie de terrain. Il s’agit d’abord de monter bout à bout, comme pour un ramonage de cheminée, des tirants métalliques filetés de 1,5m de longueur et d’une quinzaine de mm de diamètre, au moyen de douilles filetées, pour constituer une longueur permettant d’atteindre le fond du forage. Le tout est en assez mauvais état, les filets des filetages sont souvent un peu foirés et impossible à visser. Mais le compagnon que Trevor s’est associé connaît bien son affaire et aucune difficulté ne lui résiste longtemps. Le roi de la clé à mollette de plombier est avec nous.
Trevor me propose un tour d'observation de la faune sur la mare à une ou deux centaines de mètres derrière une prairie d’herbes hautes. Il prend la voiture.
Traces de carnages ancien et moins anciens autour de la mare. Des ossements blanchis d’éléphants et d’antilopes partout. Une carcasse récente d’Eland et une autre d’éléphanteau. Les lions ne manquent de rien. Des oiseaux sur la mare, vanneaux forgerons, hérons garde-bœufs. Un aigle ravisseur (tawny eagle, Aquila rapax ) patrouille l’alentour. Hartebeests (bubal je crois, plusieurs espèces) et impalas se sont écartés à notre arrivée, et reviendront plus tard. Quelques cobs des roseaux, peu communs ici, s’éloignent aussi prudemment.

ossements mare Kazuma paysage tawny
Ossements près de la mare, paysage de savane (plaine d'inondation), aigle ravisseur.

Retour au chantier. L’assemblage est allé bon train. Les groupes de tirants sont descendus dans le forage et assemblés entre eux. Finalement la base est atteinte à 27m.
Indifférents à cette agitation, les blue waxbills (cordon bleu d’Angola) au poitrail d’un bleu céleste, picorent, au pied des buissons.
Une cisticole - pas identifiée, roussâtre peut-être ou une de ses déclinaisons régionales (Cisticola galactotes stagnans) - se pose un instant (photo) et file.
Éclairage du fond du forage à la lampe de poche, bricolages débrouillards pour crocheter le câble de la pompe au fond du trou, multiples tentatives infructueuses, et enfin, la bonne, grâce à l’ingéniosité professionnelle du maître de cérémonie.
J’ai les orteils qui chauffent. Ils sont un peu cramoisis. Je suis resté en espadrilles, sachant bien que c’est la dernière chose à faire dans la brousse. Crétin des Alpes !
A 10h la pompe sort de son trou, halée comme la drisse de la grand voile par des matelots enthousiastes. Trevor est ravi, un peu apoplectique sous le soleil malgré son chapeau de broussard.
La réparation de l’ensemble prend du temps. Il faut refaire les connections électriques arrachées et poser un nouveau filin pour la mise en place et la remontée future de la pompe, et surtout refaire la conduite de sortie que les éléphants ont totalement détruite.

crapaud
Crapaud mimétique
Il nous faut couper et sortir un tronçon de conduite totalement obstrué par le sable pour le purger. J’objecte à la mise en place de coudes à 90° qui induisent une perte en charge appréciable. Mais on verra plus tard. Terre et pierres de terrassement accumulés sur le haut de la tranchée forment un merlon qui devrait aider à décourager les éléphants d’approcher la tranchée de trop près. Trevor me dit qu’ils vont essayer l'option clôture électrique, ce que j’approuve sans réserve.

Nul ne sait vraiment ce qui signale aux éléphants la présence d’eau dans une canalisation enterrée. Mais les statistiques des dégâts aux pompes montrent bien qu’ils la détectent. "Ils sentent l'eau" disent-ils. Pour ma part je pense que ce sont les bruits de cavitation de l’écoulement à l’intérieur du tuyau qu'ils entendent et identifient. La présence d’une tranchée les décourage en général, mais pas toujours. C’est selon la profondeur et la largeur de l’ouvrage, et aussi la motivation des intéressés lorsqu’ils perçoivent la présence de l’eau. Alors, rien de les arrête.
Je découvre dans une petite dépression près de la tête de puits, un mignon crapaud (crapaud panthère, bufo regularis ?) émergeant à peine du sable humide et furieusement mimétique. Comment fait-il pour survivre dans un tel environnement lorsque la pompe ne fuit pas et que la sécheresse est totale ? Fascinant mystère.

Trevor avec qui je discute puissances de pompage comparatives, lors de la remise en route de la pompe, m’apparait avoir des notions de puissance électrique très approximatives…
Fin provisoire de l’opération vers 12h30. La pompe tourne et l’eau coule dans la mare (photos).
Un aigle ravisseur (Tawny eagle) tourne au dessus de nos têtes et un guêpier d’Europe nous fait une brève visite.

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Repérage, extraction, réinstallation et fonctionnement restauré de la pompe.

Nous repartons vers 13h15 après un peu de repos et un petit casse-croûte.
Arrêt après une quarantaine de minutes pour déposer l’équipe des ouvriers – gardes du parc, non payés depuis deux mois - à leur camp de base.
Rencontres de waterbucks, reedbucks, sables, girafe, au fil de la route. Un système nuageux très actif se forme loin devant nous avec des gros congestus bien bourgeonnants, précurseur d’un orage peut-être, dont j’évoque la possibilité.

cobs sable girafe
Cobs de Buffon près de la mare, antilope sable et girafe au fil de la piste.
Dépose chez lui de l’expert qui a dirigé l’opération récupération et réparation de la pompe, et de son matériel.
Finalement Trevor me dépose devant Lorries. Il est 16h. Lorrie me dit qu’elle a appelé BA et que ma valise est en route et devrait arriver dans la demi-heure. Bonne nouvelle.
Je suis vanné. Douche urgente puis grosse bière avant un bon café sur la terrasse.
Il se met à tonner fort, de plus en plus fort. Et vingt minutes plus tard, il pleut à seaux, une pluie abondante et bienfaisante qui apaise enfin une nature soumise depuis des mois à une infernale aridité, même si cette réalité n’apparaît pas éclatante dans le verdoyant jardin de l’hôtel, arrosé quotidiennement.

De retour à ma chambre, je découvre ma valise devant la porte, arrivée discrètement.
Au menu du dîner, poulet genre Yassa, pommes sautées, salade. Bien, avec une bière.

Je règle ma note d’hôtel ensuite. Lorrie grogne parce que je souhaite payer en euros pour garder mes dollars US disponibles en cas de nécessité. Le site de l’ambassade de France au Zim disait avant mon départ qu’il y avait un peu pénurie de cash aux distributeurs. C’était un peu beaucoup en fait. Pénurie quasi totale. Et le Zimbabwe ne peut évidemment pas faire tourner la planche à billets puisque ce sont ceux de l’Oncle Sam à qui il doit les acheter. Et comme il est fauché, en crise endémique, le billet se fait rare. Pas de surprise.
Donc Lorrie doit faire la conversion, et comme elle est un peu cuite, ça risque de prendre un peu de temps (elle enchaine facilement les bières comme on enfile les perles, une par une en commençant dans l’après-midi). Et comme la différence de parité n’est pas grande et à son avantage, je lui propose de faire un pour un. D’accord dit-elle.
Ensuite je file boucler mes bagages car on décolle à 6h demain matin une fois de plus. Et Trevor est ponctuel.

Vendredi 11 novembre -
Sommeil de plomb jusqu’à 4h20. Bof, le réveil sonne dans une heure, à quoi bon se rendormir. Je me rendors néanmoins et c’est la machine diabolique qui me réveille à 5h30.
Comme hier, petit dej vite expédié, brin de toilette, les dernières bricoles bourrées dans le sac à dos. Un résident de l’hôtel très matinal et très sympa m’aide à transporter valoches et sacs jusqu’au portail. Trevor arrive peu après et nous prenons la route du camp de Robins dans le parc national de Hwange. Comme la route est asphaltée, l’absence de trépidations et du bruit de fond infernal des carrosseries secouées par les pistes, qui rend les conversations pénibles voire impraticables, rend possible une bonne discussion.

Pour le plan de la journée Trevor m’informe que nous allons d’abord à Robins, puis sur le site de la mare de Deteema en passant par d’autres mares, et que de là un garde du parc m’emmènera à Sinamatella. Une fois de plus je ne suis pas trop content, car d’une part, il ne se préoccupe pas de savoir si cela me convient, et d’autre part parce que je voulais qu’on se pose pour discuter du futur du partenariat. Mais je la ferme.
Nous discutons ensuite assez longuement du projet. Et je profite de l’occasion pour l’interroger sur les forces que BT va pouvoir mettre sur le terrain où il y a tant à faire. Il en vient à m’avouer, embarrassé, que Steve a décidé de quitter BT en décembre et d’aller vivre dans sa ferme à Bulawayo - Boum ! Je suis sonné – puis il ajoute que c’est parce qu’ils ont eu des mots et que Steve est un peu fâché. Tout va très bien madame la marquise. Je redoute la suite. BT sans Steve à Sinamatella me semble être simplement impossible pour la suite du partenariat. Je décide d’attendre de pouvoir en discuter avec lui. Trevor me dit alors qu’il va embaucher un autre naturaliste. Soit, nul n’est irremplaçable. Mais on ne remplace pas Steve néanmoins. Il me dit aussi en réponse à une question de ma part qu’il va embaucher un technicien pour la maintenance des pompes. Je ne lui demande pas où il va trouver le budget pour le payer.

Le paysage défile, lunaire d'abord, puis étoilé de touches vertes.

piste
Piste et paysage
Il a beaucoup plus hier dans ce secteur aussi, et les premières feuilles vite produites forment des myriades de bulles vert tendre qui éclosent sur le noir brûlis laissé par un grand feu de brousse récent, et nous offrent un spectacle un peu fantastique et d’une grande beauté.
Koudous, reedbuck, impalas, qui se régalent des jeunes pousses, et vautours qui attendent leur heure, nous regardent passer, indifférents, ou méfiants, parfois effrayés.
impalas brulis
Impalas et brûlis récent
Nous arrivons à Robins vers 8h. Le camp est toujours aussi pimpant, avec ses pelouses bien entretenues et ses bâtiments joliment peints. Le parfum extraordinaire des frangipaniers qui nous avaient accueillis en avril 2013 est absent, hélas.
Après que nous ayons salué les gardes de l’accueil, Trevor prend les mesures d’une pièce qu’il veut aménager pour étendre le musée Herbert Georges Robins, qui fut propriétaire du ranch sur lequel est établi le camp. Personnage haut en couleurs, défenseur irréductible de la faune sauvage, astronome amateur, voyageur, et grand précurseur de la démarche qui a conduit à la création du parc, H.G. Robins appartient à l’histoire de ce pays et de ce parc national.

Ensuite nous roulons jusqu’à la mare de Little Toms. La cabane en dur au bord de la piste, qui nous accueille sur le site de la mare, est un abri pour touristes qui semble avoir aussi séduit un groupe de lions. Trevor en a compté une dizaine dedans il y a quelques semaines (cf BT newsletter d’octobre). Avis aux usagers. Frapper avant d’entrer…
La mare de Big Toms est située quelques kilomètres plus loin. Très beau site. Trevor examine la pompe de cette mare et discute avec le garde de service. Il faut améliorer la protection contre les éléphants.

Trevor & garde cobs paysage tawny
Trevor et le responsable du site de Big Toms, phacochère à la mare de little Toms, paysage reverdissant et juvénile d'aigle ravisseur.
Enfin dernier saut de puce vers Deteema, la mare du partenariat Le Pic Vert – Le Pal Nature installée en avril, que je ne connais qu’à travers les photos de Ricky et Trevor, et que je vais donc découvrir en vraie grandeur.
Nous croisons quelques zèbres.
fondrière
Fondrière sur la piste.

Il a tellement plu localement que la piste commence à poser de sérieux problèmes. La variabilité de la pluviosité à courte distance est énorme ici. Il peut très bien pleuvoir à seaux ici et pas une goutte 5 km plus loin. Le véhicule a un peu du mal à sortir d’une première grosse ornière inondée. Et plus loin Trevor renonce à affronter une fondrière trop impressionnante et fait demi tour pour contourner le problème par un itinéraire que la piste, par chance, autorise.
Nous atteignons le site de la pompe de Deteema vers 9h40. Surprise, le milieu est totalement aride. Il n’est pas tombé une goutte d’eau sur la grande prairie ouverte qui entoure la petite construction. La terre est nue par endroit, ailleurs l’herbe haute est un peu hirsute. Un grand panneau atteste de la générosité des partenaires français (photo). Mais Trevor a mutilé le nom de Le Pal Nature (amputé de Nature), alors que je lui avais bien précisé que le président de la fondation tenait beaucoup à la dénomination complète.
Ricky arrive de Sinamatella juste après nous, pour faire le point sur la pompe qu’il a installée. Il raconte la scène qu’il a pu observer ce matin sur la plaine de la Sinamatella, de la prédation de lions sur un buffle. J’enrage d’avoir manqué ça.
Pour une raison technique d’adaptation électrique, il a dû avoir recours à un transformateur de tension continue (DC-DC) via un module refroidi par un ventilateur. Trevor n’aime pas ce module et son ventilateur, qui va, dit-il, surchauffer et griller tout le reste, et il demande à Ricky de le supprimer. Il se confirme dans la discussion que les notions d’électricité de Trevor sont plus qu’approximatives (confusion puissance-tension), ce qui ne simplifie pas les échanges. Finalement il admet que les protections thermiques multiples et le faible coût de remplacement du module (90$US) rendent sa présence acceptable.

pompe Deteema Trevor & Ricky mare Deteema mare et obs
La pompe du Pic Vert, Trevor et Ricky, et la mare de Deteema.
koudous koudou zèbres à la mare phacos
Koudous approchant de la mare, grand koudou, zèbres, et phacochères sortant du bain de boue.
Nous allons ensuite jusqu’à la mare de Deteema qu’alimente le pompage, 1 km plus loin. La distance est due à l’éloignement de l’aquifère souterrain. Une jolie plateforme d’observation au toit de chaume la domine. La mare est en eau, grâce au pompage. Il y a peu de monde autour à notre arrivée. Mais il ne faut pas longtemps pour qu’apparaisse un couple de phacochères qui vient s’abreuver et se vautrer spectaculairement dans la boue, puis arrivent deux koudous mâles - un adulte et un jeune, puis une famille d’impalas qui vient boire côte à côte avec les koudous (photos). Un milan à bec jaune se cherche un déjeuner. Un vautour à dos blanc surveille le terrain depuis le sommet d’un arbre mort. Et quelques jolies tourterelles Naquama s’ébattent autour du plan d’eau. Un vautour oricou (lappet-faced vulture) arrive.

Ricky raconte le bazar qu’est le pompage de l’eau du réseau public de Sinamatella. Pas étonnant qu’elle soit aussi peu présente au robinet.

Vers midi, j’embarque avec Onias, garde du parc, à bord d’un véhicule de BT, direction Sinamatella. Trevor viendra mardi.

éléphant (mourant ?)
L'éléphant qu'Onias disait mourant.
piste et sécheresse
La piste et la sécheresse.
En route nous croisons un éléphant solitaire immobile au milieu des arbres décapités tout près de la piste. "It’s Dead !" dit Onias en arrêtant le véhicule. Je manifeste mon étonnement. Il confirme, arguant de la manière dont l’animal incline la tête sur le coté, qui signerait le fait qu’il est mourant. Rien d’autre ne le distingue d’un état normal pour l’observateur inexpérimenté que je suis. Inanition ? Sans doute. Mais peut-être la pluie récente lui permettra-t-elle de survivre. Sinon, une victime de plus de la sècheresse. Il s’agit probablement d’un jeune chassé de la harde par les vieux mâles, et perdu (voir plus loin). Quelques tronçons de piste sont en "tôle ondulée", terme qui se passe d’explication pour ceux qui ont déjà pratiqué les pistes africaines ou autres. Pour les autres voir le film "Le salaire de la peur". Ce phénomène a été étudié scientifiquement récemment. Il est analysé dimensionnellement, mais n’a pas encore trouvé d’explication théorique. En tous cas il est bien dur pour le voyageur et la mécanique.
Onias me pose chez Steve vers 13h30 à Sinamatella. J'ai un peu dormi sur la fin du trajet. Un gars est en train de réparer une voiture devant la maison. C'est un touriste que Steve a secouru sur la piste hier avec une panne de transmission. Il me dit que Steve n’est pas là. Je pose mes affaires sous l'auvent de la terrasse du bâtiment que j’occupais en 2013.

Les logements touristiques du camp sont une série de maisonnettes identiques alignées sur le sommet (orienté est-ouest) de la mesa, et éloignées de son bord abrupt par un espace arboré d’une quinzaine de mètres. De ce bord la vue est unique sur la plaine située en dessous, le cours de la rivière, et la forêt, jusqu’à l’horizon. Les maisonnette font une cinquantaine de mètres carrés. Elle sont divisées en deux chambres, un séjour, une petite cuisine, toilettes et mini salle de bain avec coin douche. Steve et Sue occupent une de ces maisonnettes depuis une dizaine d’années. Ils y sont évidemment un peu à l’étroit.

Je me restaure avec les provisions que m’a préparées Lorrie, et je me réhydrate un peu aussi. Puis je jette un œil sur la magnifique plaine de la rivière Sinamattella. Toujours aussi fantastique : impalas dispersés ou en groupe, quatre zèbres, six grands calaos, une poignée de phacochères, deux koudous mâles se désaltèrent à l’abreuvoir au pied d’une éolienne installée récemment - après 2013 date de mon séjour précédent - qui alimente une mare naturelle un peu plus loin. Les femelles koudous sont un peu plus loin à l’ombre. Je ne vois pas les lions mentionnés par Ricky ce matin.
Je retourne me mettre à l’ombre pour écrire quelques notes. Peu de temps après j’entends une voiture arriver, et une minute plus tard je vois Steve débouler à travers la cour qui sépare les deux bâtiments. Congratulations chaleureuses et sincères je crois. Trevor ne l’avait pas prévenu, il ne m’attendait que demain.
Mais le gars à la voiture en panne a besoin d’aide (clé appropriée) et Steve s’y colle comme d’habitude. Une fois la voiture démarrée (batterie du Toyota déplacée pour la démarrer) et le couple parti, nous nous posons et nous parlons.
Il me confirme d’abord qu’il a du renoncer à ses vacances en Angleterre car son visa lui a été refusé au motif de "revenus insuffisants", donc migrant potentiel… alors qu’il est né là-bas et qu’il a été citoyen britannique. Cela à l'issue d'une procédure kafkaïenne que je ne raconte pas ici. En bon ex-sujet de Sa Gracieuse il est stiff-upper-lip et ne laisse rien paraitre de ce qui l'a forcément mortifié. Et ça me fait mal pour lui. Il me confirme aussi qu’il va quitter BT parce qu’il est en profond désaccord avec Trevor, qui veut arrêter les missions Planète-Urgence (PU), les services aux gardes du parc, etc.., et concentrer son activité sur les mares, et surtout – mais il cite cela pudiquement comme une raison marginale - qui le négrifie honteusement (appels ou messages le soir pour lui dire "demain tu fais ci ou ça"), ce qu’il déplore avec une retenue et une sobriété très britannique sur le mode "Trevor est vraiment un gars exceptionnel et je ne pense rien de mal de lui". Oui, il a ses bons cotés. Mais pour ma part je pense en le voyant fonctionner que Trevor est un modèle classique de patron qui sait tout, qui décide sans consulter personne, qui n'écoute pas, qui a toujours raison, et qui donne volontiers dans l’autoritarisme arbitraire éventuellement bien enveloppé. Les perspectives que Steve me trace sont une fieffée connerie qui va couper BT de sa base de soutien dans le parc. Je lui dis, et aussi qu’une asso de défense de l’environnement et de la biodiversité qui n’a plus de naturaliste et qui est gérée comme une affaire commerciale n’est pas une perspective intéressante pour moi. Steve se cherche un job à Bulawayo.
Nick, fils de Steve, sera sous contrat en décembre avec une ONG australienne, pour être le moteur de l’unité mobile de mise en œuvre du drone. Nous verrons.
Trevor me disait qu’il va embaucher quelqu’un pour faire fonctionner l’asso, mais le projet qu’il décrit est trop vague, et Steve n’a pas d’équivalent. D’accord, personne n’est irremplaçable. Sauf Steve, exemplaire unique. Naturaliste compétent et offensif. Bosseur infatigable, il ne renonce jamais. Je conclus qu’il va falloir discuter ça de manière serrée - et prudente - et il n’est pas exclu que le partenariat avec nous (Pic Vert / Le Pal Nature) en souffre, ou pire. Croisons les doigts.

Nous allons jusqu'au bord du plateau jeter un œil sur ce qui se passe en bas dans la plaine après le carnage de ce matin. Il faut chercher un peu pour localiser la carcasse du buffle dissimulée derrière un arbrisseau un peu dense. Nous comptons neuf lions dispersés sur 200-300m entre le bas de la mesa à nos pieds et le lit de la rivière, en général couchés, certains lionceaux vautrés sur le dos, ventre en l’air, dans l’herbe jaune.

Ricky arrive, puis Nick un peu plus tard, et les capsules des bières volent. On discute mares, jusqu’au moment où Ricky va voir si les buffles arrivent. Et ils arrivent. Alors commence une fascinante scène de chasse hésitante. Les lions sont dispersés entre les buffles qui arrivent et le bassin de l’éolienne et la mare où ils vont boire. Deux lionnes se lèvent et commencent à avancer vers les buffles, à pas lents, précautionneux, comme si elles se préparaient à charger. Les buffles s’arrêtent et commence à refluer, s’arrêtent à nouveau et reviennent – trop assoiffés peut-être - l’avant garde des buffles fait face aux lionnes et ils font mine de charger. Les lionnes détalent brièvement et se repositionnent un peu plus loin. Hésitations chez les buffles qui tournent un peu en rond.
Les autres lions n’ont pas bougé, observateurs indifférents, ou paresseux et opportunistes, attendant le repas gratuit éventuel. Mais la nuit qui tombe nous prive de la suite et il faut abandonner la scène, à grands regrets. Le soleil est couché à 18h ici et il fait nuit à 19h.

Le dîner improvisé par Steve après un apéro bière, est plus qu’honorable : viande en sauce tomate sur du riz, le tout accompagné d’une autre bière. La conversation court sur les mares et les équipements de pompes solaires. Ricky dit qu’il a tout essayé en matière de pompes solaires, et que c’est un casse-tête car il faut avoir tous les modèles de pompes (européennes ou américaines, ou chinoises) et de panneaux (presque tous chinois), et les pièces de rechange et les adaptateurs divers. Il a repris l’entreprise de son père qui faisait de l’irrigation. C’est un garçon d’une trentaine d’années, très calme, affable, courtois, d’un commerce vraiment agréable, qui parle un anglais très compréhensible à la différence de beaucoup ici, et en outre technicien compétent et très réactif me disait Trevor: un coup de téléphone et il est sur place le même jour (depuis Bulawayo à 400km).
Il cherche aussi les jumelles et l’appareil photo qui lui conviendront. Pour les jumelles Steve dit à quel point il est content de celles que nous lui avons offertes en 2011 je crois, et qu’il a toujours (Nikon 10x40 de base). Et je lui montre mes Zeiss petit prix dont je suis content. Pour l’appareil photo je lui vante l’intérêt du Lumix et de son zoom unique pour un bridge, idéale pour la flexibilité s’il se contente de photos de bonne qualité (optique Leica), mais pas la meilleure possible.

Fin de soirée à 21h. Le vent s’est levé assez fort. J’ouvre largement les fenêtres et l’imposte, et j’actionne le ventilo pour rafraichir l’ambiance. Il fait moins de 30°. Pas de moustique, ou rares et sans danger de palu à ce stade.
Je rédige mes notes un moment, mais la fatigue me fait lâcher prise. Au lit, je referme mon bouquin après deux lignes de lecture. Rien à faire ce soir pour durer un peu. Je dois m’incliner devant le marchand de sable, qui ne m’accorde aucun sursis pour me contraindre à savourer le doux et prompt glissement dans le sommeil. Boum !

Samedi 12 novembre -
Le réveil m’arrache au sommeil à 6h30, après une interruption naturelle une heure auparavant.
Les lions sont à plusieurs au petit déjeuner sur la carcasse du buffle tué hier matin.
Nick, Steve et Ricky sont déjà levés. Ricky a dormi sous une tente, sur le toit de son véhicule, pratique assez populaire ici.
Café, toasts à la margarine et une demi pomme. Puis préparatifs du départ. Nous allons à Gurangwenya sur la route de Hwange pour installer une pompe avec une équipe d’ouvriers. Il faudra aussi aller faire des courses d’intendance au bourg de Hwange, 40km plus loin.

land rover & steve
En route pour Gurangwenya.
A 8h Nick part avec un véhicule et l’équipe technique, et nous suivons avec un autre, chargé du matériel.
En route Steve m’apprend que le restaurant du camp, fermé depuis des années, est à nouveau ouvert. Je l’invite avec Nick pour un soir des prochains jours. Demain peut-être. Il est à deux pas de nos logements.

Nous arrivons sur place après une vingtaine de minutes de route, où nous retrouvons une autre partie de l’équipe. Au total 9 personnes, qui se mettent au travail tout de suite, les uns aménageant l’aire d’installation des panneaux solaire, et les autres creusant la tranchée anti éléphants autour du forage (préexistant) à une quinzaine de mètres.
Nick regarde l’équipe au travail assis sur la ridelle d’un véhicule. Il tombe quelques gouttes.

Le site est superbe, ancien terrain de camping, petit canyon rocheux entre deux falaises, dont une partie est occupée par le lit de la rivière Gurangwenya (lieu des crocodiles en dialecte nambia, apparenté au shona). Milieu semi forestier (cf photos), parsemé de bouses d’éléphants et de crottes de Koudous.
La mare de Gurangwenya est de l’autre coté de la route de Hwange à environ quatre cents mètres, ce qui fera une longueur appréciable de canalisation à tirer (en Plymouth 50 mm), avec une perte en charge significative donc.

chantier forage mare Gurangwenya Baobab pique nique
Chantier du forage (Steve et Nick), mare de Gurangwenya, baobab, pique-nique.
Vers 9h15 nous filons sur Hwange-ville avec Steve pour les courses, à 40 minutes de route environ. Un magnifique baobab est en train de faire son feuillage, délicieuse constellation de gouttes vert tendre accrochées à la ramure défoliée et torturée de sa majesté baobab, que je reviendrai photographier. Un éléphant traverse la route pas très loin devant nous. L’ordinaire ici.

Arrêt à l’entrée du parc où Steve laisse des pièges photo pour l’équipe de gardes qui suit ce qui reste de la population de rhinos noirs.

A l’approche de la ville, une mine de charbon à ciel ouvert est exploitée par Hwange Colliery Co, une entreprise de charbonnage à l’origine de la prospérité relative du bourg. Une ronde des camions rugissants nous engloutit pendant quelques centaines de mètres dans une tornade de poussière.
Plus loin la route est bordée de monceaux de détritus ménagers : faute de moyens appropriés, les ordures ne sont plus collectées. L’entreprise a déposé le bilan. Chacun se débrouille…

Le centre bourg est pimpant comme d’habitude (propriété de la compagnie des charbonnages). Contre toute attente Steve peut tirer du cash au distributeur, mais moi pas. Nous passons prendre de la glace à la station d’essence et nous entrons au super marché. Là, grosse surprise pour moi: le magasin est le strict équivalent de n’importe quel magasin français. Rayons gorgés de produits de bonne qualité, fruits et légumes frais, et grande variété de tout, propreté irréprochable, balances digitales, personnel à votre écoute qui va vous chercher dans sa réserve les deux choux que vous demandez. Nous faisons le plein pour la semaine. J’attrape deux sachets de pemican sur un présentoir, pour Fred.
J’hésite à aller prendre une fiole de whisky (Famous Grouse, 25$) ou bourbon (J. Daniels, 38$, pas pire en cas de disette) car il faut refaire la queue à une caisse séparée et on a déjà passé beaucoup de temps à ces courses. Finalement je renonce, mais je note l’option. J’ai quand même pris une bouteille de syrah d’Afrique du sud. C’est moi qui paie le chariot (122$). Steve ne proteste pas trop. Il n’a pas oublié que je lui ai dit hier soir qu’il n’était pas question que ma mission ici puisse être assimilée à des vacances gratuites.
Clé socio-économique: peu de gens ici peuvent se permettre d’acheter dans ce magasin où les prix sont en gros les mêmes qu’en France. Il faut savoir que cette ville est la propriété de la société des charbonnages, Hwange Colliery) et la prospérité de la ville est le reflet de celle de la compagnie. Mais les choses sont en train de changer me dit Steve, la compagnie va mal. Ils ont viré 56 dirigeants récemment ! On peut se demander comment une entreprise peut avoir plus de 56 dirigeants, car ils ont du en garder un ou deux… C’est un concurrent sud-africain qui a ouvert la nouvelle mine à ciel ouvert. Beau dommage qu’on admirera en passant. Désastre environnemental total.

11h30 nous repartons dans l’autre sens. Steve a rencontré une équipe de rangers sur le parking en arrivant, qui a besoin d’aller à Sinamatella. Ils embarquent et il faut les conduire jusqu’au camp, puis refaire le voyage dans l’autre sens vers Gurangwenya.
Au passage du contrôle à l’entrée du parc Steve interpelle un groupe de gardes qui déjeune à l’ombre, et s’enquiert de savoir s’ils ont eu les pièges photos. Oui, disent-ils, ils ont vu des traces de rhinos ce matin : trois traces : adulte, préado et juvénile. Tout le monde est ravi. Dans un contexte où il n’y a plus que 5-6 rhinos dans le secteur de Sinamatella, c’est une nouvelle inespérée. Il faut savoir que la guerre des rhinos dans la IPZ (Intensive Protection Zone) contre les braconniers, est perdue. Nous en reparlerons avec le projet de zone rhinos clôturée.

Nous sommes finalement de retour vers 13h sur le chantier. Sur la route j’ai englouti un petit sandwich. Je prolonge avec une part de pizza (briochée !) et une demi pomme en arrivant.
Nick a un problème lombaire. Je lui proposerai du Voltarène plus tard (le vieux lombalgique que je suis ne part jamais sans lui).
L’équipe technique a bien avancé le travail. Les panneaux sont en place sur la structure support, la pompe a été descendue dans le forage et raccordée, l’eau coule à la demande, et la tranchée est presque terminée.
Il fait bien chaud. Le soleil cogne dur. Après un petit repos nous mesurons le débit de la pompe : 35 l en 30", soit environ 4 m3/h. Excellent débit. Les panneaux sont 36V/8,5A/310W (fabriqués en Chine).
Ensuite nous repérons le parcours que devra suivre la canalisation bien enterrée jusqu’à la mare à 400 m de là. Il y a de l’eau dans la mare. Il a plu la nuit dernière ou celle d’avant. J’en profite pour aller faire des photos du beau baobab pas loin. Il a une fleur.

Les terrassiers et les techniciens ont fait preuve d’une belle efficacité. Discutant rémunération, Steve me dit qu’il vaut mieux payer en direct une équipe d’ouvriers à la tâche, car cet argent leur permet de vivre, plutôt qu’un entrepreneur qui consacrera une partie du montant – la plus grosse souvent, ici – à améliorer le luxe de sa luxueuse villa. Meilleur pour l’économie bien sûr, et au delà, pour l’humanité. Et flexibilité en prime pour les tenants du libéralisme, néos ou archéos ou cryptos.

Nous repartons tous vers 15h. Il fait bien, bien chaud. Discussion sur la route avec Steve. Dans le contexte de sa démission de BT, il me parle de sa ferme près de Bulawayo, 13 ha avec une maison dessus. Il a déjà fait du maraîchage, de l’élevage de poulets – que sa fille a repris. Il pense peut-être entreprendre autre chose. Sue lui cherche un job en ce moment à Bulawayo (enseignant ? il a enseigné la biologie en Angleterre et il a déjà enseigné ici). Sue était bibliothécaire en Angleterre et elle a écrit deux livres pour enfants peu familiers avec la lecture. Elle pense essayer d’exploiter ce créneau éducatif plus largement. Leur avenir ici est problématique mais il se sent follement zimbabwéen. Revendication qui m’inspire un grand respect.

Arrivée vers 16h. Pas d’eau à la douche. Je me pose sur le lit en attendant qu’elle arrive et l’irréparable ordinaire survient : je m’endors sur mon bouquin. L’eau n’est pas revenue quand je me réveille. L’alimentation électrique de la pompe n’a pas été reconnectée me dira Steve. Poisseux jusqu’à ce soir donc, et demain peut-être, connaissant l’inertie de système.
Café. Les lions sont-ils partis ? Pas visibles en tous cas. Observation du petit abreuvoir de la cour où défilent écureuil, mangoustes naines (Steve me dit que parfois elles viennent jusque dans la maison), dassies, loriot d’Europe femelle, juste rentré de migration, tourterelles rieuses, emerald spotted dove, et autres piafs toujours là (white-browed sparrow weaver, calao à bec rouge, tourterelles du Cap). Bière et chips en rédigeant mes notes avant le dîner, que Steve nous mitonne avec enthousiasme, sur instructions de Sue.

19h, c’est la pleine lune. Je rêve d’un autre comptage de 24h à la mare de Masuma comme celui de 2009. Faut pas rêver… La plaine est fascinante dans sa robe de nuit pâle sous la lune. Des cris d’oiseaux s’élèvent encore de la mystérieuse obscurité de ce théâtre d’ombres, dont le voile immense s’étend aux pieds de l’observateur jusqu’à l’horizon pourpre orangé.

20h30 - A table, Steve est un peu en retard. Riz à la saucisse (genre Francfort). Moelleux et savoureux. Bravo Steve et merci Sue. Nick est à discuter avec un collègue du Painted Dog Conservation Project.
Pas un temps mort. Nous discutons pendant tout le repas, des problèmes de Steve, son histoire kafkaïenne de visa refusé, du fonctionnement des assos et du parc national, du devenir de BT à Sinamatella une fois lui parti, de la corruption, etc…

22h - Coup d’œil à ma messagerie avant de me retirer.
Toujours pas d’eau au robinet du lavabo, ni à la douche. Bof. J’ai les pieds sales, et le dos. Tant pis pour le drap.

Dimanche 13 novembre -
Je surfe douillettement sur la fin de ma nuit. Les bruits extérieurs me font émerger doucement. Une voix de femme qui chante émerge au loin dans un brouhaha d’autres voix. Messe locale peut-être ? Sinon, chansons de marche des recrues à l’entrainement, qui rappellent un peu le gospel. Finalement je me mobilise pour regarder l’heure. 7h. Je m’extrais du drap. Le thermomètre dit 29,1°. Ça va. Je regarde ma montre en la mettant à mon poignet. Surprise : il et 6h, pas 7 ! Bof, le soleil se lève, c’est la bonne heure.
Toujours pas d’eau au robinet. Nous sommes dimanche, donc il y aura de l’eau demain peut-être. Je finirai bien par me laver. Pas d’urgence, je ne suis pas encore odorant.

Mon iphone n’est pas sur la table de nuit. Impossible de mettre la main dessus. Pourtant je l’ai intentionnellement laissé dans la chambre hier matin. J’en parle à Steve au petit dej’. Impossible de le faire sonner, pas de signal ici. J’avais laissé la fenêtre principale largement entrebâillée hier matin et je me souviens avoir observé que le verrouillage par vis que j’avais bien serré était lâche hier soir en refermant. Un gamin a pu s’introduire dans la chambre et pirater ce fascinant miracle de technologie. Finalement je le retrouverai sous mon jean au fond de la valise, où je l’avais glissé par précaution. Vieux parano, et gâteux en plus.

Steve décide que nous irons à Tshompani pour changer l’onduleur (Lorentz) en panne, pour un autre qui fonctionne. Mais il a des doutes sur la compatibilité, et moi aussi, beaucoup (puissances très différentes). Après vérification dans mes docs il s’agirait de remplacer un 4000W par un 1800W. Vaudrait mieux pas ! Je sens déjà la fumée…

8h50 – Départ, avec Steve et Nick. Nous passons au local des gardes car deux éléphants morts ont été trouvés dans le secteur de Tshompani et il faut emmener un garde qui va récupérer les défenses. Mais finalement nous n’emmènerons personne, les gardes sur place vont gérer le problème.
Nous partons enfin. Steve escamote un petit drapeau du Zim qui flotte sur le pare-brise accroché au rétroviseur. Il me dit que l’affichage ou le port du drapeau du Zimbabwe est désormais interdit. L’histoire est intéressante. Il était d’usage pour les zimbabwéens en toutes occasions de déployer un grand ou un petit drapeau de leur pays. Et cette tradition disons "zimbabouillarde" mais inoffensive, conjointement aux angoisses existentielles d’un gouvernement paranoïde, à travers une série d’incidents dans lesquels la police a réprimé cette tradition, est devenue une manière pour les citoyens de signifier au gouvernement et à sa police qu’ils ne sont pas propriétaire du drapeau national - un député de l’opposition qui portait une chemise aux couleurs nationales est allé au trou ! - tant et si bien que ledit gouvernement a finalement décidé de l’interdiction de toute utilisation du drapeau dans des "circonstances non appropriées", dont il est évidemment le seul à détenir la définition. Chouette démocratie.
Nous passons la mare (lac) de Mandavu. Quelques kilomètres plus loin un groupe de vautours dans un arbre signale la présence d’une carcasse. Elle est à une cinquantaine de mètres de la piste. Il s’agit d’un jeune éléphant, probablement mort d’inanition. Steve appelle le QG des gardes et les informe. Ils viendront récupérer les défenses (tusks). Je fais quelques photos du site et des vautours.

carcasse vautours vautours marabout
Carcasse de jeune éléphant mort et vautours et marabout attendant de reprendre la curée.

pompe Masuma
Pompe solaire secondaire à Masuma.
pompe Masuma
Pompe solaire diesel historique de Masuma.
Plus loin, arrêt à la station de pompage de Masuma, dont la mare, à environ 200 m, est très prisée des éléphants, et où la pompe diesel tourne. Une unité solaire supplémentaire est en cours d’installation (avec 1 panneau cassé) pour hybridation du système, et une autre pompe solaire a été ajoutée sur un forage séparé (photo à gauche) car la demande sur cette mare est la plus forte du secteur de Sinamatella. Mais cette dernière, juste installée, ne démarre pas, probablement parce que les trois phases du triphasé ne sont pas dans le bon ordre. Pas d’arrêt à la mare de Masuma, d’heureuse mémoire (24h en 2009). Ce sera pour ce soir au retour.
carcasse à Shumba carcasse à Shumba
Carcasse d'éléphant et charognards à la mare de Shumba.

Arrêt à Shumba. Une autre carcasse de jeune éléphant git au bord de la mare. Elle est coiffée d’une foule affairée de vautours, et de marabouts qui picorent le squelette d’un air détaché. D’autres marabouts tournent autour avec leurs allures de notaires pressés tout droit sortis des pages de Molière, attendant leur tour.

percnoptère
Percnoptère d'Egypte, observation rare à cette latitude.
Steve voit immédiatement, loin de nous sur un arbre mort, le percnoptère d’Egypte dont quelqu’un lui a signalé la présence hier. Observation rare en Afrique Australe (45 en 70 ans). Nous faisons quelques photos pour l’homologation de l’observation. Zoom au max, la qualité photo est médiocre, mais pas de doute sur l’identification de l’oiseau. Nous passons sur la plateforme d’observation. Elle est à coté des panneaux solaires d’une pompe offerte par un riche donateur du Lichtenstein. La plateforme va être refaite et agrandie par BT. Steve et Nick prennent des mesures. Le niveau de la mare est bas, comme partout, mais bon néanmoins. Abords bien boueux, piétinés par les éléphants. Beaucoup de vanneaux, un héron cendré, quelques oies d’Egypte, un vol de travailleurs à bec rouge, un milan à bec jaune (d'Egypte) qui se laisse complaisamment photographier. Derrière la plateforme deux buffles se reposent sous un arbre de l’autre coté de la piste.

Ensuite, route vers la mare de Tshompani. La piste n’est pas trop mauvaise. Nous y sommes en une quarantaine de minutes. La mare est presque à sec, alimentée par la seule éolienne (récente).

éléphant@Tshompani
Eléphant et mare de Tshompani à sec.
Un éléphant s'éloigne après avoir siroté avec avidité un peu de l’eau parcimonieuse qui sort de la canalisation. Je note qu’il n’y a pas de plaque indiquant la donation par le Pic Vert de la pompe solaire (Lorentz PS4000, 12 panneaux de175W, Sharp), à une centaine de mètres de la mare. Elle est en arrêt technique pour un problème de capteurs défaillants. D’après Lorentz Harare le capteur d’ensoleillement n’est pas très utile. Il répond à un risque de cavitation en cas de faible ensoleillement pour les installations en Europe du Nord… Le capteur de manque d’eau a aussi un problème. Il a été réparé, puis changé. Lui aussi peut-être "strappé". Mais Steve ne veut pas prendre de risque. La pompe ne redémarre pas après un incident de faible lumière (créé artificiellement pour le test en étendant des couvertures sur les panneaux, le ciel étant déjà bien couvert). Mais un redémarrage général remet les choses en ordre.
panneaux
Panneaux solaires de la pompe du Pic Vert
à Tshompani pendant les tests.
Après divers tests nous concluons que c’est probablement la sonde de niveau qui est défaillante, sans exclure une défaillance interne du coffret de contrôle. J’ai une inclination pour cette option car c’est la seconde sonde qui se révèle défaillante. J’interrogerai Lorentz en rentrant.
La pluie arrive, mais elle sera très brève.

Déjeuner sandwich sur le tas. Après quoi nous enroulons les tuyaux et câbles restés sur place ce qui nous vaut des mains très sales. Et nous laissons la pompe en arrêt. Passage à l’éolienne voisine où j’apprends que les éléphants ne franchissent pas une corde tendue avec des petites masses suspendues (je suggère la clôture électrique). Puis nous repartons après que Steve ait grimpé sur la structure pour une vérification de dimension de pièce à changer. Cette éolienne, donation récente, a bien changé la perception de cette technique de pompage par BT car elle s’est révélée fournir environ 19-20 m3/jour d’eau pompée en moyenne sur la saison, ce qui est fort honorable. Le même modèle est installé en dessous du camp de Sinamatella et donne entière satisfaction avec l’avantage de ne requérir pratiquement aucune maintenance.

tawny
Superbe aigle ravisseur à Tshompani.
paysage
Paysage à Shumba.

Sur ces considérations nous repartons vers Shumba. La cabine du Toyota est très odorante, conséquence de deux jours sans eau au camp, et d’une suée matinale. Il est temps que ça cesse car je dois me coller le nez à la portière pour limiter le captage des effluves. Un magnifique Tawny eagle perché dans un arbre mort pose sans se faire prier pour quelques photos.

Le ciel est gris sombre et la pluie commence à tomber.
15h – Arrêt à la Mare de Masuma comme prévu. Un petit pèlerinage pour moi. Un groupe d’éléphants quitte la mare comme nous arrivons. Il pleut un peu. Un méchant coup de tonnerre claque pour saluer notre arrivée. Merci le ciel.
Nous nous installons sur la plateforme qui domine le mare d’assez haut – disons 10m - et offre une belle perspective sur la brousse environnante. Café !

éléphant
Éléphant solitaire à Masuma.
Masuma
La mare de Masuma, alimentée d'eau pompée.
Un éléphant solitaire arrive en tanguant lourdement. Il vient directement au déversoir de l’eau pompée qui court dans un caniveau-abreuvoir de pierre avant de s’écouler vers la mare. C’est un habitué. Il vient là où l’eau est fraiche, et se met à boire. La mare est en très basses eaux (la pompe du nouveau forage n’est pas encore en action, et celle qui va hybrider le diesel a un panneau cassé). Je ne vois pas les deux crocos (de 2011 et 2013). Steve me dit qu’il sont bien là, quelque part, néanmoins. Un éléphant barrit au loin, qu’on ne verra pas. L’orage, un peu frimeur, déroule de furieux coups de tonnerre, mais s’exonère largement de la pluie qui normalement va avec. L’éléphant s’éloigne, explore de la trompe un vieux trou, puis revient, s’arrête, hésite, semble réfléchir. Il a l’air au bord de l’épuisement total. Où trouver les 100 kg de végétation nécessaires à sa nutrition pour aujourd’hui, et pour demain, et après…, dans ce milieu lunaire où tout est si horriblement sec ? Finalement il remonte vers l’abreuvoir et se remet à boire.
Les hippos ne sont pas là non plus. Ils ont peut-être migré dit Steve. Ils peuvent être observés loin de l’eu. Il me dit en avoir vu dans la plaine de Sinamatella. En fait ils sont là, immergés dans la boue, nous les verrons plus tard à l’occasion d’un autre passage.
Et il est temps de filer.

Sur la route Steve me parle - je ne sais plus comment la chose est venue – de Leon Valey un opérateur de tourisme local particulièrement flamboyant, guide naturaliste célébrissime dans le Landernau des broussards locaux. Personnage très haut en couleur avec qui on ne s’ennuie jamais. Son agence (Back packing Africa) n’accepte que des clients en bonne forme physique et il garantit les émotions fortes. Il est tombé un jour nez à nez avec ses clients face à un groupe de braconniers zambiens armés. Il a tiré le premier et il en a tué un. Les autres ont fui. Invité à un mariage en Afrique du Sud, il a forcé sur le whisky et il est tombé d’un balcon, premier ou deuxième étage, on ne sait trop. Il a repris son activité après un long séjour à l’hôpital. Une autre fois, en panne avec son véhicule à Gurangwenya, il décide de rentrer avec ses clients à son campement à pieds : 40 km de brousse ! Imaginez la traversée du Vercors sous le soleil par 40° à l’ombre.

défenses
Défenses d'éléphants trouvés morts en brousse,
déposées au local des gardes. .
Nous passons poser les défenses d’éléphants collectées au cours de la journée, au local des gardes du parc, en même temps que des défenses d’hippo remises à Steve par les gardes de Tshompani. Et nous nous posons enfin. Il est 16h15.
L’orage nous salue ici aussi d’un claquement sec comme nous arrivons. Mais peu d’eau là encore.
Je cours vers ma douche. Pas une goutte. Normal, c’est dimanche. Mugabe ne va pas venir faire tourner la pompe lui-même.
Les lions sont partis, les impalas occupent le terrain.
31,2° au thermomètre dans ma chambre. Ça vaut une petite sieste.

J’émerge vers 17h30. Steve est ravi. Il a un PC sans protection antivirus qui était farci de diverses de ces petites bêtes (trojan, chevaux de Troie) qui le faisaient ramer horriblement, et il ne savait comment s’en débarrasser. Je lui ai suggéré d’avoir recours à un site de nettoyage en ligne qui vous fait le ménage et vous propose ensuite un abonnement (ce que je fis par le passé avec STOPSIGN pour mon vieux PC maison). Il a suivi cette recommandation et recouru aux services d’AVG, qui lui donne toute satisfaction. Comme neuf ! enfin, presque.

Je loue sa proposition d’ouvrir une des bouteilles disponibles pour l’apéro ce soir. Ce sera la syrah d’Afrique du Sud achetée au supermarché qui se révèlera être un joli vin, jeune (2015), bien sur le fruit, et pourvu des belles qualités en bouche qui font le bonheur du dégustateur. Il ira très bien avec les pâtes à l’italienne que Sue lui a programmées. Nous passons à table vers 20h45. Repas agréable.

Fin de soirée vers 22h30 après avoir squatté l’ordinateur de Steve pour consulter ma messagerie et virer les pubs et autres courriels pourris qui l’envahissent. Pas eu le courage d’aller chercher sur internet la bonne configuration manuelle de mon macbook pour accéder à son damné wifi. Demain ! car il fera jour.
22h30 - Une fois au lit, impossible de lire plus d’une demi page avant que ma vieille cervelle ne décroche. Dur d’être hors d’âge, pas comme le cognac, hélas.

Lundi 14 novembre -
Nuit calme avec une petite interruption.
Réveil vers 6h20. Température 25,5 ° dans la chambre. Ciel couvert, espoir en chemin.
Enfin de l’eau ! Enfin une douche ! Ouaaaah !
Petit déjeuner habituel. Aaarrgh ! en voyant le pot de confiture je réalise que j’ai oublier d’apporter à Steve et Sue un pot de mon miel. Il faudra que je rattrape cette omission en rentrant.
Un piaf sur les branches autour de l’abreuvoir des oiseaux où il y a foule ce matin, a un profil et un comportement qui laissent peu de doute : pouillot (willow warbler). Pouillot fitis, car le véloce ne semble pas descendre aussi bas en latitude (doc internet). Steve me dit qu’ils arrivent vers la fin septembre. Donc cette petite merveille de biotechnologie de moins de 10 grammes, que le ciel a confié à la planète, fait 9000 km en un mois environ avec ses tout petits muscles et sa poignée de plumes, sans réacteur ni kérosène. Et on va encore s’ébahir sur les exploits technologiques de l’humanité, les galaxy et les iphones, et à peine prêter attention à la disparition accélérée des espèces vivantes qui sont autant de miracles de biotechnologie, que notre mode de vie extermine à un rythme hallucinant si on considère la bonne échelle de temps. Réalité que personne ne semble regarder en face en dehors des experts scientifiques, et qui ne préoccupe les média qu'occasionnellement.
Un grand aigle patrouille au-dessus de la plaine déserte, hormis les phacochères et les impalas qui font partie du paysage.
Nick file sur Bumbumutsa, une mare reculée qui m’a beaucoup fait rêver il y a trois ans quand nous recherchions les sites de nos futures installations. L’autorité du parc avait décliné la proposition car cette mare à la limite de la zone controlée du parc, était un point d’eau pour les braconniers zambiens, et son aménagement aurait requis qu’elle soit incluse dans les patrouilles des gardes qui avaient déjà bien du mal à faire face à l’ampleur de la tâche (1400 km2 pour le secteur de Sinamatella).
Il semble que le problème ait disparu de lui même avec la réorientation de l’activité des braconniers vers les éléphants plutôt que vers les rares rhinos noirs qui restent, et vers d’autres secteurs géographiques du parc. Triste.
Car la bataille des rhinos noir de Sinamatella (IPZ, zone de protection intensive) est perdue, il faut le savoir. Ils étaient une vingtaine lors de la mission de suivi en septembre 2009. D’après Steve il en reste cinq ou six dans le secteur (combien sur la planète ?). Et pas de publicité sur ce drame s’il vous plait, qui achemine une espèce aussi précieuse qu’emblématique vers l’extinction totale. Car les autorités du parc très préoccupées de leur réputation bien endommagée avec l’histoire du lion Cecil l’an dernier abattu à l’arc par un crétin décervelé du Middle-West, et celle des éléphanteaux vendus à la Chine, se protègent désormais des médias de la manière la plus bête qui soit, en censurant les informations, lesquelles finiront forcément par apparaître, là où ils ne les attendent pas, et leur revenir dans les dents. Elles commencent ici d’ailleurs.
Il est question de créer comme au Kenya et en Tanzanie, un secteur clôturé dont l’aire réduite mais appropriée pour les rhinos noirs, permettrait d’assurer efficacement leur protection. La chose mijote semble-t-il dans la marmite des décideurs de la politique du parc, en coordination avec BT. Voir plus loin.

Nous partons vers 9h pour une boucle Mandavu, Masuma, Lukosi (enfin), et Baobab.
A Mandavu vers 9h40, deux gardes féminines du parc nous accueillent dans l’enclos de leur guérite résidentielle dans un coin reculé de l’aire de pique-nique derrière la superbe plateforme d’observation qui donne sur le lac, site touristique renommé et en état de décrépitude assez avancé comme tout le reste.

diesel@Mandavu
La pompe diesel pour l'eau sanitaire de l'aire de Mandavu.
diesel@Mandavu
Maintenance de la pompe.
Il n’y a plus d’eau pour les toilettes, il faut démarrer une vieille pompe diesel (lister) qui pompe l’eau du lac et alimente un réservoir (cf photos). La plus jeune des gardes descend sur la berge pour remplir la sortie du tuyau et la relever pour amorcer la pompe. Steve est à la manivelle de démarrage, et je tire sur la courroie de transmission sans quoi rien n’est possible tant ce matériel est hors d’âge, contre l’avis de Steve qui a peur que j’y laisse quelques doigts. Ho hisse ! Après quelques tours de manivelle aidés par le halage sur la courroie, le monstre éternue, hoquette, crache quelques bouffées de noire fumée, hésite encore, et finalement accélère puis stabilise sa rotation, et cesse de nous empoisonner. Elle tourne ! Nous la laisserons pomper un moment, le temps de remplir le réservoir.
Un ensemble de quatre petits panneaux solaires est installé à coté. "It was a toy pump" me dit Steve, ironique. Mais les panneaux peuvent être utiles.
En remontant Steve rencontre un couple, dans la petite quarantaine, avec qui il discute un moment. Je les rejoins. Vague présentation. Elle parle un peu le français. J’évoque le projet sur sollicitation de Steve. Plus tard j’apprendrai que lui était Brent Stapelkamp qui travaillait pour le programme Lions d’Oxford et qui encadrait occasionnellement le groupe de volontaires de Planète-Urgence dont j’étais en 2009. C’est avec lui que nous nous étions perdus dans la forêt la nuit après une intervention sur une lionne (cf journal 2009). Il était au volant du Toyota et j’étais debout derrière sur la nacelle avec les volontaires, le nez en l’air à la recherche des pointeurs de la Croix-du-Sud pour nous diriger. J’ai trouvé les pointeurs, et Brent nous a ramené sur la piste. Brent était fou de ses lions. Je suis bien marri de ne pas l’avoir reconnu car j’aurais bien aimé le saluer et évoquer avec lui ce souvenir fort.

Nous reprenons la route. Courte halte à la carcasse du jeune éléphant pour compter les vautours (population en déclin).
Il fait beau. Ce parcours dans la brousse africaine, fascinante et lumineuse, quadrillée par les sentes de milliers d’animaux, est magnifique. Nous croisons quelques groupes d’impalas, paisibles en apparence, mais toujours sur le qui-vive.

buffles@Mandavu koudou vautour, vautour
Petit troupeau de buffles à Mandavu, Koudou en forêt, et vautours à dos blanc.

steve électricien
Steve électricien de terrain.
picnic
Pique-nique sur hayon.
Arrêt à la pompe solaire juste installée qui ne démarre pas de Masuma pan. Croiser deux des fils du câble triphasé devrait régler le problème. Et ça marche. Steve réalise des raccordements de brousse hautement bricolés, avec épissures tortillons et scotch électrique. Nous repasserons demain pour faire un raccordement plus sur.
Steve me raconte qu’un jour, une grosse panne de la centrale électrique de Hwange les a laissés sans électricité pendant plusieurs jours. Et lorsque l’électricité a été rétablie, tous les moteurs triphasés tournaient dans le mauvais sens…. Burlesque. Buster Keaton électricien.
Coffee time !
Une équipe viendra terminer la tranchée et raccorder la tuyauterie à la canalisation existante de la pompe diesel située à une centaine de mètres. Steve laisse l’eau couler un moment dans la tranchée. Je la goutte, elle très claire. Horreur salée et saveur putride, que j'aurais juré à faire fuir un troupeau d'éléphants. Il n'en est rien. Je dois me rincer la bouche à la gourde. Les éléphants sont moins difficiles. Je me demande comment ils peuvent boire ça. Et avec un tel régime ils devraient développer des pathologies cardiaques, vasculaires, et autres, à tour de bras… et les impalas, et…. Bref, je ne sais trop.

diesel
Réparation de la pompe diesel historique (Lister) .
La pompe diesel, hors d’âge, a aussi besoin d’une intervention : fuite du capot de pompe à gasoil à cause d’un filetage foiré. Mais le capot de remplacement n’est pas vraiment mieux. On trouvera une autre solution.
Cette pompe est aussi en cours d’hybridation. Le moteur diesel n’actionne plus la pompe directement (cf photos) mais un générateur électrique qui alimente un groupe moteur-pompe comme ceux que nous avons déjà installés, et qui va être interfacé avec l’onduleur associé à un plan de panneaux solaires dont un a été cassé, ce qui retarde la mise en œuvre.

Il est 12h30. A table ! nous roulons jusqu’à l’aire de pique-nique et nous nous posons sur la plateforme d’observation de la mare, qui me rend toujours un peu euphorique. Il y a un groupe de touristes déjà installé, mais assez de place pour tout le monde, elle est grande. Menu de brousse habituel. Mais le meilleur est sur et autour de la mare, sous nos yeux. Beaucoup de vanneaux forgerons (blacksmith lapwing) comme partout, héron cendré, squacco herons, sarcelles hottentotes, inhabituelles en cette saison.
Je sors mon Pentax, enfin, pour la circonstance.
Un groupe de zèbres stationne à l’écart de la berge après s’être abreuvé, et semble vraiment ne pas savoir où aller, ni quoi faire d’autre qu’attendre la pluie. Comme l’éléphant de l’autre jour.

impalas zèbres phacos, héron&grenouille
Impalas et piquebœufs à bec rouge, zèbres et phacochères, bain de boue des phacochères, et héron s'emparant d'une grenouille à la mare de Masuma .
Finalement ils surmonteront leur timidité ou tromperont leur attente en venant apaiser leur soif insatiable directement dans l’abreuvoir tout en longueur situé sous la plateforme, qui reçoit l’eau de pompage en direct de la pompe, garantie fraîche donc. Et tout près de nous donc (disons ~20 m). Une famille de phacochères les imitera et viendra se vautrer sans retenue dans la boue sous le déversoir du bassin d’où l’eau s’écoule ensuite vers la mare par un petit ruisseau (cf photos). Un couple de mes chers impalas à la à la démarche un peu précieuse, à la beauté si délicate, si parfaite, et si émouvante, fera de même, m’offrant le privilège de quelques photos peut-être réussies.
zèbres surex cigogne crocos impala
Rêve de zèbres, Cigogne à bec jaune, crocodiles sur la rive d'en face, jeune impala
Un guêpier d’Europe passe.
Le zoom du Lumix se bloque de plus en plus souvent. Souci.

14h - Il faut partir. En route vers la mare de Lukosi, la dernière en date du partenariat, installée en septembre, que je brûle de découvrir.
Nous croisons un groupe de buffles qui pâture au bord de la piste. Ils se cachent, les vaches ! Steve me recommande de ne pas sortir si je ne veux pas terminer mon parcours sur cette planète encorné et piétiné. Car ces gars là n’ont aucun sens de la relation humaine, ni aucun humour, pas du tout le souci de leur communication (comme dirait JFN), et ils sont teigneux comme pas possible, même avec les bipèdes pacifiques et curieux que nous sommes (sans fusil). Bref, pas de photo.
Quelques rolliers à longs brins (lilac-breasted) haut perchés, observés en passant, et des pintades aussi, et des francolins du Natal, et d’autres pas notés.

panneaux éléphants lukosi éléphants lukosi, Lukosi mare
Mare Lukosi: panneaux solaires de la pompe du Pic Vert, éléphants femelles et éléphanteaux à la mare, vue générale de la mare
Arrivée à la pompe de Lukosi vers 14h40. Steve nous arrête près des panneaux solaires et du forage sur un petit promontoire qui domine la mare (photos). Je prends le temps de découvrir le site pendant une minute ou deux. La mare est nichée au creux d'un bourrelet de terrain en fer à cheval, qui la domine de quelques mètres. Le lit de la rivière est juste derrière. la branche coté rivière est arborée. C'est là que les gardes ont établi leur campement.
Deux éléphantes et leurs éléphanteaux respectifs s’abreuvent. L’une s’écarte prestement en nous voyant, suivie par son loupiot. Puis elle revient, un peu rassurée, et se remet à boire à coté de l’autre. Sorti de la voiture je photographie avec bonheur depuis un point de vue praticable entre les buissons.
Finalement ils s’en vont et nous pouvons descendre jusqu’à la mare, dont les abords sont totalement piétinés par les éléphants. Les deux garde qui campent de l’autre coté de la mare sous de grands arbres, nous diront qu’ils étaient une cinquantaine une demi heure auparavant.

Steve pense aménager le site, et créer une plateforme d’observation, et peut-être proposer au parc un camping pour les touristes. Il ne peut s’empêcher de faire des projets alors qu’il quitte BT le mois prochain. J’approuve évidemment.
Nous rencontrons les deux jeunes gardes et nous discutons un moment sur la berge élevée de la rivière Lukosi (à sec) toute proche, dont le lit très sablonneux avait été envisagé pour la réalisation du forage avant que lui soit préféré l’autre site, à cause de l’incertitude sur le rendement en eau du forage.

Quelques impalas et trois phacochères s’approchent de la mare, un greenshank fouille la berge. Steve me dit qu’il faudrait penser à une autre mare sur la cours de la Lukosi, à l’échelle de 5-10km pour assurer une bonne distribution de la faune dans ce secteur géographique.

L’heure tourne, il faut filer sur Baobab pas très loin, à un quart d’heure - vingt minutes. Nous y sommes rapidement.

panneau Baobab mare Baobab mare Baobab
Mare Baobab: panneau d'accueil (créé sans concertation par Trevor), mare et abreuvoir.
La mare a un excellent niveau d’eau. Les panneaux solaires sont en bon état. La zone périphérique du plan d’eau est assez totalement déboisée par les éléphants. A comparer avec l’état de la végétation lors de l’installation en 2011. C’est impressionnant. Et c’est une mesure de sa fréquentation. De centaines d’éléphants viennent boire tous les jours. Le sol du talus périphérique fourmille de traces de sabots de girafes, buffles, zèbres, antilopes,… Réjouissant. Tout va bien ici aussi.
Nous dérangeons un groupe de canards à bosse (knob billed duck). Je serais curieux de connaitre la fonction physiologique de cette grosse protubérance qu'ils ont devant les yeux et qui doit méchamment les faire loucher. Ils referont plusieurs passages ensuite au-dessus de nos têtes en manifestant leur intention de retrouver leur pâture.
canards à bosse knob billed canard et oie
Canards à bosse et oie d'Egypte.

16 h - Cap sur Sinamatella pour boucler la boucle. Bref arrêt à l’éolienne en dessous du camp. Le même modèle qu’à Tshompani. Pompage à 27 m. Elle actionne un piston comme pour les pompes à main, par un système bielle-manivelle, simple et robuste, quasi inusable.

Retour au camp avant 17h. Chaleur terrible. Le juge de paix dit 32 solides degrés dans ma chambre. La douche est délicieuse, tout comme la bière qui suit, et devant laquelle je savoure le sentiment gratifiant de n’avoir pas mobilisé mon énergie pour rien.
Assez pour l’auto satisfaction. Heuheu, finalement non:
Plus tard, puisque cette journée a été faste, je décide de m’attaquer au problème de la connexion internet inaccessible aux volontaires PU qui ont un Mac ou un produit Apple, et cela depuis des années (depuis 2011 je crois, pour moi). Même Sue, qui vit ici, a un iPad qu’elle ne peut utiliser en mode connecté. Pour cela je squatte le PC de Steve et je demande à un moteur de recherche bien connu et dont le crypto-impérialisme, encore latent, mais émergent ici et là, et démesuré, et bientôt incontrôlable, et qui fait un peu froid dans le dos de beaucoup, y compris le mien, de bien vouloir me renseigner sur les mots clés que je lui donne à moudre. Dans la fournée qu’il me livre il ne faut pas longtemps pour que je trouve mon bonheur dans la jungle des forums, sites d’assistance en ligne, etc... Merci Orange, mon FAI et M préféré, que j’engueule volontiers copieusement souvent, et qui me donne cette fois sans me faire attendre des heures, la solution de mon problème. Je configure manuellement ma petite boite argentée selon les recommandations du site, et clic, le miracle, je suis connecté. Fiérot, je bombe le torse une fois de plus. Va falloir sa calmer sur le front de l’ego sinon je ne vais pas tarder à ressembler à certaines de mes connaissances. Et je me précipite coté cuisine pour sidérer Steve et Nick de la dimension galactique de mon exploit, bien que néanmoins à la portée de tout homo erectus vaguement initié aux secrets de la planète Digits, et un peu curieux et déterminé. Ils en sont baba évidemment et grand est mon prestige. Et Nick se jette sur l’iPad de maman pour le connecter, et je traite de même mon iPhone. Et tout marche. J’ai donné à Steve le fichier descriptif du protocole de configuration manuelle. Ainsi les futurs volontaires PU pourront louer ma qualité de grand sorcier de la brousse des digits.
Du coup, comme pour les contes de fées qui commencent par "Il était une fois…", celui-ci se termine par "ça s’arrose !", et nous ouvrons dans la liesse une des bouteilles que j’ai apportées. Syrah d’Afrique du Sud, pas mal, avec du muscle, bien sur le fruit aussi, vin rond et généreux, aux tanins indulgents.
Le vin ne déshonore pas le riz à la tomate et au blanc de poulet que Steve nous a mitonné. J’ai oublié ce dont nous avons parlé ce soir-là, mais de mares et de piafs évidemment, de braconnage peut-être, et de politique sans doute, et assez bas pour ne pas être entendus alentour.
Le vent s’est levé avant le dîner et a bien rafraichi l’atmosphère. Steve est Nick ont enfilé le sweat, un peu frigorifiés par ce bas de 26°C.

Au lit vers 22h. Hors d’usage le papy.

Mardi 15 novembre -
Nuit non-stop. Réveil 5h50. Lever 6h. Le soleil a émergé avant moi, d’une petite demi-heure. Température 25,5°; coool !
Pas d’eau au robinet à 6h. Mais il y en aura à 7h.
Peu d’oiseaux au bassin alors qu’il y avait foule hier. Steve est en train de mettre la table. Petit dej aux céréales, toast et thé.
A 8h nous partons pour la corvée de poubelle à la décharge. Nous longeons la tranchée d’adduction d’eau en cours de réalisation, prévue par l'autorité avec un tuyau type Plymouth de 50 mm sur 5km (oui, oui !), programme en route inexorablement, malgré la déroute annoncée avec le rappel à la réalité par des gens compétents adressé aux décideurs de ce génial projet. C’est ainsi. L’eau n’a pas fini de manquer donc.
Arrêt au QG du camp à l’entrée pour saluer le directeur qui souhaite nous voir. Très affable il me remercie de ce que nous faisons pour le parc, à quoi je réponds que nous menons ce projet avec un grand enthousiasme (vrai !) et que nous sommes très contents des résultats obtenus jusque là, et que nous espérons faire œuvre utile. Je le remercie aussi de son hospitalité et j’ajoute quelques mots des perspectives futures. Steve y va d’un petit éloge convivial du projet, et nous partons contents.

dump
La décharge

Le spectacle de la décharge est aussi triste qu’on pouvait s’y attendre. Toutes les incivilités y sont accumulées. Il faut brûler ses déchets sur place. Pas de récupération des canettes d’alu pour recyclage, plus de récupération du verre, l’entreprise a déposé le bilan. Pour l’alu, une ONG au Botswana finance le transport en Afrique du Sud pour le recyclage. Rien de semblable ici. Je commente peu. Ce pays part en quenouille et se décompose doucement en attendant que son président tire sa révérence.
Ensuite nous passons à Machambo Pan, une mare naturelle à l’origine, alimentée par pompage aujourd’hui, après que Sue l’eut découverte et qu’une entreprise de tourisme - Wilderness Safari - ait accepté de financer l’opération. Elle est bien pleine et le milieu environnant est évidemment maltraité par les éléphants. Nous passons par l’ancien aérodrome où Trevor atterrissait il y encore quelques années avant de vendre son Cessna (il en avait quatre pour son entreprise de tourisme).
Nous avons croisé grey headed shrike, little bee eater et black drongo sur la route.
Retour au camp vers 9h pour préparer l’étape suivante : Transport de gardes à Mandavu, puis passage à Masuma pour poser une barrette de dominos de connexion électrique qui permettra de refaire proprement la connexion de l’alimentation du moteur de pompe bricolée à la hache hier, puis comptage de piafs dans la cellule cartographique de Shumba (projet SABAP2), et retour au camp dans l’après-midi.

Nous repartons à 9h50 après le café et après avoir embarqué le kit de survie habituel et le matériel de terrain. Nous embarquons à l’arrière deux gardes féminines qui vont relever les deux avec lesquelles nous avons collaboré hier à Mandavu et nous passons prendre leur ravitaillement pour les trois semaines à venir.
Finalement nous quittons le camp après que Steve ait discuté un moment avec un naturaliste du Painted Dog Conservation Project. Le paysage est toujours aussi désespérément sec, mais par endroit, ce qui reste de forêt terriblement mutilée par les éléphants, qui a vu un peu de pluie, se constelle doucement de petites étoiles vertes. Et même, juste avant Mandavu, les mopanes d’une petite zone de forêt ont déjà développé un superbe feuillage qui coiffe leur sommet d’un joyeux toupet d’un beau vert tendre, et l’ensemble, sur disons un petit hectare, constitue une réjouissante bouffée de printemps. Steve dit que c’est peut-être l’aquifère lié au lac tout proche qui permet à ce coin de brousse précurseur de claironner l’arrivée de l’été australe en vert pastel.

Wahlberg eagle
Aigle de Wahlberg et son nid près de Mandavu
paysage
paysage entre Mandavu et Shumba
Nous débarquons les filles au camp de Mandavu. Je donne un coup de main pour transporter les sacs et caisses. A l’intérieur de la maisonnette aux murs nus, du poisson sèche sur une table. Les cannes à pêche font partie du matériel débarqué.
Ensuite nous filons jusqu’au pompage de Masuma où nous posons la barrette de dominos. Puis cap sur Shumba sans nous arrêter à la plateforme de Masuma. La limite du pentad (cellule de comptage cartographique du projet SABAP2) de Shumba est atteinte. Nous commençons le comptage. Le secteur a l’air désert mais l’impression est trompeuse. Il y a du monde et nous avons de l’ouvrage (cf liste des observations de ce jour, 55 espèces). Ensuite nous roulons jusqu’à la mare de Shumba où la carcasse de l’éléphant mort a toujours beaucoup de succès. Plusieurs espèces de vautours se régalent : white-backed, lappet-faced, hooded, le percnoptère d’hier a dû aller voir ailleurs. Et black throated canary dans les buissons alentour. Un couple de superbes grues couronnées pâture sans prêter attention à nos objectifs. Un passage sur la plateforme nous permet d’inscrire les espèces présentes sur la mare : hamerkop, Namaqua dove, grey crowned crown, egyptian goose, knob billed duck, etc... Puis lunch dans l’aire de pique-nique, sur la table que je fréquente tous les deux ou trois ans depuis 2009. Dans les grands arbres du camp : scarlet chested sunbird, paradise whydah (mâle), tawny flanked prinia,.. Menu : comme hier, comme avant-hier. Ensuite nous prenons a route de Tshompani et Steve s’engage sur une piste qu’il n’a jamais empruntée et qui nous mène à une mare asséchée, ce qui explique qu’il observe fréquemment des éléphants à cet endroit depuis la route principale vers Main Camp voisine. Photos d’un lilac breasted roller pas farouche en haut d’un arbre depuis la voiture. Puis nous retournons prendre la route de Main Camp et nous roulons jusqu’à Dwarf Goose Pan, scène miraculeuse de la fantastique richesse aviaire du parc en 2011 pendant l’installation de la pompe de la mare Baobab qui m’a laissé un souvenir exceptionnel (cf journal 2011). Elle est aujourd’hui totalement asséchée, sans une trace de vie. Terrible vision. Je fais quelques photos pour la comparaison.
Retour sur Shumba et arrêt avant la carcasse : hirondelles rustiques de chez nous, un petit groupe de zèbres avec un tout jeune poulain s’avance vers nous, change de direction pour nous éviter, et traverse vers la mare assez loin devant nous. Photos.
hooded grues rollier zèbres
Vautour charognard (ils le sont tous !), couple de grues couronnées, rollier à longs brins (lilac breasted roller) et zèbres encore.
Un aigle bateleur passe.
Le ciel est très gris à gauche, coté soleil, et plutôt bleu à droite. Il ne pleuvra pas finalement.
Retour vers notre base.
Arrêt touristique à Mandavu plage où une spatule en nettoyant son plumage le gonfle et lui donne une forme ébouriffée d’une beauté ébouriffante. Trop loin pour la photo. Une cigogne africaine yellow billed stork fouille la grève du bec, les pieds dans l’eau, entourée de gravelots, vanneaux, échasses blanches (stilt). Le couple d’échasses blanches nous honore d’une parade suivie d’un bel accouplement comme ceux que j’ai pu observer dans le marais derrière la maison au Boutillon. Photos évidemment.
stork échasses échasses hérons
"Mandavu-plage": Cigogne à bec jaune, câlin d'échasses, attendrissant, et empoignade entre ados dans la famille hérons, la mère est impuissante mais digne.
Nous passons prendre les gardes à l’aire de pique-nique et nous en profitons pour relever les paramètres électriques des panneaux solaires inutilisés pour un remplacement éventuel sur le site de Masuma (un panneau cassé). Mais je doute de cette possibilité. Un dernier joli spectacle avec une famille de hérons cendrés - un parent et deux juvéniles - sur leur nid au sommet d’un arbre qui s’empoignent avec force gesticulations et croassements. La mère finit par dire à ses gamins : "vous me cassez les pattes, je vais à la pêche", et elle file, dommage, du mauvais coté.

Arrivée à Sinamatella à 16h40. Il fait 32,5° dans la chambre.
Vite une douche.
Après quoi je cours me jeter sur une bière. Un très beau black-faced waxbill fait un passage éclair au bain des oiseaux. Steve revient de servir du gasoil à des touristes en manque, et se fait un thé. Nous bavardons. Je lui colle mes photos du percnoptère d’Egypte sur une clé USB pour l’homologation de l’observation. Il va envoyer ce soir la liste des observations de l’après-midi pour la cellule de Shumba du projet SABAP2. Comme je râle contre des fichiers anormalement empilés sur le coin de l’écran du bureau de mon macbook, et comme parmi ces fichiers certains sont des copies d’écran du secteur de Chamabonda dans le parc national Zambezi où BT a installé plusieurs pompes et où Trevor m’a promené le premier soir. Il me dit qu’il a une assez bonne carte (scan d’une carte papier) du parc, et me la montre, et me la décrit. Ce faisant, il me raconte qu’au début de sa présence dans la région il a campé avec Sue trois mois là-bas, au bord du Zambèze dans un site de rêve (confluent de la rivière Saminungu, que nous irons voir dimanche), car il n’avait pas trouvé de logement à VicFalls. Il s’occupait de la remise en état des pistes du secteur avec une équipe de terrassement. Il me raconte aussi qu’un soir deux membres de l’équipe avaient traversé le Zambèze en pirogue pour aller boire une bière, et probablement quelques autres, au village proche du fleuve coté Zambie. En rentrant - les circonstances exactes du drame n’ont pas pu être complètement éclaircies - un des deux jeunes est tombé à l’eau ou a imprudemment laissé un bras trainer dans l’eau. Et un crocodile du coin profitant de l’aubaine est parti avec le jeune homme. Les pêcheurs ont retrouvé des restes le lendemain. Brrrr… Mr crocodile ne plaisante pas.
Je vais faire une micro sieste.

Des pâtes à la saucisse (un peu coriace) pour le diner. Bien cuisinées par Steve comme d’habitude, arrosées d’un sauvignon d’Afrique du Sud acheté à une boutique hors taxe de Joburg. Déplorable. Liste noire. Acidité hors norme et arômes cafardeux. Arnaque indécente.
Steve envoie ses données au centre de collection du programme SABAP2 à l’université du Cap.
Fin de soirée 21:30.

Parfois je me demande pourquoi j’écris tout ça, qui va forcément colossalement barber la majorité des malheureux qui auront eu la mauvaise idée de passer par ces lignes. Mais bon, ça m’aide à conserver trace et mémoire de ces moments, en général heureux, parfois privilégiés, voire mémorables.

Mercredi 16 novembre -
L’aube est pâle. Je regarde l’heure : 5h10. Trop tôt pour atterrir. Je reste sur mon nuage.
6h – je me lève, un peu après le soleil. 24,5° dans la chambre : cool ! J’a mis le haut de mon pyjama cette nuit et arrêté le ventilateur de plafond.
L’imposte ouverte au dessus du lit m’a bien ventilé.
Pas d’eau au robinet à 6h, un peu à 7h. Je termine une petite lessive entreprise hier soir.
Je n’ai pas couru depuis plus de deux semaines et j’ai la cuisse douloureuse, en manque de stress d’effort.
Pas de lion dans la plaine.

6h15 - Petit dej. Steve et Nick sont à table.
Journée Trevor aujourd’hui. Il n’a pas dit quand il arriverait.
Matinée paisible comme aime en avoir une de temps en temps, pour se laisser un peu vivre. Je profite de cette liberté pour avancer ma rédaction, car une fois rentré, l’agenda va avoir un gros bide.

Vers 7h Je salue Emma qui arrive. C’est la jeune femme qui fait le ménage. Très timide, peu diserte. Elle vit dans un cabanon métallique du camp (hutte de tôle) que Steve m’a montré (photo bientôt j’espère) avec un enfant. Je pense qu’elle était déjà employée en 2013. Je lui ai confié la lessive de mes fringues sales.

En attendant Trevor …
Steve vaque à la maintenance et à la préparation du matériel et à la gestion de ses stocks de pièces de rechange.
Je passe la matinée à écrire, assis sur la terrasse, face au bain des oiseaux où défilent stochastiquement nos amis les piafs, parfois nombreux à patauger et s’arroser. Les écureuils, dassies, et mangoustes naines ne se privent pas de cette bénédiction dans un contexte où l’eau de surface n’existe plus nulle part ailleurs.
Tawny-flanked prilia, green-winged pytilia, blue waxbill (flock), Jamesons’s firefinch, gros Lézard, black-backed puffback (p358 du guide), tropical bubu (grand gonolek).

perroquets dassie dassie hérons
Perroquets de Meyer, daman des rochers (menu préféré de l'aigle de Wahlberg, et grand gonolek (tropical bubu) à l'appel si sonore.

En fin de matinée un garde du programme Painted Dogs vient profiter de l’internet de Steve et n’arrive pas à connecter son Mac… Je lui configure. Merci Michel !

Nous déjeunons du même menu que sur le terrain, avec chacun une assiette.
Il fait bien chaud. Je m’éclipse après le déjeuner pour une bonne sieste.

14h – Pas de Trevor.

Nick soudure
Nick soudant la structure de l'extension
du plancher de la plateforme de Shumba.
Steve cardan
Steve récupérant le croisillon du cardan
d'un arbre de transmission de camion récupéré.
Steve m’a laissé un mot. Il est à l’atelier. Reprise de mes travaux d’écriture qui seront ainsi moins lourds à finaliser une fois rentré à la maison. Je m’interromps pour descendre à l’atelier où Nick est en train de souder les éléments de la structure métallique en IPN de l’extension de la plateforme de Shumba. Il se débrouille assez bien. Tous ces éléments sont de récupération, parfois découpés sur d’anciennes structures, parfois soudés bout à bout. Patchwork de brousse.
L’atelier n’a pas changé depuis 2013. L’étau sur lequel nous avions découpé à la disqueuse les tiges filetées pour la fixation de la structure porteuse des panneaux solaires à Bumboosie-South est toujours au même endroit.
Steve entreprend un travail technique assez pointu. Il est le seul biologiste et naturaliste que je connaisse capable de démonter un joint de cardan sur un arbre de transmission de camion pour récupérer une pièce de rechange, le croisillon. Il extrait les circlips de verrouillage comme un pro. A la fois puits de science de terrain et technicien accompli, en mécanique, électricité et électronique de brousse. Quand on pense au nombre de types que nous connaissons tous, qui se prennent pour des intellectuels parce qu’ils ne savent pas se servir d’un tournevis, ça fait rêver. Stephen Long, perle rare de la brousse est un vrai lion.

Steve at ridge
Steve et Nick au spectacle de la plaine de la Sinamatella.

Je remonte à la maison. Les francolins de Swainson courent partout dans le camp. Mais pas de pintades. Je soupçonne qu’elles doivent faire saliver plus d’un résident mal payé ou pas payé du tout. Steve me dira que non, c’est le milieu qui leur est peu favorable. Mauvaise langue.
Toujours pas de Trevor.
Nous prenons le café vers 16h15 après que Steve & Nick aient terminé leur journée. Et nous allons nous poser sur des sièges de toile, côte à côte, devant le grand théâtre de la nature étalé à nos pieds, pour assister à l’épisode du soir. Un loriot doré superbe (golden oriole, oriolus auratus) courre d’un arbre à l’autre.

Tout en observant nous parlons cultures Shona et Ndebele (ethnies dominantes du Zimbabwe, plus Nambia, minorité locale) et rivalités ethniques et leurs séquelles politiques, et histoire du pays. Et aussi braconnage : une ligne de collets a été trouvée par les gardes du parc dans le secteur de Tshakabika. La chasse au braconnier est ouverte chez les gardes. Mais ces braconniers-là sont des petits joueurs qui cherchent un peu de viande de brousse pour survivre, le plus souvent, les lampistes.

girafe & zèbres dassie forêt verte forêt sèche
Girafe et zèbres à nos pieds, girafe à l'abreuvoir, forêt verdissant et forêt de saison sèche résiduelle, vues du même endroit.
J’aperçois dans mes jumelles deux éléphants qui arrivent de l’ouest. Ils viennent boire dit Steve. A la mare de l’éolienne ? Non, dans les trous du lit de la rivière Sinamatella dit-il. Les éléphants progressent sans se presser mais à grands pas. Ils rejoignent puis remontent le lit de la rivière.
Un rideau de pluie dessine sur l’horizon sa trame verticale dans un ciel globalement clément.
Un des éléphant s’arrête et fouille de la trompe ce qui doit être un trou (ils sont loin). Il rejette de la boue, semble goutter l’eau, qui finalement doit manquer ou ne pas lui convenir, il s’écarte et sonde un autre trou du lit de la rivière. Il purge, semble boire et bizarrement rejette de l’eau claire. Trop salée peut-être dit Steve, ou nauséabonde. Si j’en crois ce que j’ai goutté hier, cette hypothèse me semble réaliste.
L’autre éléphant est dissimulé derrière la ligne verte de crotons qui bordent la rivière. Le croton est un arbrisseau dont le feuillage est toxique pour les mammifères.
Les impalas s’écartent vivement vers l’est, et les pintades criaillent: il y a un prédateur dans le coin dit Steve, léopard, ou guépard, ou chacal, ou autre. Mais nous ne le verrons pas.
Cinq zèbres dont un poulain sont sur l’abreuvoir de l’éolienne. Ils s’éloignent tranquillement une fois leur soif apaisée.
Les nuages sur l’horizon occultent perfidement le soleil couchant et nous privent de son coucher. Le crépuscule est là, déjà.

18h, pas de Trevor.
Steve va vérifier sa messagerie. Un message de Trevor dit qu’il a des choses à faire demain matin, qu’il partira tôt et qu’il sera vers midi à Sinamatella. Je trouve cette désinvolture assez saumâtre, mais aussi assez compatible avec ce que j’ai déjà pu observer du personnage. Je commence à bouillir.

J’appelle Magali avec Skype, et ça marche plutôt bien pour un wifi qui assure un débit de 18 ko/s… Elle est ravie de mon appel.

Nous renonçons à aller au restaurant ce soir. Ce sera pour demain soir. Steve va nous faire un riz au curry qui se révèlera excellent. En attendant, une petite bière nous fait patienter.
Un grybok (toute petite antilope) vient discrètement visiter l’abreuvoir des oiseaux pendant le dîner.
Chacun se retire vers 21h. Il fait 30° dans ma chambre. Prudent je mets le ventilateur.

Jeudi 17 novembre -
Réveil nocturne. Ma montre est arrêtée. Je la remonte. L’iphone dit 4h45. J’arrête le ventilo et retour sous le drap. Méditation de l’aube. Les premiers chants d’oiseaux annoncent le jour proche. Un appel vigoureux Tiiiyouou-tiouou, répond à la basse continue du roucoulement grelottant et monotone des tourterelles du Cap. Demi sommeil jusqu’à 6h15.
Température 26,3° dans la chambre.
Les robinets de la salle de bain sont tellement à sec qu’il ne peuvent émettre qu’un inconvenant et triste bruit d’aspiration, sentence sans appel. Heureusement de grosses bouteilles d’eau de 3-4 l sont disponibles, et j’en use.
Petit déjeuner. Steve et Nick pour une raison inconnue parlent toujours très bas, surtout le matin, et mon ouïe, que mon grand âge voit de plus en plus à la peine, est alors vraiment en difficulté, d’autant plus que la voix de Nick est dans un registre très grave, ce qui ajouté à sa manière de marmonner plus que de parler me rend son propos totalement inintelligible. Mais comme souvent ils parlent de problèmes qui ne concernent qu’eux, je reste silencieux.
Trevor a changé ses plans : rendez-vous à Gurangwenya vers 7h45. Pfff...

Petit dej. Deux perroquets de Meyer au bain des oiseaux. Loriot à tête noire dans un arbre.

Nous partons avant 7h30.
Steve me dit en bavardant dans le Toyota, que les éléphants suivent la pluie, probablement par des moyens acoustiques principalement – tonnerre de l’orage, mais aussi visuellement grâce aux éclairs et peut-être aussi au rideau de pluie sur l’horizon. Les premières pluies les font se disperser et quitter le voisinage immédiat des mares, ce qui constitue un soulagement pour l’équipe de BT car cela met fin aux dégâts aux installations de pompage qu’ils sont obligés de réparer sans cesse.
Les éléphants ne sentent pas l’eau, c’est une croyance locale probablement infondée.

A Gurangwenya le paysage est totalement transfiguré depuis l’autre jour. La pluie de la semaine dernière (vendredi) a miraculeusement verdi tous les arbres, et coiffé les spectres bruns et desséchés de toupets verdoyants d’un délicieux vert pastel. Ce vert tendre du feuillage est légèrement teinté du roux des feuilles juste naissantes. Petite novæ de verdure que les cigales invisibles accueillent avec des ovations telles qu’on ne s’entend pas parler, entrecoupées de silences recueillis (elles soufflent un peu !) qui laissent un peu la place aux chants d’oiseaux.
L’herbe aussi, ici et là, commence à émerger. Steve me dit que parfois la germination provoquée par la première pluie est détruite par un rebond de sécheresse de deux ou trois semaines. Et la végétation n’a pas d’autre chance…

Un groupe d’impalas traverse la route nonchalamment.
Trevor est à l’heure. Nous faisons le tour du site. Steve et lui discutent la question de la tuyauterie d’alimentation entre la pompe et la mare, et la tranchée qui va l’héberger. La tranchée coûte ici 1$US le mètre creusé à la main (pas de mini-pelle !). C’est 20 à 50€ chez nous. Il en faut 400 m.

fleurs
Premières fleurs au sol.
Nous observons quelques petites fleurs près de la mare (photo). Ça me rappelle les traces vertes d’algues au fond d’une flaque, qui m’avaient ému à McMurdo (Antarctique).
Piaf à gros bec jaune, coiffe vaguement carmin sombre, taille de grive musicienne. Trop vite parti, pas pu l’identifier.
Trevor est Mr "What’s that ?", sa question quand il n’a pas compris ce qu’on lui dit.

Retour à Sinamatella vers 9h15.
Discussion. Trevor mentionne la visite d’une délégation de la communauté européenne qui propose de restructurer entièrement le système des parcs nationaux au Zimbabwe. Ce que j’ignorais totalement. Il me fait aussi savoir qu’il a besoin de parler à Steve en privé. Vu ce que je sais de leur problème relationnel, ce sera, soit le meilleur – il cède aux exigences d’autonomie de Steve qui a décidé de partir, et Steve reste – soit le pire…, et Steve part. Je croise les doigts sous la table.
Je me retire donc un moment et je les laisse à leur affaire.

Nous partons ensuite vers 11h, après que Steve m’ait hélé et signifié la fin de la récré, pour faire le tour du secteur éligible au projet de zone protégée clôturée pour les rhinos noirs. La méthode a marché au Kenya et en Tanzanie, pourquoi pas ici. Superficie 14 km2, soit environ 15 km de clôture (électrique). Budget 150 k$US me dit Steve. C’est une somme évidemment, mais à cœur vaillant…
J’ai choisi la nacelle à l’arrière du Toyota, pour être moins confiné. Et Steve et Trevor peuvent discuter à l’intérieur.
Le contexte de ce projet est la réalité déjà mentionnée de la guerre pour la conservation des rhinos contre les braconniers, perdue sans armistice, douloureusement. Et ce n’est pas faute d’avoir mobilisé toutes les énergies disponibles dans le parc et au-delà pour assurer leur protection. Le territoire a surveiller est immense (secteur de Sinamatella = 1400km2, parc = 14400 km2 = 2 départements français) les rhinos sont très mobiles, et les braconniers aussi. Les 30 gardes affectés à cette surveillance ne suffisent pas à la tâche. La population de rhinos noirs est passée d’une vingtaine de rhinos en 2009 à 5 ou 6 aujourd’hui selon Steve. Nous ne sommes donc pas loin de l’extinction locale. Seul un projet radical peut permettre de maintenir une population minimum.

paysage sec
Paysage de saison (encore) sèche.
paysage sec
Paysage de printemps austral.

Assez long parcours où nous observons le même contraste entre paysages secs et nature déjà verdoyante. Sur la route de gros insectes volent partout. Je m’interroge sur cette prolifération. Steve me dira plus tard qu'il s'agissait des cigales. Nous en reparlerons plus loin.
Nous passons à Machambo, une très jolie mare proche de Sinamatella, pompée via le réseau électrique, en bordure de la zone concernée. Steve me signale une hyène que je ne vois pas. Dommage. Ma rencontre précédente avec cet animal intéressant et discret était en 2009, mission PU, alors que nous étions avec Brent pour le programme Lions. Une photo au vol depuis la piste en passant avec le véhicule.

Retour vers midi, bien secoué sur la nacelle – Trevor conduit comme le diable – et le cul mouillé par la sueur. Il fait bien chaud.
Trevor sort son casse-croûte et Steve n’improvise pas, déjeuner de brousse standardisé.
La conversation roule sur le fonctionnement du parc. La pêche est interdite au lac de Mandavu. Mais Steve y a compté jusqu’à cinquante pêcheurs, chacun ayant au moins 5 lignes à l’eau. C’est autant de moins pour les prédateurs naturels, et personne ne sait si ce prélèvement est un vrai problème. Faisons appliquer la loi proposé-je ! Oui me répond-on mais les pêcheurs sont noirs (et pauvres, non dit), et les touristes blancs (et pas pauvres, ibidem). Un racisme latent ambiant est à l’action, qui fait qu’une demande dans ce sens aux autorités du parc n’aboutira pas. Bon.

Ensuite nous abordons à ma demande le bilan qualitatif et prospectif du projet pompes et du partenariat Le Pic Vert – fondation Le Pal Nature – Bhejane Trust.
Et nous passons en revue les pompages installés depuis 2011 :
- Bumboosie-South (2011), l’ancêtre. Le moteur de la pompe est hors d’usage et le remplacer est un problème délicat car les moteurs triphasés étaient des fabrications spéciales Leroy-Somer pour Tenesol. Un moteur standard (127V US) fonctionnera mais sera forcément mal adapté (info du correspondant ex-Tenesol). Je propose qu’on garde l’onduleur en réserve pour Baobab qui est équipée du même système, et qu’on change l’ensemble onduleur-moteur-pompe, c’est une affaire de 2k€. Les panneaux solaires sont en bon état et opérationnels.
En outre le statut du forage n’est pas clair. Il faut le purger et vérifier le taux de recharge.
- Baobab (2013): situation idéale. Le pompage tourne bien et la mare a un succès fou auprès des éléphants et des grands mammifères. Lukosi va soulager la pression. L’hybridation est prévue, et pourrait être combinée avec Lukosi via une unité diesel mobile pour la flexibilité. A l’étude.
- Tshompani, comme nous l’avons vu, a un problème de sonde, récidiviste, mais mineur. Je verrai avec Lorentz en rentrant. Lorentz-Harare ne répond pas.
- Inyantue : ça tourne.
- Deteema, visitée vendredi dernier : ça tourne parfaitement.
- Lukosi, visitée mardi, tourne depuis fin septembre. Joli succès.
- Prochaine pompe, nous avons établi un classement des priorités :
1) un autre site le long de la rivière Lukosi sur les 16 km qui sépare l’actuelle Lukosi de la piste principale qui va de Sinamatella à Main Camp. Intérêt écologique et aussi touristique (cf rapport de mission aux partenaires).
2) Tshompani pan à quelques km du pompage existant pour répondre à la pression des éléphants.
3) Matijoni, site peu accessible à l’est de Lukosi, qui améliorerait la couverture du territoire et sanctuariserait un peu ce secteur.
4) Tenderli pan, entre Shumba et Tshompani, ou Umshlaousso, aussi entre Shumba et Tshompani.

Donc globalement le projet va bien. Les petites difficultés de vieillissement du parc ont une solution en cours ou en vue. Le problème de la maintenance va quand même croitre en demande avec le temps.

Pour le projet drone, le conditionnement du véhicule va commencer. Le drone est attendu incessamment. Il s’agira du dernier modèle du fabricant, très récemment sorti, et donc un peu en retard à cause d’une demande forte. Le stage de formation de Nick est en préparation. Trevor n’en dit pas plus. Il s’en va vers 14h30 après deux bonnes heures de discussion.

Pour la fin de mon séjour, nous avons convenu que Steve me conduira à Vic Falls dimanche et que nous irons faire un tour sur la piste qui suit le cours du Zambèze dans le parc de Zambezi que j’ai très envie de voir. Nous passerons la nuit à Lorries B&B (à mes frais) et il me conduira à l’aéroport lundi matin pour mon vol à 13h.

Fournaise. Il fait 34,5° dans ma chambre. Courte sieste étuvée.
Steve propose ensuite d’aller faire un tour à la mare de Machambo vers 16h30. Je lui dis en plaisantant que nous allons peut-être voir la hyène que j’ai manquée hier.
Nous y sommes en un petit quart d’heure. La mare est superbe. Canard à bosse (knob billed duck), échasses blanches, chevalier sylvain (wood sandpiper, espèce présente partout sur la planète sauf en Amérique du Sud), plein de tourterelles - du Cap, rieuse, emerauld spotted.

échasse
Échasse à la mare Machambo.
échasse
Pintades venues boire.
La hyène (que les casse-pieds ne m'embêtent pas avec le dilemme du h aspiré ou muet, j'ai décidé qu'il est aspiré.)
Il fait chaud. Il est temps d’ouvrir les bières. J’ai bu deux gorgées de la mienne en bavardant quand soudain, alors que je parle à Steve, je vois par la fenêtre de la portière loin à droite du véhicule, passer une hyène derrière le rideau des mopane décapités. "Steve, the hyena !". Elle progresse prudemment - l’animal est craintif – mais elle atteint la mare sur notre droite sans trop prêter attention à notre présence, peut-être parce que nous sommes restés dans le Land-Rover. Magnifique hyène tachetée. Elle suit la berge en cherchant un point d’accès pour boire. Elle le trouve juste en face de nous. Un peu loin mais superbe exposition, superbe lumière de fin du jour. Je mitraille avec bonheur (Pentax et Lumix). Elle prend son temps, boit, revient, reboit, se déplace, boit à nouveau, tout en poursuivant son tour de mare. Elle en a bouclé les deux-tiers quand elle entre dans l’eau peu profonde, s’y allonge et reste là un moment, examinant son entourage d’un œil curieux, et semblant fort apprécier ce bain rafraichissant. Elle ressort et trouve ce qui semble de loin être un os à ronger (d’éléphant sans doute me dit Steve). Pas l’air bien gros pourtant me dis-je. Elle se contorsionne donc pas mal pour réussir à le prendre dans sa gueule, sans grand succès, et finit par abandonner. Elle est dissimulée par les troncs buissonnants des mopanes. Et finalement elle s’écarte de la mare passe dans un espace ouvert, tourne la tête, m’observe avec curiosité – je suis sorti du véhicule, et s’en va. Bonheur naturaliste et photographique total et sans nuance. J’en suis baba. Merci la hyène, t’es une vraie copine !

hyène hyène hyènee hyène
La hyène, rencontre du premier type ! (photos Lumix).
hyène hyène hyène hyène
La hyène fait son tour de la mare, puis au bain, puis sur le départ. (photos Pentax)

18h, il est temps de rentrer. Arrêt au restau du camp où j’ai invité Steve et Nick ce soir, pour choisir les plats.
Il fait 33,8° dans ma chambre. Douche en vitesse. Lessive. Puis restau. Le menu est réduit. Le restaurant est tenu par une seule personne. Fermé pendant des années, il est ouvert aujourd'hui et il faudrait qu'il le reste.
Nous y sommes avant 20h. Au cours du repas Steve nous confie que Trevor a rendu les armes, fait des excuses, et accepté qu'il agisse de manière autonome à Sinamatella quand lui-même (Trevor) s’occupe du reste (Zambezi, Kazuma Pan, Robins). Je suis ravi. Steve est soulagé car il lui fallait se trouver un job avant janvier (Sue est à Bulawayo pour ça), ce qui était loin d’être gagné. Et Save of Australia qui finance son salaire, va lui faire un contrat. Donc cette affaire que je voyais assez mal partie et dessiner un futur très incertain pour le partenariat sans Steve, se termine bien. J’espère que ce n’est pas provisoire.
Trevor est un entrepreneur très dynamique, infatigable, toujours sur le terrain, mais un patron sans nuance, entier, qui décide de tout, qui n’a pas l’habitude qu’on discute ses décisions, qui ne délègue rien, abrupt sans être vraiment brutal. Mais le fait qu’il ne soit pas socialement le partenaire idéal n’est pas capital, même si c’est parfois assez peu plaisant. Donc il faudra faire avec, dans l’intérêt d’un projet dont le succès ne se dément pas. Mais je suis quand même un peu préoccupé pour l’avenir après cet orage.

échasse
Cigale du Zimbabwe.
échasse
Cigale invitée.

De retour dans nos pénates, nous prenons le café sur la terrasse de Steve et Sue. De nombreuses cigales tournent autour de nous dans la lumière. Un gecko fulgurant s’empare de l’une d’entre elle et stationne sur le mur avec sa proie dans la gueule, semblant bien embêté et ne pas savoir où aller consommer ce repas presque gros comme lui. Je fais des photos d’une cigale posée à coté de moi, avec mon iphone.
En discutant la comparaison de cette petite invasion de cigales avec le film d’épouvante vécu en 2013 avec le punaises (cf journal 2013), Steve me raconte que des mois après, chaque fois qu’il prenait un livre sur l’étagère, il en tombait encore une grappe. Sacré mauvais souvenir.

21h30. Soirée terminée. Le ciel est magnifique. Des nuages importuns sur l’horizon nous masquent les pointeurs de la Croix du Sud. Mais Orion, somptueuse, ascendante, plastronne avec éclat. Bizarrement elle semble plus grande qu’on ne la voit en France. La bière sans doute.
Il fait 32,2° dans ma chambre. Une cigale s’est introduite par l’imposte grande ouverte, et tourne en rond bruyamment mais sans mettre le turbo heureusement, rebondissant d’un rideau à l’autre. J’espère qu’elle ne va pas "chanter" toute la nuit. Elle n’a pas chanté.

Vendredi 18 novembre -
Réveil 4h30. Mal rendormi. Gamberge somnolente et méditation agréable. La cigale se réveille aussi vers 5h, et percute mon oreiller quelque part, mais se rendort sans doute. Je me lève à 5h40.
Les oiseaux et les soldats ont commencé à chanter vers 5h. Un oiseau lance un appel en bruit de porte métallique qui grince. Les nouvelles recrues entonnent leurs chants de troupes, sympathiques – un appel du soliste, guerrier peut-être, auquel répond le chœur des braves, sur un motif musical simple, assez typique et plutôt agréable. Ils passent au trot, par fournées sur la piste derrière la maison.
Je tire le rideau de l’imposte. Le soleil juste levé m’observe à travers les arbres. Je joins mes mains et je le salue en offrant mon visage à sa bienfaisante lumière - impression soleil levant ou photons ordinaires des matérialistes irréductibles et réducteurs, irrésistible marée dorée qui traverse mes paupières comme Alice le miroir, et asperge joyeusement mon âme crédule et encore endormie, radieux commencement du jour, et indicible bonheur de vivre. C’était ma minute de mysticisme.
Je sollicite le robinet du lavabo qui me répond une fois de plus par le mépris de quelques grossiers borborygmes. Recours à la réserve en bonbonnes donc, pour ma toilette de chat.

pic
Pic local à la lecture.
mangouste
Mangouste naine et gros lézard, rencontre à l'abreuvoir.

Au petit dej un pic (3 espèces présentes ici) passe sur le bain-douche, dont je mets l’image dans ma petite boite, puis un gobe-mouches local assez semblable au gobe-mouches gris européen.
Il fait 30° dans ma chambre à 8h. Ce jour va être torride sans aucun doute.

9h - En prenant la route nous croisons Nick qui rentre d’une sortie painted dogs (lycaons) avec Washington, un naturaliste du Painted Dogs Conservation Project. Cette meute dont des membres portent un collier radio, est sortie de la portée de l’antenne radio, et ils ont essayé de rétablir le contact. Sans succès.

Route vers Mandavu pour un comptage dans le pentad local du projet SABAP2, qui compte Mandavu et Sinamatella a ses frontières extrêmes.
Arrêt en route pour la rattling cisticole et le little bee eater probablement présents dans ce biotope. Mais silence total. Rien ne bouge. Pas un piaf en vue. Le soleil me brûle les mains. Un temps à ne pas mettre une plume dehors.

Wahlberg
L'aigle de Wahlberg de Mandavu qui héberge
une grosse communauté de damans des rochers,
gourmandises préférées de l'oiseau.

poubelle
Résultat de la collecte.
landrover
Le véhicule des observateurs.

A Mandavu nous contournons le campement et son aire de pique-nique pour prendre une piste étroite qui longe la berge jusqu’à l’est du lac. Un petit troupeau de buffles s’éloigne. Quelques koudous s’approchent. Un waterbuck (cob Defassa) inquiet, s’arrête en nous voyant, et hésite à s’approcher plus. Un jeune hippo l’air fatigué patauge à la limite de l’eau qui semble lui être interdite - expulsé de la communauté par les vieux mâles dit Steve, et condamné s’il ne pleut pas bientôt. Les hippos sont des animaux féroces et absolument redoutables. Beaucoup d’oiseaux sur la berge et dans l’eau : deux jabirus superbes, une demi douzaine de cigognes à bec jaune, grandes aigrettes, oies d’Egypte, canards à bosse, hérons cendrés, sternes, et limicoles divers.
Un groupe de pintades est venu boire pas loin de nous. Photos évidemment.
Nous passons un long moment à identifier les piafs du secteur. Un martin pêcheur pie chasse et pose complaisamment. J’en fais quelques photos. Je me brûle les coudes sur le capot du pick-up. Un héron Goliath pêche à l’écart. Steve nous déplace pour accéder à un vague promontoire d’où je pourrai approcher le Goliath un peu plus près. Ça marche assez bien mais le petit géant me voit et se déplace.
Ce promontoire est, forcément, un lieu de pique-nique et il est jonché d’ordures diverses, canettes et bouteilles de bière, sacs plastiques, etc.. Je dis à Steve qu’en un quart d’heure on pourrait faire le ménage et enlever 95% des ordures. Sitôt dit…, on s’y colle. Tout dans la benne du pick-up en un quart d’heure. Nous remplirons la brouette des gardes en passant au camp (photo).
Café sur la plateforme d’observation. Beaucoup d’hirondelles (rustiques et africaines) et de sternes.

pintades & garde-bœufs pied pied goliath
Pintades et hérons garde-bœufs, martin pêcheur pie à l'affût et en vol, et héron goliath.
hippo paysage paysage stork
Hippo, paysages de Mandavu et cigogne à bec jaune.

Il est 11h. Route vers Masuma. Nous croisons un véhicule de tourisme à baldaquin de Wilderness Safaris dont le chauffeur dit à Steve qu’il y a un groupe de lions à Masuma. Nous y passons. Un groupe de femelles et de lionceaux est étalé à l’ombre sous un buisson. Un mâle est seul un peu plus loin. Un autre mâle est seul aussi, chacun sous son buisson. Ils nous ignorent superbement comme toujours. Je mets leurs images dans mes petites boites.

lions lionne lion mâle
Les lions

Nous filons ensuite sur le site de la nouvelle pompe solaire dont la tranchée du tuyau de sortie intercepte à une vingtaine de mètres celle existante de la pompe diesel, qui est là depuis 30 ans, quelque part. La trace de cette dernière est indiquée par l’absence de végétation. La localisation est faite par interpolation géométrique entre pompe diesel à un bout et mare à l’autre bout (100m entre les deux). La vague dépression le long de cette éclaircie constitue un indicateur complémentaire crédible. Le but du jeu est de raccorder les deux tuyaux. Il faut mettre au jour la canalisation ancienne pour le raccordement, et auparavant mesurer son diamètre pour le Té de raccordement. Fastoche n’est-ce pas ? La terre est du béton, il n’y a pas un poil d’ombre et le soleil est juste accablant. Totale fournaise.

landrover
Début de la galère dans la tranchée.
Les outils sont en métal, pelle et pioche, pas question de les prendre à mains nues. La pioche est bizarre, lame épaisse soudée sur un tube métallique, pas de pic donc. Une seule paire de gants. Steve fait le plus gros du boulot. Mais après une demi-heure, on est descendus de 30 cm, la profondeur totale de la tranchée étant de 80 cm environ, et toujours pas de canalisation principale. Elle est soit plus profond – peu probable mais pas exclu, soit plus loin, soit moins loin. Il est temps d’aller déjeuner. Mais il faudra revenir. Pour ameublir la terre-béton nous versons des bonbonnes d’eau au fond du trou, ça marche assez bien. Steve me dit que les mini pelles mécaniques n’existent pas au Zim. Dommage.

13h30 - Déjeuner sur la plateforme d’observation que nous rejoignons en voiture. Il faut contourner largement la mare sur 1-2 km. Menu habituel, après beaucoup, beaucoup d’eau.
Parlote. Steve est d’accord pour dormir à l’hôtel dimanche soir. Nous partirons dimanche matin et nous irons faire un tour dans le parc Zambezi dans la journée, en empruntant les pistes qui longent le cours du Zambèze . Il m’emmènera à l’aéroport lundi matin (vol à 13h pour Joburg). Je collerai un message à Lorrie ce soir. Il me fait valoir qu’il y a des établissements très correct et moins cher que Lorrie. Sa chambre de guide sans clim est à 50$US avec petit dej costaud. Donc abordable dans notre cas. Et puis j’aime bien chez Lorrie, et l’ambiance de cette pièce permanente du théatre de la vie réelle que j’échantillonne touts les 2-3 ans, avec ses personnages étranges, m’intéresse beaucoup, un peu délétère, vaguement glauque, très "Tennessee Williamsienne".

J’apprends que le panneau solaire cassé de la pompe principale hybridée n’empêche pas l’ensemble de fonctionner. Personne n’avait testé jusque-là. Ils ont dépensé une petite fortune en gasoil pour rien. Mais cela n’empêche pas qu’il faut résoudre le problème du raccordement de la deuxième pompe solaire sur la canalisation d’alimentation de la mare.
Nous y retournons après 14h30. Cagnard terrible. Nous jetons l’éponge après une vingtaine de minutes. Nick et son équipe s’en chargeront lundi. Ouf. Vite à l’ombre du grand ébène africain pas loin, et de l’eau, beaucoup d’eau.
Un calao à bec jaune passe. Inhabituel, mais nous sommes près de la limite des aires de répartition entre bec rouge (zone de montagne, rocaille, et biotope qui va avec) et bec jaune (zone de sables du Kalahari, écosystème différent).
Il y a des ossements un peu partout dans un large périmètre autour de la mare.

Retour sur Sinamatella. Nous roulons depuis cinq minutes quand, "Leopard !". Je le vois, devant sur la gauche, en même que Steve s’exclame. Il file derrière une buisson et s’aplatit, reste ainsi un court moment, puis se relève, nous observe, tourne un peu la tête d’un coté et de l’autre. Steve a arrêté le Land Rover. Impossible de l’approcher. Nous l’observons avec bonheur à travers les branches qui le dissimulent. Finalement il s’éloigne et disparait. Beuh ! Pas de photo, dommage, mais je suis ravi quand même.

Sinamatella 16h30 – Je suis mort. Encore deux grands verres et vite la douche. 37° dans ma chambre.
Micro sieste chronométrée de 15’, puis lessive de quelques fringues.
Et enfin bière sur la terrasse. Steve me dit que pendant la saison des pluies ils ont souvent des pannes d’électricité, d’où le fil qui pend du plafond pour suspendre un éclairage thermique. Ça me donne une idée de cadeau.
Coup d’œil sur la plaine : l’éléphant d’hier est revenu boire au même trou de la rivière Sinamatella.
18 :30 Le soleil se couche et ma bière tiédit à une vitesse folle.

Diner, Shepherd stuff, genre Parmentier non gratiné, en meilleur. Nous parlons clôture (rhino) et corruption, l’une supportable, l’autre pas, et endémique. Je ne résiste pas à une bière supplémentaire avant de quitter la terrasse.

Pendant que je rédige mes notes une cigale entre en "hurlant" dans la chambre et me fait quasi bondir. Pas le temps de l’attraper pour la mettre dehors. J’éteins à 23h30. Je n’ai pas sitôt la tête sur l’oreiller que la cigale toute proche émet deux brèves protestation stridentes. Je rallume. Elle est juste derrière le sommet de mon oreiller. Je saisis la bête à pleine main, et je la vire manu militari par l’imposte.
Et je dors.

Samedi 19 novembre -
Bruits domestiques à 5h30. Je sors du lit à 6h. Le soleil est masqué par les nuages et le vent souffle assez fort pour gonfler le rideau de l’imposte. Pluie en chemin ? Espérons. J’ai une pensée pour ces milliers d’animaux piégés dans la fournaise d’hier.
Steve me dira que le vent ici n’annonce pas la pluie. Quatre jours déjà qu’elle devrait être là.
28°2 dans la chambre. Pas trop dur. Mais je suis desséché comme un vieux hareng saur.
Le vent à tortillonné ma lessive d’hier soir autour du fil à linge. Mais elle est sèche.
Le tropical boubou lance son huu-huu-huu sonore immanquable.
Au petit dej, un juvénile de loriot d’Europe passe boire un coup (photo). Ils nichent ici ?

8h – Steve veut remplir l’abreuvoir des piafs avant de descendre à l’atelier. Je m’en charge. Rempli plus tôt ce matin, il est déjà à sec. Les clients assoiffés sont là dans la minute qui suit. D’autres ne quittent pas la fournée de pain et de miettes qui leur a été livrée plus tôt au milieu de la cour. Veinards. Steve’s D&B (Drink and Breakfeast).

8h30 – Nous partons après un bon café. Passage chez les gardes du parc pour le redéploiement des patrouilles sur les sites des mares. BT subvient aux insuffisances de l’administration du parc en transportant sur place la relève et son intendance, et en ramenant les gardes qui ont terminé leur faction. Ils partent pour 12 jours de brousse. Comme d’habitude dit Steve, ils ne sont pas prêts. Agitation molle chez les gardes, qu’on souhaiterait fébrile. L’un d’eux passe devant moi, tenant à pleine main un gros morceau de viande qu’il va bourrer dans un sac qui en contient déjà un gros volume, à l’arrière du pick-up. Je m’interroge sur la conservation de ce stock. Il fait déjà presque 30°.
Je négocie une photo avec une garde réticente, par coquetterie peut-être (cf photos).
Nick discute avec les gardes. Il parle couramment le ndebele et comprend le shona. Il a grandi dans cette culture. En fait me dira Steve, il se considère comme un noir à peau blanche.
Un garde perfore maladroitement un sac de farine qu’il transporte, avec le canon d’un fusil automatique posé contre un muret, et la farine se débine. Ensuite il faut encore passer à certains domiciles. Un garde se défile en courant. Pas envie de partir me dit-on. Nous passons devant l’habitation où Emma (qui fait notre ménage) vit avec son enfant, une hutte de tôle, cylindrique, pièce unique d’une quinzaine de m2. Elle est entourée de quelques potées de bougainvilliers. Dure vision néanmoins. Elle est fermée. Emma est à la pêche sans doute, pour améliorer son ordinaire. Excellente pêcheuse me dit Steve.

landrover landrover Steve à la pompe le plein d'eau
Préparatifs de départ et plein d'eau.

Enfin, nous partons pour de bon pour Lukosi et Tshakabika.
Steve, pas joyeux, me dit en roulant que Trevor veut venir la semaine prochaine pour une inspection commune des pompes, alors qu’il a reconnu et accepté le statut d’autonomie de son collaborateur sur ce secteur, hier…, et que c’est la seconde ou troisième fois que ce scénario se reproduit me dit Steve. Le tour des pompes de Sinamatella va prendre plusieurs jours, alors que nous venons de le faire, et que cette question pourrait être réglée simplement par courriel. Trevor semble ne pas pouvoir se résoudre à son engagement. Sorti par la porte, le voilà rentrant par la fenêtre. L’avenir est bien incertain donc.
Traces d’éléphants sur la piste.
Pluie cet après-midi peut-être.
Arrêt à Baobab. La mare est déserte à part quelques oiseaux d’eau. Deux vautours attendent leur heure. Le niveau a bien baissé, mais les bouses fraiches d’éléphants indiquent qu’ils viennent de passer, ce qui explique l’abaissement du niveau (100 à 200 litres/jour/animal). Il va remonter.

J’aperçois en roulant une congrégation de vautours dans un arbre mort, ce qui signe la présence d’une carcasse. Steve interroge les gardes. On est au courant disent-ils.
- C’est quoi cette carcasse ?
- Un éléphant.
- Allons voir.

vautours carcasse1 carcasse2 garde & tusk
Vautours et carcasse de jeune éléphant, et récupération d'une défense.
Arrêt du Land Rover. Nous marchons un peu, descendons dans le lit de la rivière, remontons le cours sur une centaine de mètres derrière les gardes. La carcasse est là dans une brèche de la rive abrupte que l’animal a emprunté pour sortir du lit de la rivière. Il s’est effondré dans la brèche sans pouvoir atteindre le haut de la berge. Comme pratiquement toujours, il s’agit d’un jeune mâle, 10-12 ans, chassé de la harde par les vieux mâles parce que en passe de devenir un concurrent sexuel. Privé de sa mère qu’il suivait partout et qui le guidait vers l’eau et les sites de nourrissage, il est mort, perdu dans la brousse, d’inanition – faim et soif – et du stress de sa solitude désespérée, comme un enfant de 12 ans. Cruel.
L’odeur est terrible. La tête de l’animal est décomposée. Le reste en cours de décomposition (photos).
Un garde récupère une défense (pas vu l’autre) et la placera devant le capot du 4x4 derrière le pare-choc. Ce qui ne sera pas suffisant pour nous épargner en totalité son odeur terrible.

camp lukosi
Campement des gardes à Lukosi.
10h20 – Mare de Lukosi. Les gardes relevés sont prêts, eux. Transfert vite expédié. Le ciel est couvert.
Pintades et tourterelles autour de la mare. Et phacochères qui vont et viennent.

Route vers Tshakabika. Des gouttes sur le pare-brise.
Beau parcours en forêt. Sous bois très ouvert et lumineux. Nous traversons de multiples cours d’eau à sec, chaque fois sur un matelas de caillasse vaguement entassée au fond du lit. Le Land Rover ne lève même pas un sourcil.
Souvent, il faut contourner un arbre tombé en travers de la piste. C’est presque une culture ici, on ne dégage pas l’arbre tombé, on le contourne, alors qu’en général il faut une vingtaine de minutes pour tronçonner un arbre de la taille de ceux qu’on rencontre et dégager la piste. J’ai posé la question. Les gens sont trop occupés ailleurs.

Le camp domine le cours de la rivère Tshakabika tout près de son confluent avec la rivière Gubombili. Le site est beau, un peu surélevé, et domine la rivière (à sec). Quatre ou cinq milans à bec jaune tournent au-dessus du camp.

camp Tshakabika
Campement des gardes à Tshakabika.
briefing
Concertation avec les gardes à Tshakabika.
Pas de mare dans ce coin. Inutile car il y a les sources pas loin. Et l’eau est très salée.
Mais il y a un forage creusé récemment, dont l’histoire est intéressante. La ministre de l’environnement est venue sur le site il y a un an ou deux. Quelqu’un lui a parlé des pompes du parc et elle a décidé sur le champ qu’il y en aurait une à Tshakabika. Et personne n’a osé lui dire que c’était une connerie. D’où le forage orphelin.

Nous laissons les gardes un moment, le temps d’aller voir les sources chaudes proches. La piste qui nous y mène est la route directe vers Inyantue, mais en mauvais état dit Steve. Quand on connaît celles qui sont en bon état, on imagine…

Les sources sont réparties dans un vaste lit de rivière qui court sur un grand socle rocheux.
Nous sommes accueillis par des vautours africains (white-backed) perchés sur les restes de la carcasse d’un beau koudou mâle, dont les bois impressionnants nous font face. Une autre carcasse de koudou, en même état, plus petite, gît un peu plus loin. Ça sent l’embuscade. Il y a des ossements un peu partout dans le secteur. Les lions sont à la fête ici aussi. Mais où ne sont-ils pas à la fête ?

vautour sur koudou
Vautour sur trophée de koudou.
source chaude
Site des sources chaudes de Tshakabika.
Il faut marcher un peu pour atteindre le cœur du système. Les petits jets turbulents émergent du sol sableux avec un cortège de bulles. Pas très spectaculaire. Evidemment l’herbe est verte autour des bassins où l’eau émerge du sol. Dans ce cas particulier elle n’est pas plus verte ailleurs, sauf pour les Koudous.
Il est temps d’aller terminer la relève de la garde, et de retourner vers Sinamatella.
Un peu avant le camp, en traversant le pont – on plutôt ce qui en tient lieu – sur la Sinamatella, nous apercevons une harde d’éléphants à quelques centaines de mètres, occupés à boire dans des trous qu’ils pratiquent dans les lit sablonneux des rivières pour atteindre semble-t-il un aquifère d’où ils tirent leurs besoins en eau, lorsqu’ils n’ont pas de mare à portée de trompe. Il y a de l’eau dans les creux de la rivière près du pont (pluie récente peut-être ?).
Impalas et Koudous s’enfuient à notre passage. Un superbe aigle pêcheur d’Afrique s’éloigne prudemment en suivant le lit de la rivière.
A l’arrivée à Sinamatella vers 13h les gardes rendent leurs armes à l’armurerie du camp, et nous sommes à la maison un quart d’heure plus tard après avoir déposé tout le monde.
Case départ. Déjeuner ordinaire, immuable. Un fort vent se lève, bien turbulent, qui soulève des petits tourbillons de sable et de poussière dans la plaine. Le ciel est tourmenté de nuages actifs, et le soleil brûlant.
Sieste. 31,5° à 15h30 dans la chambre. Lavage des pataugas et préparation des affaires personnelles. Photos de la Land-Rover affectée au programme drone, qui sera équipée bientôt.
Sur la terrasse avec un café, chargement des photos sur le macbook. Des photos Pentax des zèbres à Masuma sont surexposées alors que les paramètres sont normaux. J’ai vraiment un problème avec ce boitier (K10D, il a 10 ans).
La ventilation naturelle sur la terrasse est plutôt agréable mais un peu trop capricieuse, et la nappe s’envole parfois, malgré les pierres qui la maintiennent.

Je me souviens qu’il y avait dans la plaine de Sinamatella deux magnifiques acacias, emblématiques de la brousse Africaine, dont la ramure en parasol offre une ombre généreuse aux girafes et aux antilopes, et que j’ai beaucoup photographiés. Je ne les vois plus. J’interroge Steve. Les éléphants les ont abattus. Trop triste. On ignore pourquoi les éléphants se plaisent à casser les arbres.

Vers 17h le vent baisse. Coup d’œil sur la plaine avec Steve. Deux groupes de zèbres se mettent à fuir au galop vers l’est avant de ralentir sans changer de direction. Interrogation. Le vent leur aurait-il apporté des effluves préoccupantes ? Examen attentif de l’ouest de la plaine. Les lions arrivent, lentement de leur pas d’apparence débonnaire, en vague file indienne, peu ordonnée. Les lionceaux jouent tout en marchant. J’en compte dix, Steve douze.

lions
Groupe de lions dans le lit de la rivière Sinamatella,
près d'un abreuvoir naturel.
Ils vont droit sur la rivière et se mettent à boire dans un trou d’eau qu’on ne voit pas. Puis ils se posent sur le promontoire de la berge. Les lionceaux font une joyeuse sarabande, soulevant des nuages de poussière. Je fais quelques photos au max du zoom. Ils sont loin, environ 800 m.
Et voilà qu’une harde d’éléphants arrive aussi, pesamment, de l’ouest, sur l’autre rive, à peu de distance de la berge, disons 50 m. Ils sont une vingtaine, avec trois éléphanteaux. Suspense.
A hauteur des lions une famille de 6 avec un jeune se détache du groupe et marche droit vers les lions, sans sembler belliqueux, ni même s’inquiéter de leur présence. Et les lions de leur coté semblent n’avoir cure de leur approche. Ils sont à une vingtaine-trentaine de mètres les uns des autres et ne peuvent pas ne pas s’être vus. Les éléphants se mettre à brouter les jeunes pousses des arbres de la berge. Les lions adultes ne bougent pas et les lionceaux jouent. Ils n’ont donc pas (encore) faim.
Finalement les éléphants s’éloignent et vont rejoindre le gros de la troupe qui grignote les jeunes feuilles en attendant.
La femelle de tête reprend sa progression. Elle change de direction et s’oriente vers la rivière. Ils vont remonter le lit et aller boire aux trous en amont dit Steve. Pourquoi pas à la mare juste sur l’autre rive ? Ils ignorent peut-être qu’elle est en eau (mare naturelle mais pompage installé récemment). Voyons. Le femelle traverse le lit de la rivière, grimpe sur l’autre rive et tire droit sur la mare. Elle sait où elle va, c’est évident. Passionnant. Mais, petite stupéfaction, elle longe la rive et file droit sur l’abreuvoir au pied de l’éolienne de pompage. Et là, toute la troupe arrive se met à boire. Il est 19h, il fait quasiment nuit, mais je fais quand même une photo de la scène avec le Lumix, zoom et sensibilité au max, 3200ASA. A peine lisible, mais lisible.
Steve me dit qu’ils attendaient la nuit. Allez savoir pourquoi.

Dîner en tête à tête avec Steve, car Nick regarde le match Zim-Afrique du Sud au restaurant-café. Steve m’informe que l’organisateur d’une manif prévue demain à Harare, contre la corruption, a été enlevé par des inconnus et retrouvé nu et bien battu au bord d’une route. Son frère lui, a disparu l’an dernier et n’a jamais redonné signe de vie. Sa photo aux mains de la police a circulé sur l’internet. Il a fui à l’étranger disent les autorités. Nous parlons donc politique, état policier, arbitraire et corruption, endémiques ici.
Le ministère et le gouvernement sont devenus hystériques l’an dernier après l’empoisonnement d’une mare au cyanure par des braconniers, qui a entrainé la mort de plusieurs dizaines d’éléphants et créé un scandale international. Il a voulu en rétorsion déplacer tous les employés des parcs nationaux, mais il a dû s’arrêter à la moitié, faute de l’argent nécessaire. Thinkwell, le fantastique pisteur de rhinos qui trouvait un pipi de rhino noir en moins de 15 minutes dans un rayon de 200m (cf journal 2009), était de la charrette. Il est aujourd’hui à la pêche dans le lac Kariba. Déprimant.

Steve refuse mordicus que je paie mon séjour. J’ai payé les courses d’intendance pour la semaine et je paierai les frais d’hôtel et de repas dimanche. Et j’enverrai un colis de remerciement.

21h30 – Nick arrive, radieux. Le Zim a gagné. Steve jubile car, je ne sais plus quel pays de la couronne britannique, l’Angleterre je pense, a gagné au cricket contre l’Inde cet après-midi, ce qui l’a fait sauter de joie. So British !

Il fait 29° dans ma chambre. Je fais mes valises. J’ouvre le macbook pour jeter un œil sur les photos. L’icône du disque dur secondaire (carte format SD, 128Go) a disparu du bureau. Mémoire inaccessible. Grosse frayeur. Je réinitialise le mac. Tout redevient normal. Ouf !
Mais trop fatigué pour poursuivre.
Au lit.

Dimanche 20 novembre -
Nuit calme et chaude. Réveil vers 3h, sommeil bizarre ensuite. Je me lève à 5h40. Chargement des photos des derniers jours sur le mac. Bouclage de valises et sac photo.
Il fait 28°. Le temps est couvert et lourd. De gros congestus bourgeonnent à l’horizon.
6h – je vais saluer la plaine de la Sinamatella. Et j’observe un jeune buffle solitaire occupé à paître en se déplaçant doucement vers l’ouest. Aucun autre buffle à l’horizon. Perdu peut-être dans la fuite devant les lions cette nuit. Mais pas de lions non plus. Mystère. Épilogue probable d’un drame de la nuit.
Il y a foule chez les pintades. Un couple d’aigles ravisseurs me passe sous le nez.

Nous partons un peu avant 7h après un petit déjeuner expédié.
Il pleut lorsque nous passons l’entrée du parc. Il faut bâcher les valises.
La traversée de la mine de charbon à ciel ouvert est spectaculaire. Des foyers de combustions sont allumés un peu partout dans l’affreux chaos du paysage dévasté, ajoutant à son aspect infernal. Steve m’explique qu’il s’agit bien de combustion spontanée et que c’est un vrai problème car le phénomène peut survenir n’importe où et prendre des proportions importantes (problème universel dans ce type de mine en fait, cf internet).
A Hwange ville nous faisons le plein, puis nous passons chez Nick porter à sa femme 100$ dont elle a besoin pour inscrire sa fille à l’école pour la rentrée, l’établissement ayant exigé cette somme, à défaut de laquelle pas d’inscription. Ils habitent la "grande banlieue" de Hwange-ville. Nous rejoignons la route de Vic Falls par un raccourci qui longe un ranch immense dont Steve me dit que ses propriétaires ont été expulsés sans compensation en 2002 après le vote de la loi de redistribution des terres qui les obligeait à quitter leurs exploitations, et que le gouvernement Mugabe a ensuite donné le ranch à une entreprise chinoise, qui semble-t-il n’en fait pas grand chose. Cette politique a été un désastre pour le pays qui a vu s’effondrer sa production agricole dans les années qui ont suivi, les gens qui ont repris les domaines n'ayant pas les compétences ou les moyens financiers ou les deux pour une exploitation efficace des terres agricoles.

Sur la route de Vic Falls nous longeons un autre ranch sur des kilomètres, immense. Steve me raconte l’histoire du ministre gourmand qui ne dissimulait même pas sa corruption et son avidité à accumuler des biens immobiliers. Il était le seul ministre d’une ethnie qui devait avoir un représentant au gouvernement, donc pas limogeable. Il était passé dans plusieurs ministères où il s’appropriait tout ce qui passait à sa portée. La seule solution qui avait été trouvée par la présidence pour le neutraliser a été de lui confier le ministère de l’indigénisation où il ne pouvait plus rien voler. L’histoire raconte qu’un jour en passant devant un très bel immeuble, il fait arrêter son véhicule et dit à son assistant qu’il veut acheter cet immeuble, a quoi l’assistant répond que ce n’est pas possible. Fureur du ministre qui demande pourquoi. Parce que vous en êtes déjà le propriétaire Mr le ministre !

A Vic Falls vers 10h, nous passons en vitesse prendre de quoi manger à midi dans un supermarché (sandwich, muffin).
Steve donne un dollar au jeune qui joue les gardiens de parking. Il le connait bien, et me dit qu’il a une maladie grave, sans savoir laquelle exactement. Effectivement il a une mine terrible et l’air d’avoir du mal à tenir sur ses jambes. Et personne ne s'en préoccupe. Et nous filons en laissant le jeune homme à son parking, sa solitude, et sa probable fin prochaine. Et je n’ai pas le courage de proposer à Steve qu'on fasse quelque chose pour ce gamin. Je pars demain et le parcours d’embûche est sans aucun doute à une échelle de temps bien au delà de cette durée, si tant est qu’une telle entreprise puisse aboutir. Pauvre justification. Bref je me sens mal.
Et nous filons chez Lorrie déposer nos bagages. Elle nous donne nos chambres. J’ai déjà occupé en 2013 celle qui m’est dévolu. Mais ce sont des chambres normales, pas les chambres de guides, bien moins chères, que j’avais demandées (50$ vs 90$). Mais je n’objecte rien, soucieux de ne pas offenser. Ensuite cap sur l’entrée du parc de Zambezi à un quart d'heure de voiture pour une petite exploration de la rive gauche du Zambèze.
Steve connait et salue le personnel administratif de l’accueil et les gardes en faction. Il a vécu dans le parc plusieurs mois.

Steve/Zambèze
Steve sur le lieu où il a vécu plusieurs mois avec sa famille.
Singe
Babouin local.

Nous prenons la piste un peu après 11h. Il n’a pas plu ici depuis très longtemps. Le milieu est lunaire et lugubre sur des kilomètres, jusqu’à Boulder pass, vague col rocailleux après lequel le paysage s’améliore nettement. Nous faisons quelques haltes sur des points d’observation qui dominent le fleuve.

Arrêt pour déjeuner vers 12h30 près du confluent de la rivière Siansimba sur un site splendide. Une plateforme sous de grands arbres domine un bras du fleuve bordé par une belle plage de sable. C’est là que Steve, Sue, et les enfants ont campé pendant trois ou quatre mois lorsqu’il s’occupait de la restauration des pistes du secteur quand BT a entrepris de remettre le parc en état de fonctionner. Il en a un excellent souvenir, terni évidemment pas le drame qu’il m’a déjà raconté au cours duquel un jeune de l’équipe a été une nuit tué et dévoré par un crocodile.

Zambèze1 Zambèze2 Zambèze3 Zambèze4
Le Zambèze en divers points de son cours en bordure du parc national de Zambezi. Sur l'autre rive, la Zambie.
phacos
Famille de phacochères avec des nouveaux-nés,
observation rare.
oies de Gambie
Oies de Gambie et jabiru dans une crique
sablonneuse du Zambèze.
Nous prenons après le déjeuner une piste qui nous ramène un peu à l’intérieur des terres. Le milieu est plaisant, prairies ouvertes, et sous bois lumineux. Bizarrement la forêt n'est pas dévastée par les éléphants comme partout ailleurs (essences que les éléphants n’aiment pas trop ?). La piste est sableuse. Et soudain, ouah ! un lion, sur la droite, que nous apercevons en même temps. Il est seul, s’écarte prudemment mais sans précipitation de la piste. Tourne la tête pour nous observer, puis s’éloigne dans le sous bois, et nous le perdons de vue. J’ai eu le temps de faire une ou deux photos.

Puis nous visitons les autres points de vue sur le fleuve : Chomunzi lookout, Tsowa lookout, etc.., et nous croisons la route d'une famille de phacochères avec des quasi nouveaux nés, d’un balbuzard pêcheur, d’un guib harnaché (bushbuck), d'oies de Gambie(spur-winged gosse), de vanneaux du Sénégal (african wattled lapwing), francolin huppé (crested francolin), aigle martial, œdicnème (dikkop), autour chanteur (chanting goshawk), et d’autres encore, non notés.

Et nous butons dans la limite ouest du parc.
Le retour est un peu morne. Le ciel est gris. Un babouin seul au sommet d’un grand arbre nous ignore superbement. Un autre balbuzard passe.

francolin huppé circaète brun autour chanteur vanneau du Sénégal
Francolin huppé, circaète brun, autour chanteur en mue, et vanneau du Sénégal.
Au dernier arrêt un groupe de waterbucks (cobs defassa) s’abreuve dans un bras mort du fleuve. Un groupe un peu bruyant qui descend le fleuve en canoë les effraie et les fait fuir. Photos de traversée au galop.
waterbucks autour chanteur vanneau du Sénégal
Mr waterbuck (cob defassa) est inquiet, les femmes et les enfants d'abord, au galop, et le chef ferme la marche, traversée au galop.
Fin de la visite.
baobab
Le baobab, gardien intemporel et respecté des lieux
Nous sommes de retour chez Lorrie vers 17h. Douche et café.
Pas de nouvelle de BA pour mes vols de demain. Pas de nouvelle de Trevor non plus. Bonnes nouvelles donc.
Whisky à l’apéro, Steve prend une bière.
Diner pas mal : salade mixte et fricassée de blanc de poulet – purée. Je raconte un peu l’Antarctique à Steve. MacMurdo, l’ambiance, la météo, la fantastique baie de Ross vue du Bassler (DC3, oui oui ! aménagé pour la fonction), le lancement du ballon, le recovery,… (cf mon blog de glace).

Le wifi est coupé lorsque je veux appeler Magali vers 21h30 (20h30 à la maison). J’éteins après avoir vainement essayé d’aborder la lecture d’une 3ème page.

Lundi 21 novembre -
Emergence vers 4h30. Service technique, puis vague méditation, sommeil du pauvre, et finalement debout à 6h.
Toilette, valise, rédaction.
Petit déjeuner avec Steve à 7h. Evocation de la météo comparée ici et en France avec trois climats dominants qui s’affrontent et qui font des météos totalement différentes à 200 km de distance. Ici il fait le même temps à Bulawayo qu’à Vic Falls. Et nous parlons des mares une fois de plus.

Un peu avant 10h j’appelle Magali en vitesse. Tu vas trouver la France en émoi dit-elle, c’est Fillon ! Cette échéance m’était totalement sortie de l’esprit, chassée loin derrière l’horizon de la belle savane par les lions et les éléphants, et le grand ciel d'Afrique. Je suis sans voix. Sarko et Juppé jetés aux primaires de la droite. Heureusement que je suis assis. Ce n’est pas une bonne nouvelle évidemment, même si aucune option ne pouvait en être une pour moi anyway, mais certaines sont pires que d'autres. On va avoir droit à une jolie marée archi conservatrice néolibérale bien rigoureuse, dans la logique du bonhomme, s'il est élu, et il a toute ses chances dans l'état où est notre gauche. A nos rapières compagnons citoyens ! Va falloir ferrailler, pour la bonne cause. Poursuite du glissement progressif du futur, après le désastre aux US.

Je règle la note des chambres. Lorrie nous donné des chambres normales, assez luxueuses, alors que je lui avais demandé des chambres « guides » bien moins chères et très confortables néanmoins, mais sans la clim que je n’utilise jamais. Mais la facture est celle de l’option demandée : 120€ pour Steve et moi, avec diner et petit dej (full English) et bières et whisky. Merci Lorrie !

10h40 - Je lui claque la bise et je serre la pogne de Clive (hmm), et de Georges, cordial, qui ne va manifestement pas bien (86 ans) et qui me dit "au revoir !" en français dans le texte, presque sans accent.
Nous passons ensuite saluer Trevor à son bureau, à sa demande, et nous le trouvons à l’entrée de ses bureaux juste comme il revient de Chamabonda pour je ne sais quelle intervention. Congratulations d’usage. We keep in touch !
En route Steve me raconte les astuces sordides des flics endémiquement corrompus pour justifier des prunes aux citoyens sur la route. Méfiance.
Nous sommes très en avance à l’aéroport, ce qui permet à Steve d’être libéré plus rapidement.
Peu de monde à l’enregistrement pour mon vol. Je chasse mon hôte à regret. Sincères échanges. Je prévois de leur faire un colis pour Noël.

Pas fait un tour de boutiques de Vic Falls, ni un tour aux chutes. Bien ainsi. J’ai déjà fait, et je n’étais pas là pour ça. Et la maison est pleine.

Le nouvel aéroport est pimpant, moderne, lumineux. Je le trouve très agréable. A l’exception du parking qui est planté de boutures de 50 cm qui ne feront pas d’ombre avant 15 ans.
Enregistrement en douceur, et première étape de la séquence contrôle des bagages, mal nécessaire peut-être. Boutique sans intérêt.
Salle d’embarquement vers 12h15. Rédaction de mes notes de terrain.

Un gros groupe de français débarque. Touristes de Transunivers qui arrivent de parcourir les sites touristiques d’Afrique du Sud et du Zimbabwe, sans avoir parlé à aucun citoyen local me disent des voisins de sièges en salle d’embarquement. Ils ont l’air plutôt contents néanmoins.

Embarquement. Dans la cabine de l’avion, interpellations bruyantes et rires gras des mêmes me rappellent notre culture commune, et cette scène très ancienne de ce mufle hors de lui qui faisait scandale à JFK, parce qu’il n’avait pas pu avoir son truc hors-taxe, en insultant l’Amérique et ses citoyens, qui m’a fait affreusement honte, et que je n’avais pas eu le courage de remettre à la place qui lui revenait. Petite lâcheté que je n’ai pas oubliée. Moindre cadavre dans le placard dédié.
Je me suis retourné sur mon siège pour un regard appuyé à l’un des braillards, qui a compris qu’il dérangeait et qui s’est tu ensuite, merci à lui.
Avant cette scène, à l’embarquement, en traversant les 1ère classes (ou business), je remarque une femme qui fait des réussites sur son bel ipad. Grande écharpe de soie (hermès ?) sur les épaules, vêtements de luxe, élégance très voyante, multiples bracelets d’or aux poignets. Lui coté hublot, chapeau sur la tête, long cheich autour du cou, noué en double à la chamelier, fringues de luxe de broussard de salon, est vautré sur son siège, l’air de s’ennuyer avec l’emphase ostentatoire de l’homme qui en a les moyens. Échapper à l’ennui est un privilège que nul, si riche soit-il, ne peut s’acheter.

Vol barbant. Le café fait patienter. Trois heures de correspondance à Joburg. Lecture & rédaction. Le service sur le vol vers Londres fût moins calamiteux qu’à l’aller.

Mardi 22 novembre, 5h – Tarmac de Londres Heathrow. Interminable et assez lugubre parcours en bus depuis l’avion jusqu'au terminal, dans l’aube grise, à travers un labyrinthe de bâtiments, pistes, hangars sinistres, que je subis un peu hébété, debout, au bout d’une courte nuit assis. Les autres passagers n’ont pas l’air plus vaillants.
Surprise, le hall international est une ruche bourdonnante. Toutes les boutiques hors taxes sont ouvertes à 6h du matin.
Bizarre, je me souviens qu’avec Ariane en 2013, tout était fermé à cette heure-là. C'était un dimanche matin sans doute. Sunday is closed !
Je me précipite vers les étalages de whisky, et après examen attentif des propositions et mure réflexion, j’attrape deux flacons de Speyside : Glenrothes, que je connais, et Longmorn que je vais découvrir. Surtout ne pas chercher la bonne affaire à Heathrow – elle n’existe pas – mais plutôt les nectars non exportés chez les froggies.

Interminable traversée du contrôle des bagages. Aaargh ! à la sortie du scanner mon bagage cabine est implacablement basculé dans la file des bagages à contrôler manuellement. Devant moi il y a une portugaise qui arrive de Shangaï et qui voit ses trois packs de trois cannettes de Tiger (boisson énergétique ?) dézingués avec application, et chacune des neuf cannettes soigneusement pesée sur une balance de précision, puis le tout réemballé en mode «vite, au suivant !». La victime ne perd pas son sourire. La jeune préposée qui officie est de glace. Le suivant c’est moi. Impitoyable, elle sort tout le contenu de ma trousse de toilette, qui contient plein de petits flacons qu’elle examine un à un. Et je découvre que j’ai laissé dans cette trousse un petit ciseau, qui aurait dû être dans le bagage enregistré. Juste un peu plus long que la jauge qui définit la taille maxi autorisée. Too bad ! il finit dans la corbeille des confisqués. C'est le sort que connut aussi jadis mon cher couteau suisse, dans les corbeilles d'Air France, alors que Korean Airlines une autre fois me l'a gracieusement transporté jusqu'à ma destination. Et la petite fée impassible du contrôle me libère avec mon vrac. Bof. On a vu pire.

Le vol de Lyon n’est pas plein. J’ai une fenêtre. Le jour se lève. La terre d’Albion porte sa coiffe de nuages ordinaire, comme ma grand-mère quand elle partait pour la messe. Mais chance, le couvert nuageux s’ouvre juste à l’approche de la côte de Normandie, que le premier soleil inonde avec bienveillance de sa lumière dorée. La Manche est d’un bleu profond perlé du blanc de la houle qui moutonne, ce qui atteste d’une bonne brise là en dessous, et les falaises sont ourlées du même blanc de l’écume des vagues qui battent à leurs pieds. Plus loin la terre est habillée de son costume d’Arlequin, patchwork de parcelles de cultures brodé de haies et de bosquets d’un vert sombre, qui semble ignorer l’automne, et magnifié par la lumière du matin. La Seine découpe le revers de cet habit de fête et déroule ses derniers et voluptueux méandres, avant de s’étaler étourdie en son estuaire paresseux qu’engloutit à la fin l’océan. Alors le ciel autour de l’avion s’embrume à nouveau rapidement, et le brouillard est total dans la minute qui suit. Nuages ensuite jusqu’à Lyon St Exupéry. Et enfin les derniers contrôles. Mon bagage a suivi.

Magali est assise, plongée dans le Libé du jour, quand je sors dans le hall d’arrivée.

A midi je fais le tour du potager pour voir si mes scaroles ont prospéré.

St Jean le 2 décembre 2016 fin d'assemblage du document le 11 janvier 2017

- Épilogue -
J'ai envoyé à Steve pour Noël un colis avec papillotes, miel de mes ruches, champagne, littérature, et un ensemble d'éclairage solaire avec batterie et ampoules LED 12V, pour leur éviter à lui et Sue les soirées à la bougie pendant les pannes d'électricité fréquentes qui émaillent la saison humide là-bas, et qui peuvent durer des jours. Sylvie Pons de Makila Voyages, qui allait passer comme chaque année la fin de l'année à Vic-Fall et Hwange, a bien voulu prendre le colis en charge comme elle l'avait fait à deux reprises pour des pompes de rechange il y a deux ans. Steve et Sue ont eu leur colis début janvier.


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