Erebus Cape Evans Mount Discovery manchots
Monts Erebus (volcan actif), Terra Nova, et Terror - Cap Evans (site de la seconde cabane de Scott, janvier 1912) - Mont Discovery face à l'île de Ross - Groupe de manchots Adélie en migration.

payload
L'expérience CREAM sur son aire d'envol.

mise à jour 4 janvier 2024

Journal de mission en Antarctique

pour le lancement de l'expérience CREAM embarquée sur un ballon stratosphérique

Base USAP de McMurdo, 5 novembre - 21 décembre 2007

(Image de mon ancien "Blog de Glace" tenu pendant le séjour )

Liens :
- Journal de la mission suivante de janvier 2009 (volume II du journal).
sur la récupération de l'expérience CREAM sur le continent Antarctique à l'issue du vol de décembre (2008).
- Télécharger une présentation tous publics du séjour et de l'expérience (fichier pdf 38Mo).

Journal du Grand Sud

1ère partie (novembre-décembre 2007)

Prologue

Ce récit est la chronique au quotidien d'un séjour scientifique effectué en Antarctique sur la base américaine de McMurdo, pour le lancement de l'expérience CREAM (Cosmic Ray Energetics and Mass), programme expérimental d'étude du rayonnement cosmique nucléaire, collaboration États-Unis/Corée/France/Italie/Mexique. L'équipement expérimental est embarqué à bord d'un ballon stratosphérique lancé depuis la base, pour une prise de données qui dure en général une vingtaine de jours, jusqu'à une quarantaine dans le meilleur des cas, et seulement quelques jours parfois, selon les caprices de la circulation atmosphérique. La base de McMurdo est située dans la baie de Ross sur l'ile du même nom, dans la partie du continent qui fait face à la Nouvelle Zélande distante d'environ 4000 km. Ce dernier pays héberge la base logistique de l'USAP (United States Antarctic Program) dans la ville de Christchurch. C'est de là que partent et là que reviennent tous les personnels et équipements à destination de McMurdo et de la station South-Pole (autre station US, au pôle sud celle-là).
Blog
Introduction du blog à sa création :
Celui là n’était pas prémédité, ni totalement improvisé. Antje, une thésarde du groupe m’a proposé de créer un blog pour communiquer à l'équipe les nouvelles du quotidien coté sociologie et société. L’idée m’a plu. L’expérience aussi, ma première du genre. L’ego s’y frotte, au risque de s’y piquer. Narcisse guette au coin du bois. J'ai essayé d’échapper aux extrêmes de l’ostentation m’astuvuiste, comme de la monotonie du politiquement correct avec propos aseptisé. Terrain miné ? Le risque est réel de barber ses contemporains avec de la prose de tête de gondole. Mais le clic est là qui veille au grain de l'intérêt, gâchette sans état d’âme de l’internaute, et juge de paix impitoyable à l'imprescriptible liberté, de vos petits errements littéraires ou qui se prétendent tels. C’est la loi du "net" au sud du Pecos.
Bref, comme je tiens toujours un petit journal personnel quand je voyage - à l’origine pour garder une trace de nos découvertes touristiques - il était facile d’adapter la méthode moyennant quelques réaménagements et de donner au texte un aspect plus présentable qu’à l’ordinaire.
Le gentil commentaire que m’a collé une internaute (merci Lyse) sur la narration des premières étapes de l'aventure, a levé mes dernières hésitations à raconter cette histoire au jour le jour. Des faits bien sûr, mais aussi ma perception personnelle de ces faits, et le soulèvement d’un coin du voile de mes humeurs au fil des événements, moins faciles à soumettre au jugement public, mais sans lesquels le texte n’est plus qu’une liste d'inventaire sans contexte. Et j'ai finalement plongé dans les miroitements de cette mare aux canards internautique. Barbotons donc.
Je suis ravi, j’ai une lectrice inconnue, donc non convenue, ni complaisante, et plutôt contente jusque-là, qui suit le blog au quotidien et le commente. C’est une performance d'audience littéraire modeste mais qui me convient bien.
C’est mon premier, et sans doute aussi dernier blog.
McMurdo, novembre 2007.

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Vers la face cachée de la terre


Lundi 5 novembre
Tout commence avec le train de Lyon, TER mais rapide, enfin, assez. A Lyon, le TGV qui doit me poser à Roissy est annoncé avec 50’ de retard. Adrénaline. Je suis vert. Le temps de passer à l’accueil pour me renseigner, le retard est passé à 1h. Le préposé ne peut pas me garantir qu’on en restera là (pb de signalisation dit-il !?). Une heure de retard me met déjà à 15’ de la fin de l’enregistrement à CDG. Une minute pour la décision : le TGV de Paris part dans 3’. Je fonce, pression maxi. Une fois dans le train, tour de téléphone, Magali, Elise, Laurent, pour apaiser ma rogne et anticiper la suite. Gare de Lyon avant 18h, 5’ de gagnées. Le RER pour Chatelet arrive quand je débarque sur le quai. Le RER pour Roissy arrive quand je sors de la rame à Chatelet (quai d’en face). Finalement, j’arrive à la gare TGV de CDG (en RER) 5’ avant l’heure d’arrivée officielle du TGV de Lyon (18h45) s'il avait été à l'heure. Ouf !

Décompression. Enregistrement paisible au terminal 2C de Roissy CDG, au comptoir d'Emirates servi par les gracieuses hôtesses au petit chapeau rouge et au petit foulard de soie, un peu précieux. Attente à l’embarquement. Petit retard. Bonne fenêtre en cabine (réservée longtemps à l’avance).
La cabine de l’avion (A330) n’a rien du luxe qu’on pourrait attendre d’une prestation des magnats du pétrole. Fort sobre même. Je suis assis à coté d’une jeune Dubaïenne aux grands yeux noirs craintifs, toute de voile noir vêtue, affligée d’une acnée un peu sévère, timide, mais qui converse volontiers néanmoins. Elle revient de chez son orthodontiste à Paris, son père, militaire de carrière, ayant continué sur l’Italie. Elle étudie la comptabilité et elle connaît bien Paris.
Le repas est correct, mais une des deux options n’est pas disponible. Poulet tandori obligatoire. Le vin est espagnol. Pas pire. Je savoure ‘North by Northwest’ pour la nième fois avant de dormir, et je le fais découvrir à ma voisine. Sommeil inconfortable, jusque vers 2h30.

Mardi 6 novembre
Réveil par le commandant de bord à 6h heure locale (3h à Paris). Je lève le rideau du hublot : la nuit est encore belle. Ciel étoilé. Paysage somptueux. Nous commençons à survoler le Golfe Persique magnifiquement illuminé - Bahrein sans doute. Fête de lumière de la dévastation environnementale. De grandes torchères clairsemées, îlots pétrolifères ou plateformes pétrolières, sont posées sur le noir profond des eaux du golfe, chacune auréolées d’un halo d’étoiles d’éclairage public ou industriel. L’horizon commence juste à pâlir, moment privilégié, heure bleue du ciel, il se teinte progressivement d’un jaune pâle lumineux.
L’océan tourne du noir profond au gris acier, puis les plateformes, les bateaux et leurs sillages, émergent de l’ombre, doucement.
L’avion commence sa descente vers Dubaï. La ligne d’horizon jusque là parfaite, s’estompe d’abord doucement, pour se diluer complètement dans la brume qui nimbe la basse atmosphère. L’avion survole des installations portuaires à basse altitude, et un étonnant panneau publicitaire au sol, grand comme un terrain de football, nous annonce la ville du futur, modestement. Vue magnifique sur les silhouettes futuristes, un peu fantomatiques, des gratte-ciels qui hérissent la ville, émergeant de la brume, juste avant l’atTerrissage (photos). Toucher. Long roulage sur la piste. Le jour est levé. Les façades de verre des immeubles qui bordent l’aéroport s’embrasent soudain dans les premiers rayons du soleil qui vient d’apparaître, et qui sera bientôt implacable.
Débarquement aussi calamiteux qu’à Roissy (travaux d’extension là aussi). On attend la passerelle un bon quart d’heure. Après un contrôle de bagages pas trop tatillon - mais je dois quand même enlever mes chaussures - le passager ordinaire est précipité brutalement dans le hall très, très commercial de l’aéroport. Pas d’humeur à lécher les étalages, avec mes deux sacs qui ne se laissent pas oublier (8.6+5.5 kg). Il est 3h à Paris. Mort de soif – on ne nous a même pas servi un verre d’eau avant l’atTerrissage - j’achète une bouteille d’eau, et je file me poser devant la salle d’embarquement du vol pour Christchurch, pas encore ouverte. Brin de toilette et méditation d’aéroport. La salle ouvre un peu avant 9h (6h à Paris) Je trouve une prise pour brancher le laptop et commencer à rédiger mes notes de voyage.
La salle d’embarquement se remplit jusqu’à devenir pleine à craquer. L’A345 est bien plein. Beaucoup des passagers sont d’âge bien mur, voire un peu hors d'âge... Décollage de Dubaï un peu en retard. Jolie vue sur la déjà mégapole. Impressionnante lignes d’immeubles posés incongrûment sur le littoral du désert (photos), puis le désert lui-même, au-delà du golfe, ondulant, caillouteux, fascinant, arborant toutes les nuances du jaune au pourpre. Des montagnes approchent. Nous traversons le sud de l’Iran (?). Paysages fabuleux. Palettes d’ocres, de bruns, et d’anthracites magnifiques (photos). Puis le littoral, minéral, doré d’un coté, émeraude de l’autre, traversé comme au ralenti, et l’avion se glisse dans l’immense traversée du ciel de l’océan Indien. Somnolence le nez collé au hublot. Apéritif (bière) puis déjeuner – toujours une seule option (beef stir fry cette fois), accompagné d’un Chardonnay australien. Longue sieste au terme de laquelle j’enjambe mon jeune voisin qui dort pour aller prendre un café. Cinq heures de vol écoulées.

montagnes Iran
la côte iranienne sur l'Océan Indien.
montagnes Iran
Fascinantes montagnes de l'Iran.

Plus que 8h30 pour Sidney. J’évalue l'arrivée de la nuit à une heure de temps. Bonne estimation. Coucher de soleil vers 16h (à Dubaï). L’avion plonge dans la nuit orientale. Il survole un tapis d’alto cumulus tandis qu’à l’horizon apparaît une barre tropicale de gros nuages hérissés de tours de cumulo-nimbus.
Vers 21h (à Dubai) coup d’oeil sur la carte de vol : zut, on est déjà en dessus de L’Australie, qu’on va traverser en diagonale. Je verrai peut-être cette partie du parcours au retour. Je regarde les Simpson à la télé (écran 20cm très bien, lisible, sauf quand le siège de devant est incliné, et le son est bien aussi, bien mieux que sur Air France). Simpson délicieusement grinçant, avec quelques gags franchement désopilants. Puis j’embraye sur Ocean 13 (Soderberg), furieusement barbant. 21h30. Pas sommeil. J’ai somnolé un peu pendant le film. J’enjambe une fois de plus mon voisin, qui dort pratiquement depuis le départ. Encore 3h avant Sydney. Je réalise que le vol ne dure que 13h30 à cause des jet streams : vitesse au sol 1000-1080km/h au lieu de 900 en croisière normale. Donc ça va être bien long pour revenir (15-16h). Bof.

Lever du jour sans relief particulier. Je découvre une Australie (entre Brisbane et Sydney) uniformément gris-bleue dans les premières lueurs de l’aube, puis une mer de nuage, alto-cumulus qui ondulent en rangs sages dans les premiers rayons du soleil. La région de Sydney est verdoyante. Nombreux arbres fleuris dans les tons bleu-mauve (Jacarandas ?) dans la banlieue de la ville survolée à basse altitude. AtTerrissage en douceur, enfin. Mais débarquement obligatoires avec une volée de recommandations et de menaces à peine voilées sur les risques encourus par les tricheurs et autres contrebandiers amateurs (Don’t mess with Australia !).

Donc re-débarquement et re-contrôle de bagages et re-passage en salle d’embarquement - j’en profite pour une toilette de chat – puis ré-embarquement, pour les dernières 2h30 de vol. Joli spectacle au décollage de la région littorale de Sydney.

la côte de NZ
La côte nord de a Nouvelle-Zélande
la côte de NZ
Nouvelle-Zélande: la chaîne montagneuse de l'ile sud
Fatigue. J’arrive à peine à somnoler un peu, avant que la longue côte de la Nouvelle-Zélande ne commence à se dessiner au loin. Puis à prendre forme et se hérisser de jolis sommets enneigés. Beau spectacle que l’avion survole avec précaution. Puis magnifique ambiance de montagne, sommets très alpins, immenses moraines glaciaires, lunaires, qu’on aperçoit entre les gros nuages qui enveloppent le massif. Puis une plaine apparaît soudain, vision étonnante après cette traversés sauvage, incroyablement verdoyante, incroyablement ordonnée, comme artificielle (ben, elle l'est un peu...). L’avion glisse doucement sur cette vision étrange jusqu’à la piste, bien réelle, où il se pose enfin. Petit roulage et débarquement. Immigration interminable. Evidemment, je tire la file d’attente d’une préposée très appliquée, donc très lente, et en prime débutante, donc encore plus lente. J’enrage. Quand vient mon tour, elle doit se renseigner pour savoir comment traiter mon cas. Feu vert finalement, pour l’antichambre de l’Antarctique. Valise récupérée. Encore un dernier contrôle de bagages, corsé. Il fallait sur le formulaire douanier, déclarer ses éventuelles chaussures de randonnées. J’ai hésité devant la bizarrerie de cette exigence, mais je me suis conformé à la règle. Bien inspiré. Le douanier est allé me laver les semelles de mes 2 paires de godasses. Pas cocasse vu le temps que ça a pris. Belle conscience professionnelle. On ne plaisante pas avec l’importation de la contamination ici. Enfin, je suis sur le trottoir devant l’aéroport, à Christchurch-Nouvelle-Zélande, après 36-37 heures de voyage, une demi douzaine de contrôles de bagages avec déchaussage, extraction du laptop, des papiers, passage aux X, et quelques repas calamiteux.

hotel So
Ma chambre high-tech sans fenêtre à l'hôtel So de Christchurch.
Je trouve tout de suite un taxi-shuttle qui m’amène en ville avec quelques autres et me dépose à l’hôtel So au centre ville. Accueil très cordial. Chambre très high-tech, avec gadgets pour écolo névrotique dont séquence télé de relaxation et d’endormissement, ensoleillement artificiel, … Un peu niaiseux, mais inoffensif. Très petite chambre – disons 8m2, très fonctionnelle, bien conçue, plutôt agréable dans son genre. Télé écran plat au mur au pied du lit qui couvre la largeur de la chambre. Mais, sans fenêtre. Une honte ici, impardonnable. Ils me l’ont attribuée pour m’épargner les bruits de la ville, disent-ils. Bidon. Facile de vérifier que peu de chambres en ont. J’aimerais mieux les bruits de la ville que le silence de ce petit tombeau de luxe. Grrrr… Bon, j’arrête là, les japonais ne font pas tant de chichis dans les hôtels à tiroirs de Tokyo.
Bagages posés, je sors pour trouver un adaptateur électrique moins cher que celui qu’une boutique de l’hôtel me propose (35$NZ !). Mission rapidement accomplie (15$NZ) au magasin du coin. Puis petit tour du bloc. Au moment où j’entre dans une librairie, je butte sur Opher, Young-Soo et Jin-A qui reviennent de me poser un message à l’hôtel. On bavarde un moment. Ils ont prévu de dîner trop tard pour moi. Je suis trop éteint. Encore quelques pas dans les rues du quartier, puis étape au bar de l’hôtel pour une assiette de boulettes de viande d’agneau et une bière (3 boys, ale locale, assez british, très bien). Au lit à 18h30, 30 secondes de télé avant que la zapette me tombe des mains.

Réveil à 0h40. C’était prévisible. Une heure à tourner en rond sous la couette comme un poulet dans sa rôtissoire. Finalement je décide de changer de tactique, j’éclaire et j’allume le laptop (wifi gratuit) devant la télé (CNN, chut), et je vaque sur les digits en attendant le retour du marchand de sable. Il repasse à 4h30 après 3h bien occupées à la messagerie et à la rédaction de mes notes. Lettre de recommandation pour Ching-Yuan qui cherche un nouveau postdoc, entre autres tâches. Je ré-émerge à 6h15, une heure quasi normale au standard local. A la douche !

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Christchurch, Nouvelle-Zélande

Mercredi 7 novembre (Jeudi 8 à Christchurch)
Petit dej’ au Bar de l’hôtel. Œufs au plat sur toast + mini saucisses + très bon bacon + galette pommes de terre + haricots façon Toulouse. Et deux cafés (pas de refill ici comme aux US !)
Beau temps frais, ~15°. J’appelle la compagnie de shuttle pour te transport à l’Antarctic Center de l’aéroport pour 13h. Puis tour de repérage pour le jogging éventuel du coté du grand parc à l’ouest du centre ville (500m), qui héberge le jardin botanique. Tour du jardin, niché dans une boucle de la rivière (l’Avon, tout un programme !). Superbe (photos). Surprise, plein d’accenteurs mouchets sur les pelouses. Espèce native ou importée ? et j’entends des chardonnerets que je n’arrive pas à voir. Magnifiques massifs de rhodos arborescents. Quelques arbres monumentaux impressionnants. Retour vers 11h 30 via la place centrale et sa cathédrale (moche) et la librairie où je jette un œil sur les guides nature et tourisme, et via le bar pour un petit café. La vie est belle.
Le taxi est à l’heure. La salle d’accueil du centre exhibe sur un mur les éléments de l’équipement "grand froid" (ECW, extreme cold wear) qui va nous être distribué (photo). Opher, Terri, Young-Soo, Jin-A, mes jeunes collègues de l'U. Maryland, Robi et Fritz (techniciens NASA Wallops/Goddard) sont là. L’affichage officiel dit que notre vol sur McMurdo est retardé de 24h. Reprogrammé samedi à 15h. Une autre équipe attend depuis lundi….
parc_1 parc_2 tel_boot centre ville
Les arbres majestueux du parc botanique et le centre ville de Christchurch
montagnes Iran
Ici on fait son sac pour 6 semaines.
montagnes Iran
expo de l'équipement individuel grand froid.
Une responsable nous fait un speech sur ce qui nous attend et sur la gestion des bagages. Elle a un bel accent NZ pas facile à décoder: il m’a fallu réaliser qu’elle parlait de check-in quand je me demandais de quel chicken il s’agissait... Je réalise alors que j’ai laissé mon laptop à l’hôtel alors que j'aurai dû faire contrôler sa conformité ici. Gros embarras. Il pourra être scanné et configuré à McMurdo me dit un responsable. Ouf. Ensuite récupération de mon équipement Grands Froids et séance d’essayage, puis préparation des sacs : 1 enregistré, 1 en bagage à main et 1 boomerang, qui nous est restitué si l’avion doit faire demi-tour pendant le vol (souvent le cas). Seuls les poids du premier et du boomerang sont comptabilisés dans le pesage et soumis à la limite de 34kg. Pas de souci donc. Mais problème de chaise musicale un peu inextricable car il faut préparer le sac enregistré et le sac boomerang et le bagage qui reste à Christchurch (pas obligatoire, je pourrais enregistrer ma valise, mais c’est plus simple), et garder des affaires qui constitueront une partie du bagage à main pour le ou les jours suivants à Christchurch avant le départ, et stocker séparément dans un sac la partie de l’équipement GF que l’on devra porter pendant le vol. J’ai pris un sac supplémentaire dans lequel je placerai mes deux petits sacs à dos: bagage à main et matériel photo. Vous lecteur, n’avez rien compris, mais c’est normal, moi non plus. C’est un casse tête inextricable pour tout le monde, mais qu'on finit par surmonter: il faut minimiser les réarrangements le jour du départ. Optimiste, je garde un volume minimal de fringues. Mauvais choix. Essayage sans problème. Tout mon équipement est à la bonne taille.

Il est 15h30 et je réalise que j’ai oublié de déjeuner, et comme il y a une navette en partance pour la ville, je saute dedans. Sandwich et café sur un coin de bar pour me redonner un peu d’énergie. Passage à l’hôtel pour déposer mes affaires et confirmer l’extension de mon séjour, puis errance au hasard des rues à la découverte de l’ambiance locale en attendant de retrouver Opher et les autres pour dîner.
La ville est agréable, avec un coté provincial, pleine de gens pas pressés. Pourvue d’un réseau de tramways à l’ancienne qui accentue son caractère rétro, un peu 19ème siècle. Atmosphère très british, avec de beaux espaces verts, des immeubles anciens, et de rouges cabines téléphoniques (booth). Elle manque un peu d’unité architecturale, ses immeubles modernes lui donnent une connotation de petite ville moderne américaine sur un fond traditionnel, genre Palo-Alto. La rivière et ses berges sont superbes et superbement entretenues, et fort appréciées des familles de canards, colverts et "paradise shelduck" (espèce native de tadorne), qui déambulent sur la pelouse rase ou qui barbotent insouciantes avec leurs portées de canetons trop mignons. Eh oui, c’est le printemps ici, pour les canards aussi ! Grands saules pleureurs, beaucoup de marronniers en fleurs. Les rues piétonnes sont aussi marchandes, bordées de boutiques, plutôt agréables. Fortes densité de commerces de matériel de randonnée et camping, qui donnent une idée de l’activité touristique locale.

Je retrouve Opher seul, les autres s’étant évaporés. Dîner rapide dans un restau sans âme. Cuisine correcte (côtes d’agneau). Bière moyenne. On parle de tout et de rien. Opher propose de louer une voiture et d’aller à Akaroa demain. J’appellerai le loueur sélectionné à 7h et je ferai circuler l’info à l’hôtel Windsor pour un départ à 8h30 avec Young-Soo et Jin-A. Au lit à 21h.

La baie d'Akaroa


Vendredi 9 novembre
plage et océan
L'océan Pacifique sud roule sur la grève qui fait face à
l'Antarctique.
fleur et plage
Fleurs de rivage, plage et ciel.
Réveillé à 5h45 après un épisode de veille vers 3h. Brèves ablutions. Messagerie. A 7h j’appelle Magali (via skype, très bien) puis le loueur (Apex). La voiture sera prête à 8h30. Je dois rappeler Opher, très grognon, qui m’annonce que YS et JA après avoir donné leur accord ont déclaré forfait sans prévenir. Il me retrouve à l’hôtel et finalement, on décolle vers 9h avec une 4 porte économique pour 89$NZ(~50€) assurance comprise, pour la journée. C’est moi qui drive. Opher met aussitôt en route la clim (15° à l’extérieur !) que j’éteins immédiatement en lui proposant de baisser sa vitre de portière. L’ambiance fraîchit un peu, donc. Akaroa est à 80km environ. Conduite à gauche prudente. Souvenir aigrelet des Cornouailles en famille avec le combi.

Grand beau temps bien frais. Campagne agréable. Qu’elle est verte la Nouvelle-Zélande. Des moutons partout of course. On passe près d’un lac ou j’aperçois avec bonheur mon premier busard (des roseaux ou proche parent, swamp harrier local, très commun) qui patine élégamment sur le bout des ailes quelques mètres au dessus de la lande.
L'itinéraire longe l'océan majestueux qui bat la grève de galets gris de puissants et spectaculaires rouleaux d'écume éclatante. Nous faisons une halte pour admirer les lieux et faire quelques pas sur la plage avant de repartir.

A mi-chemin on aborde progressivement la région montagneuse. Faux arrêt à un sanctuaire d’oiseaux, Opher que mes amis de toujours d'évidence indiffèrent commençant à devenir nerveux. Je contiens ma contrariété et nous filons.
La route s'élève ensuite jusqu'à un col au débouché apparait soudain un panorama époustouflant sur la baie d’Akaroa. Pétard de Zeus comme c’est chouette ! Mitraillage photo à la mesure du spectacle. Et café tellement bienvenu à la terrasse du mignon bistro à touristes judicieusement posé là.

akaroa_1 akaroa_2 akaroa_3 akaroa_4
La baie d'Akaroa, ses collines verdoyantes et ses eaux turquoises.

bateaux Akaroa
Fleurs de rivage, plage et ciel.
Nous empruntons ensuite la belle route des crêtes qui contourne la baie par l’est, pour descendre sur le village de pêcheurs d'Akaroa, où nous arrivons vers 12h30 après quelques arrêts photos supplémentaires. Le village est très mignon, fort touristique évidemment. On tourne un peu en rond avant de trouver le prestataire de ballades en bateau sur la baie. Finalement il est débusqué sur le front de mer (!). Et là nous apprenons que le fort vent du large risque d’entraîner l’annulation de la croisière nature de l’après-midi et que la seule option est de prendre le bateau (concurrent, plus gros) qui part tout de suite. A ces mots je réalise avec effroi que j’ai laissé mon k-way sur le plan de travail de ma chambre et que je suis bras nus avec une doudounette sans manches. Bon, on fera avec. C’est parti dans un vent frisquet sur un catamaran avec une grande cabine et un bar. Retraite tiédeur possible donc. Du monde, mais pas trop. Bateau puissant (photo). Nous nous installons à l’avant. Le vent forcit évidemment, dès qu’on arrive en pleine mer (intérieure) dans la baie, et ça buffe sec et c’est bien frisquet, mais supportable. Tout le monde a sorti, qui sa doudoune, qui son coupe vent et sa capuche. Cap sur l’entrée de la baie. Le bateau fait plusieurs haltes nature commentées sur la végétation et la faune, et aussi sur l’histoire : Akaroa est un ancien établissement français et le village est bourré de références linguistiques françaises, qui m’avaient frappées en le traversant (noms de rues, enseignes de magasins, etc..). Commentaire intelligent et fouillé du guide qui manifestement connaît bien son affaire, sentiment qui persistera jusqu’au bout de la ballade.

Le site est magnifique. La baie est longue de quelques km, et entourée de montagnes, verdoyantes au nord, et couvertes de genêts dans leur partie haute au sud, avec une végétation de milieu aride, genre yuccas, à leurs pieds. L’entrée de la baie vue de loin est particulièrement belle, fermée d’un coté par une immense falaise verticale, et de l’autre par une pente abrupte ornée de quelques arbres sur la crête. On aperçoit de loin les brisants de la haute mer, furieusement impressionnants. Content de pas y être. Le bateau passe un long moment sur le site de nourrissage (naturel) des dauphins d'Hector, espèce locale très menacée. Ils sont une douzaine, par groupes de trois ou quatre, à jouer autour du bateau. C’est un vrai bonheur de les regarder folâtrer et faire les fous en bondissant hors de l’eau. Le guide n’a pas dit s’il avait payé cher pour la démonstration de virtuosité, mais c’était impressionnant. Un phoque (d’une espèce plus que menacée) somnole sur un promontoire. Il relève mollement la tête de temps à autres pour nous observer, vaguement méfiant. Deux pingouins – leur nom m’a échappé, ‘à œil jaune’ je crois - sont occupés à pêcher et émergent de temps à autre (photos). Ensuite tour de la baie avec arrêt devant les fermes d’élevage des poissons en pleine eau (saumons et autres). La fin du circuit est dure. Pleine vitesse face au vent glacial. Je me gèle franchement. Mais pas envie d’aller me mettre en boîte dans cette ambiance décoiffante. Débarquement. Il est 16h. On se cherche un restau. C’est pas l’Amérique ici. On ne sert pas à toute heure. Mais la Providence des touristes congelés est avec nous.

dauphins mouettes goéland mouettes bis
Dauphins d'Hector (espèce rarissime gravement menacée), mouette argentée (chroicocephalus novaehollandiae) ou goéland à bec rouge, goéland dominicain (Larus dominicanus), groupe de mouettes argentées.

vue du sentier de chèvres
Le "sentier de chèvres" au retour. On a vu pire.
sentier de chèvres
Au détour du sentier de chèvres, une petite baie
ravissante.
Déjeuner tardif au « By Jove » où deux dames fort civiles, genre épouses de pêcheurs à poigne, nous servent une ‘seafood chowder’ (soupe de fruits de mer) de rêve, arrosée d’un pinot gris (Astrolabe, NZ) renversant, vraiment superbe (le choix contre le sauvignon a été laborieux), et suivi d’une chaudrée de moules colossales mi-marinières mi-mouclade. Une vraie fête. Petite ballade photos sur le front de mer ensuite avant de repartir. C’est Opher qui s’y colle cette fois à la conduite à gauche, et il ne fût pas très bon je dois le dire. Le matin il trouvait toujours que je serrais trop à gauche et il me harcelait un peu, et le soir il se bigornait carrément un trottoir, mortifié qu’il en fût le pauvre.
Nous décidons de suivre la côte au plus près. "It’s a goat track !" (c'est un sentier de chèvres) nous avait dit la dame du restau. Vérifié. Opher pas rassuré du tout à flanc de coteau sur une piste non asphaltée mais bien praticable sur 10-15km. Chouette circuit. Pigeon Bay, Port Levy, Diamond Harbour. Passés un peu vite, il aurait fallu s’arrêter, mais il est tard. Arrivée à Christchurch à la nuit par Lyttleton. Je suis mort de fatigue. Voiture au parking payant pour la nuit et vite, sous la couette. Message du centre Antarctique : vol encore retardé. Hôtel complet demain soir. Demain il fera jour. Hélas avant il fait nuit, et le monstre jetlag frappe à nouveau, durement.

Samedi 10 novembre
Mauvaise nuit. Réveillé à 1h40, puis plusieurs fois. Fin de nuit amère et pâteuse vers 3h40. Messagerie à 4h30. Douche de zombie à 7h. A 8h je descends à l’accueil. Je dois quitter l’hôtel aujourd’hui. Comme convenu, ils ont contacté Ibis et m’ont réservé une chambre pour ce soir et demain soir au cas où. Je vais au garage récupérer la bagnole et la rendre à l’agence, à deux pas de l’hôtel. Ciel gris. Il pleut un peu. Le gars de l’agence, très cordial me fait cadeau d’un guide de Nouvelle-Zélande. Je reviens petit-déjeuner, œufs Bénédicte et saumon de NZ. Pas mal. Le café est trop fort. Je remonte me traîner dans ma chambre et plier mes bagages, dans une pâteuse lenteur, et à 10h, check-out time, je change d’hôtel. Ibis est à deux minutes à pied. Là c’est le luxe assumé. Accueil courtois et efficace. Ma chambre est au 7ème étage avec vue sur la ville et les collines environnantes, et sur les mouettes qui passent, et sur le ciel gris et la pluie qui tombe. Ça ne vaut pas le coup de s’infliger la frustration de ce spectacle pour économiser une poignée de $ sur le prix de la chambre (50 quand même !). Internet par câble et payant (10$NZ pour 2h, pas pire). Téléphone d’Opher qui m’a localisé et qui me propose de déjeuner du coté de l’Art Center. Je décline à moitié. Je les rejoindrai si je me sens. Je sors faire un tour vers midi. Librairie encore. Je passe un peu avant une heure au restau indiqué par Opher. Il semble qu’ils n’y soient pas. J’achète un sandwich libanais (agneau et salade dans une pita) et je vadrouille un peu. Je passe acheter un filtre à polarisation pour le Pentax. Retour à la chambre après avoir attrapé une grande bière au bar (Monteith Ale, moyen). Je m’allonge devant la télé.... et je m’endors. Réveil comateux vers 15h30 dont je m’extraie à grand peine. Thé vert pour me réveiller. Une hôtesse m’apporte un message de Raytheon Polar Services : Les avions ont volé aujourd’hui, dans les deux sens, départ confirmé pour demain. Enfin. Je vais aller cuver mon jetlag au frais sur la banquise. Reste de l’après-midi tranquille à l’hôtel. Chargement des photos sur le pc, cartes postales, écriture, nonchalance appliquée, etc… Dîner avec Opher et Young-Soo, au restau Lone Star, style texan comme son nom l’indique. Agneau (shank) un peu insipide, purée et sauce barbecue. Très bon quand même. Avec un verre de Merlot+Cabernet-Sauvignon local, superbe, vaut un bon haut-Médoc. Au lit à 22h30. Hors d'usage une fois de plus. Les 12h de décalage horaire sont dures à digérer.

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De Christchurch (NZ) à McMurdo (Antarctique)

Dimanche 11 novembre à Christchurch
Réveil avant six heures après une longue somnolence. Plutôt en forme. Je prends mon temps et je paresse au plumard en regardant Sky-news-Australie. Pas passionnant, pour dire le moins. Télé-Murdoch ? Je me sirote quelques tasses de thé. A 8h j’appelle Magali, puis la compagnie de taxi pour un shuttle à 11h30. Il est 8h30. J’ai 3h devant moi. Le check-out est à 11h. Il fait assez beau, avec des nuages. DONC, j’ai le temps de me faire le jogging dont j'attends l'opportunité depuis mon arrivée. Sitôt dit, sitôt fait. J’avais pris l’équipement de base avec mon kit fringues de survie. Bien inspiré. Grand tour autour du grand parc (~5-6km), puis finale à l’intérieur du jardin botanique, pendant une grosse heure. Petit plantage d’itinéraire. Retour vers 9h30. Douche, rinçage des fringues et séchage desdites au sèche-cheveux.
Le temps de me faire un thé et de jeter un dernier coup d’œil sur la messagerie, et il est urgent de faire le paquetage. A 11h je rends ma chambre. Petit café dans le hall de l’hôtel en attendant le taxi. Il est à l’heure, avec le même chauffeur maori sympa qui m’a déjà transporté deux fois et qui me reconnaît. ********** à virer
antarctic center devant le terminal Jin-A et Young-So
à gauche: façade du centre Antarctique de l'USAP; au centre: Mon équipement et Terri à l'entrée du terminal; à droite: Jin-A et Young-So à l'embarquement.

Arrivé au Centre Antarctique, les choses vont très vite. Passage de la tenue grands froids dans le hall d’habillage, et finition de la partition entre sacs check-in, boomerang, carry-on, et la valise qui reste ici. Finalement, je bourre le sac photo avec les optiques du pentax dans le sac boomerang et je prends le boîtier et l’optique standard avec moi dans le petit sac à dos Gap qui sera mon carry-on (bagage cabine).
Une fois cela réglé, je passe au contrôle pour enregistrer les bagages. Puis cap sur la cafeteria pour un lunch ultra-rapide car il reste 15’ avant l’heure du briefing. Je fais quand même le tour du bâtiment pour quelques photos. Salade niçoise, yaourt, petit sandwich, et bière (le serveur doit aller chercher une clé pour ouvrir la vitrine des bières !). Tout cela à engloutir en cinq-dix minutes.

C17 C17
Le C17 de l'US Air Force, gros poisson volant, sur le tarmac.

Une militaire passe nous dire gentiment qu’il faut y aller. En route au petit trot le sandwich à la main, jusqu’à l’auditorium. Là, briefing vidéo d’une quinzaine de minutes sur la sécurité, très général (Jin-A s’endort un siège plus loin que le mien). Puis contrôle des passeports et des bagages, comme dans un aéroport normal. Un maître-chien et son toutou renifleur tournent autour des sacs, sans rien renifler d’intéressant. Un bus nous attend de l’autre coté, dans lequel nous prenons place après avoir attrapé au passage une boite pique-nique, un fruit et une bouteille d’eau pour le voyage. Le bus nous transporte ensuite en quelques minutes sur la piste où notre avion, un C17 quadri-réacteur au profil ramassé de gros poisson volant, est en fin de préparation. Il faut attendre un petit quart d’heure qu’il ait fini son plein avant d’embarquer. Deux photos vite vite du colosse avant de m’engouffrer dans son flanc. Le ventre du monstre est d’un luxe exotique. Il y règne une belle ambiance d’intérieur de semi-remorque, en bien, bien plus grand. Une pile de caisses en bois de 3m de haut est arrimée dans l’allée centrale à l’avant de la soute, devant un hélicoptère, et d’autres piles de caisses qui occupent toute la largeur du fond de la caverne volante. Les sièges sont d’une très spartiate simplicité, mais à l’usage ils se révèleront praticables. Ils occupent les parois latérales de la soute, et la trentaine de passagers se répartit sagement sur ces strapontins pour le paradis glacé. Et même pas un hublot pour entrevoir la terre du grand sud depuis ciel. J’en suis un peu malade.

C17 C17 intérieur
Terri et Opher installés, les caisses et l'hélico. C'est la classe affaires de l'USAP.
Je prends place entre Terri et Opher sur un strapontin de la diligence. Décollage sans histoire. Le niveau de bruit en vol est terrible. On s’entend à peine parler. Je comprends maintenant pourquoi on nous a proposé deux fois des bouchons de mousse, que je regrette un peu d’avoir déclinés. Je dors un moment après avoir lu un article sur la triste situation des aborigènes d’Australie dans un numéro de Courrier International emporté de St Jean. Je poursuis avec quelques pages très intéressantes du bouquin sur la faune Antarctique. Puis quelques photos de la soute et de ses passagers. Vers 17h30 je consomme une partie de ma boîte pique-nique. Episode cocasse, un bidasse passe en courant à la surprise générale. Il disparaît derrière le monceau de caisses du fond de la cale. Tout le monde se demande ce qui se passe, quand émerge bientôt Jin-A penaude, devant le bidasse vigilant, l’œil sévère. Elle était partie en exploration en zone interdite.
Je me dérouille un peu les jambes autour de mon siège.
glace de mer
Glace de mer fragmentée en été, vue du hublot du C17.
Et soudain, improbable, inespérée, miraculeuse surprise, je découvre que les hublots ne sont pas tout à fait absents. Chaque portière est pourvue d’un petit hublot comme dans les avions de ligne. Il y en a trois au total, d’où on peut assister au merveilleux défilement de la mosaïque de l’océan glacé artistiquement fragmentée, ourlée de mystérieuses broderies. Quels moments uniques ! Je fais quelques photos.
Mais le plus extraordinaire est à venir. La visite de la cabine de pilotage est autorisée. Je prends place derrière Terri dans la file d’attente. Un petit quart d’heure plus tard nous entrons dans ce saint des saints du ciel terrestre du voyageur, juste pour voir pointer à l’horizon la côte de la terre Antarctique. Une vraie émotion. Le pilote, le co-pilote et le navigateur sont très cordiaux et pas du tout avares d’explications et de commentaires.
cabine C17 cote antarctique
Dans la cabine de pilotage et les premiers contours du continent Antarctique qui apparaissent au loin.
Le continent blanc s’approche dans un ralenti fascinant et nous révèle avec une lenteur calculée sa beauté immaculée, originelle. Terri et moi alternons nos places dans la cabine, dans une atmosphère d’excitation et d’immense euphorie pour prendre les meilleures photos. Et puis il a bien fallu bien sûr quitter à grands regrets cet observatoire magnifique.
Mais il était dit que ce jour-là, qu’on n’oubliera pas, se suivraient comme jamais les moments prodigieux. L’avion a commencé alors le survol du continent, qu’il doit traverser sur un millier de km environ avant d’atteindre la base de McMurdo, dans une région montagneuse. Le spectacle qui s’offre à nous, est tellement saisissant, indicible, de l’immense région montagneuse qui scintille sobrement, paré des ombres et des lumières imprimées par le soleil de l’été polaire, ornée ça et là de bancs de nuages aux nuances de blanc atténué qui les distingue à peine de celui de la neige, composé dans un tableau d’un éclat en demi-teinte, d’une tellement merveilleuse harmonie - je pense à Monteverdi - par une nature qui en réserve parcimonieusement l’exclusivité aux uniques privilégiés qui ont la chance de survoler cet opéra de lumière, que l’émotion vous emporte. Un excès sans doute, mais auquel il est si bon de se laisser aller. C’est d’une grandeur absolue. Le désert blanc et glacé aux ombres subtiles à la même beauté renversante que le désert brûlant aux ombres puissantes et aux ocres flamboyants que j'ai déjà eu l'occasion de voir. Les quelques amateurs du spectacle, étonnamment peu nombreux, que nous sommes – quelques 5-6 personnes – attendent patiemment et alternent courtoisement à ce balcon du merveilleux pour s’en imprégner et essayer de le retenir en le mettant en boîte. Nul n’échappe à cette dérisoire illusion. Fol espoir. Le vrai sceau de ce moment unique ne peut être nulle part ailleurs qu’à l’intérieur de chacun de nous, lumineux et secret.
montagnes antarctique 1 montagnes antarctique 2 montagnes antarctique 3
L'absolue splendeur de l'Antarctique et de ses montagnes.

Finalement l’avion s’engage sur un couvert nuageux monotone, et chacun retourne à son siège savourer son émerveillement, en attendant l’arrivée proche. L’aterrissage est un peu cahoteux et affreusement bruyant.

débarquement C17
Débarquement des passagers sur l'aéroport (d'hiver)...
terra-bus
...et embarquement dans le bus des glaces (terra-bus)
Lorsque s’ouvre la portière de la cabine, la lumière polaire extraordinaire s’engouffre brutalement dans la pénombre de l'habitacle, pétrifiante. L’éblouissement quand je passe la porte de l’avion est total, la luminosité incroyable, tellement violente, sidérante, divine, dans un univers de blancheur éclatante qui vous submerge totalement, fermé par un horizon de sommets somptueux, qu’on est encore une fois saisi d’un émerveillement enfantin. C’est mieux que le Père Noël. A mon âge, c’était inespéré.

Je comprends pourquoi la vidéo de présentation à Christchurch disait qu’on n’oublierait pas nos quelques premiers jours à McMurdo.
L’encadrement nous rappelle à la réalité. Il faut grimper, vraiment grimper (1m50), dans un bus aux allures de gentil mastodonte, ce à quoi je ne consens qu’après m’être échappé – et fait rappeler à l’ordre – pour quelques photos. Le bus nous monte doucement jusqu’à la station nichée au flanc d’un vague col entre deux petits sommets, dans un univers de basalte, noirâtre sale et sans attrait.

McMurdo village est d’une laideur considérable. Ce n’est pas un village de vacances, évidemment, mais d'évidence rien n'a été fait pour le rendre attrayant. Bâtiments métalliques sans grâce ni unité, caisses en vrac, conteneurs divers, engins de chantier et de transport partout, dépôts de conteneurs, piles de planches, matériaux de construction, tas de gravats, boue partout, etc…. Seule l’efficacité prime ici dans une économie locale serrée et sous haute surveillance, qu’on ne peut pas désapprouver.
Nous débarquons au coquet bâtiment de la NSF (National Science Foundation) pour un briefing d’arrivée, sécurité, cantine, loisirs, etc…. Nous apprenons rapidement et en priorité qu’il y a ici trois niveaux météo qu'il faut connaitre et qui ont des implications impératives :
- niveau 3 : beau temps calme : visibilité > 400m, ou vent < 90km/h, ou température T > -60°C
- niveau 2 : ça se gâte : visibilité < 400m, ou vent de 90 à 100km/h, ou T de -60 à -75°C
- niveau 1 : on ne sort pas sauf autorisation spéciale: vent > 100km/h, ou visibilité < 30m, ou T < -75°C.
Il y a aussi à McMurdo un sheriff. C’est le Far-South.
La cafétéria est ouverte 24h par jour. La nourriture y est gratuite. Voilà pourquoi les "grantees" (qu'on peut traduire par subventionnés) font du lard !
Chacun confirme ses dates de séjour et ses vœux pour le retour, et récupère ses coordonnées de chambre et ses clefs en même temps qu’un livret de présentation du site et de son organisation, et une carte des lieux.

ma chambre
Ma chambre pendant le séjour.
McTown
Vue de la station de McMurdo, dite McTown.

Il est 21h lorsque je frappe à la porte de ma chambre où mon compagnon de chambrée est attablé devant une bière avec un jolie blonde. Je suis très cordialement accueilli malgré l’évidente inopportunité de mon arrivée. Nous échangeons quelques mots de présentation et ils s’échappent vers la salle commune du bâtiment au rez-de-chaussée pour me laisser m’installer.
La chambre est très, très spartiate, trop. Mobilier de chambre d’étudiant des années 60. Chaque occupant dispose d’un lit, un placard/penderie qui surmonte trois tiroirs de commode, une mini commode/table-de-nuit à trois tiroirs (la mienne est au pied du lit faute de place), le tout sur environ 4m2, et il y a un bureau pour deux. Et il va falloir passer six semaines dans cette boite. Bon.

La récupération de mes deux sacs de bagages commence par une divagation un peu cauchemardesque. J’erre un moment dans cet univers désert, glacé, et assez sinistre, avant de trouver enfin le bâtiment 140 de la poste où sont stockés les bagages juste débarqués de l’avion. Heureusement que mon dortoir n’est pas loin. Je dois quand même faire une ou deux stations avec mes 33kg de bagages l’un à l’épaule, l’autre à la main, sur ce frisquet chemin de croix.
Je fais ensuite un passage découverte à la cafétéria pour une ration de corn flakes et un café. Le lait allégé - plus de lait entier – est de l’eau vaguement laiteuse, strictement dégueulasse. Ensuite l’informatique locale, qui m’accueille plutôt bien. Bravo l’organisation, mon environnement informatique m’attendait. Très bref message à Magali et aux collègues du labo, et je file me mettre au lit après l’avoir pourvu de draps et d'une couverture, et sans défaire mes bagages. Demain il fera jour, encore jour d'ailleurs, et pour longtemps, car le soleil ici ne se couchera qu'en mars environ pour la nuit polaire des six mois suivants.
Le temps de dissiper un peu les émotions récentes et la fatigue, et je dors. Fin d’une longue et mémorable journée.

McTwn 1 McTwn 2 McTwn 3 ange
Vues de McTown: le bâtiment de la NSF, bâtiment dortoir, une rue, un ange passe... avec le ravitaillement.
Derelict J hopital chapelle route de scotte B.
Derelict Junction (DJ), l'hôpital, La Chapelle, route de Scott Base.
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En dessous du Volcan

carte Ross Island
L'ile de Ross dans la baie éponyme du continent Antarctique sur laquelle sont installées les bases de McMurdo (USA)
et de Scott Base (NZ). L'océan dans la baie de Ross est couvert de glace de mer d'épaisseur variable toute l'année.

pano trinité
Vue panoramique de la trinité des monts Erebus (volcan actif), Terra-Nova et Terror, qui veille sur le petit peuple de McMurdo et de Scott Base.
Lundi 12 novembre
Réveil vers 6h30, lu dans la pénombre. Je m’habille en vitesse et je passe à la salle de bains pour une toilette simplissime. Et là je réalise qu’il est 5h30. Je m’allonge à nouveau un moment. Finalement, à 6h30 je file à la cafétéria pour un gros petit dej’ avec œufs brouillés, fruits, jus, etc… ingrédients bien médiocres. Une jeune femme, s’installe près de moi et on bavarde. Adeline est de parents français (Nice et Nantes), langue qu’elle parle fort bien. Elle est plongeuse professionnelle – oui oui – et elle est là pour quatre mois. Une collègue la rejoint, plongeuse scientifique, elle va chercher des échantillons biologiques sur les hauts fonds océaniques antarctiques, à -25m quand même. Plaisante conversation.
McMurdo est un repaire de scientifiques: biologistes, géologues, géophysiciens et physiciens.

Tout le monde est là pour le bus de 7h30 qui met environ 40’ pour aller du village à Willy Fields où sont les bâtiments de préparation des vols ballon - donc du notre - à 8-10km. La vitesse me laisse le temps de découvrir la planète McMurdo. Nous passons après un petit col, près de Scott Base, la station Néo-Zélandaise, fraîche, pimpante, coquette, toute de vert tendre parée, preuve qu’on peut faire coquet sauf à vouloir trop économiser ses précieux $$ et son "time is money". L’Erebus absolument majestueux, dressé souverainement dans un décor qui exalte sa majesté, est couronnée d’une jolie fumerole. Actif le bougre, c'est sérieux, mais jamais en furie. Tout baigne dans la même lumière extraordinaire. Finit-on par banaliser cette beauté et ne plus s’en émerveiller à chaque instant ? Nous verrons.

pano_LDB
le site du LDB (Long Duration Balloons): 2 grands hall d'assemblage des expériences embarquées, des locaux techniques, engins de levage,
transport, et déneigement, et une cambuse agréable. L'aire de lancement des ballons est située derrière la ligne des bâtiments.

L'Erebus derrière la ligne des caisses et conteneurs.
galley 1 galley 2 galley 2
Le Galley (cambuse) à gauche, vu de l'extérieur, sympathique, et de l'intérieur, chaleureux. A droite l'équipe scientifique de préparation du vol

L’équipe s’installe dans le hall de montage assigné à CREAM, notre expérience, où ATTIC (autre manip) a terminé sa préparation. Le hall est spacieux, très haut (10-15m), propre et bien chauffé. Je passerai la journée en T-shirt. Notre correspondant local, David Sullivan, un barbu amical, nous fait faire le tour des bâtiments.
Une petite cantine est accessible à deux pas, architecture de bivouac à l’ancienne. Il y règne une atmosphère chaleureuse de refuge alpin. Elle propose du café et des snacks toute la journée, et le déjeuner de midi, aussi simple qu’au village, et servi par des gens adorables. Le site est aussi pourvu de trois cabanes de toilettes, assez exotiques, non chauffées, donc peu propices à la méditation. Chaque cabanon est équipé d’un petit drapeau rouge au bout d’une perche. L’utilisateur doit planter la perche à l’extérieur en entrant et ne pas oublier de la remettre à l’intérieur en sortant.

hall LDB hall LDB
Vérification de l'état du matériel et livraison de CREAM dans le hall de préparation du vol.

CREAM et ses équipements ne sont pas encore là et nous ne pouvons rien faire d'autre qu'attendre. J’en profite pour écrire un peu.
Et l'attente dure toute une morne journée. A 16h enfin, le transport arrive avec 6 conteneurs de 6m3 chacun, qui contiennent tout l’équipement pour la préparation du vol. La décharge est lente, un chariot élévateur à chenilles sort les caisses une par une pour les poser sur la plateforme d’où nous les charrions à l’intérieur. Le hall est grand ouvert et les parkas soigneusement fermées. Le temps s’est bouché et il souffle un vent léger qui nous met dans les -15 à -20°C, et on se gèle passablement. Cela nous donne un vague aperçu de ce que peut être la condition de l’explorateur sans notre abri bien chauffé. Il faut presque deux heures pour décharger les conteneurs, et le bus navette pour le village doit même nous attendre un petit quart d’heure. Visages un peu fermés des passagers qui ont dû patienter quand nous nous engouffrons enfin dedans, prêts à décongeler. Pourtant ils étaient au chaud eux.

Une demi-heure plus tard nous débarquons au village, et comme je n’avais avalé qu’une soupe - chicken noodles, dont je m’étais régalé - et une pomme, à midi, j’ai les crocs et je file sans attendre à la cantine après avoir déposé mon sac. La bouffe est réellement médiocre. Mais dans ce contexte, c’est un travers facile à accepter, compatible avec la vie un peu rude sur ce rude continent. Je passe ensuite pour une rapide visite à la boutique/bazar/magasin. Miracle ! ils ont de la Sierra Nevada Pale Ale, ma bière américaine préférée. J’en prends un pack en même temps que quelques premières cartes postales. Coup d’oeil sur la messagerie, où m’attend une autre bonne surprise : mon premier message venant de Magali. Trop chouette. Enfin apprivoisée par la rébarbative informatique dont elle se tenait à distance depuis des années avec obstination. Elle a dû apprendre à barboter dans les digits pour rester en contact avec son mari. Messages d’Elise et de Laurence (mes filles) aussi, en réponse à ma circulaire d’aterrissage de la veille.
Le bistro local (coffee shop dans la terminologie locale) où nous devions boire une bière est fermé le lundi. Je défais enfin mes bagages et comme Steve mon compagnon de chambrée doit se coucher tôt pour partir à l’aube en hélico faire un repérage pour sa campagne de forage de l’année prochaine – il est géologue - je suis au lit à 21h30.

cream inside
CREAM à l'intérieur, vue de la mezzanine.

Mardi 13 novembre
Enfin une nuit de sommeil normale, malgré une brève interruption à 5h. La sonnerie épouvantable du réveil de Steve, nous jette impitoyablement hors du lit à 6h. Douche a minima en respectant strictement les consignes d’économie communautaire. Petit déjeuner plus léger qu’hier, corn-flakes au lait entier cette fois, et chausson aux pommes. Je prends place à 7h30 dans le bus après avoir trouvé mes vieilles lunettes de montagne de rechange pour dépanner Terri. Le ciel est couvert et la température clémente (environ -5°).
La routine se met en place.

Ce matin, déballage des caisses et installation de la salle. Câblage des ordinateurs. Moment d’angoisse quand un des ordinateurs ne s'initialise pas. Je propose à Young-Soo d’ouvrir le panneau latéral : la pile de 3 disques durs a volé à l’intérieur faute de vis de fixation sur son râtelier…, et le bus de contrôle s’est débranché. Il consent à s'initialiser une fois le tout remis en place et reconnecté. Ouf !

dans le hall LDB 1 dans le hall LDB 2
Début de la préparation des tests: Terri et Michel au clavier, Jin-A et Young-So au tricotage; Opher au fond.

Vers 10h le dernier conteneur arrive avec la précieuse charge utile du ballon : l'ensemble expérimental CREAM dans son emballage plastique est en bon état apparent. Il faut à nouveau tout ouvrir. Débarquement et mise en place dans le hall sans problème. Nous allons prendre un café ensuite en attendant que l’ambiance se réchauffe un peu. Puis bref retour au hall pour avancer le montage avant de retourner à la cantine pour le déjeuner.
Début du câblage de l’installation ensuite et de préparation à la mise en œuvre pour les tests de fonctionnement de l'expérience.

Retour au village par le bus de 17h30. Dîner sans enthousiasme. Je vais au briefing d’un officiel dans une salle du Crairy Lab sur les activités extérieures autorisées, strictement limitées et encadrées évidemment. Puis film sur l’expédition de quatre américaines qui ont traversé une partie de l’antarctique via le pôle sud à ski dans les années 90, présenté par l’une d’entre elle qui s’occupe aujourd’hui de la gestion des déchets à McMurdo. Très impressionnant. Vite au lit ensuite après une brève connexion internet.

Mercredi 14 novembre

toilettes
Les toilettes du LDB.
Réveil vers 6h. Je m’habille dans le noir pour éviter de déranger Steve qui dort. Brin de toilette. Le jus d’orange du petit dej’ est vraiment délicieux, le verger doit être derrière la maison. Le donut colle aux dents. Le thé est passe-partout. Bus de 7h30. Le ciel est à demi couvert, il le restera tout le jour. L’Erebus est enveloppé d’une grande cape nuageuse depuis deux jours. Préparation des tests du détecteur. J’envoie à Laurent et Yo les premiers fichiers de données obtenus par Young-Soo. Coup de main à Terri pour sa chasse aux fuites de lumière sur ses hodoscopes. Je rame un peu pour retrouver mes marques dans la jungle des fichiers d’analyse de mes collègues. La préparation du test global de validation qui permettra de déclarer l’expérience prête à fonctionner, avance à bonne allure. On devrait terminer demain.
Soirée sans couleur. Dîner avec Opher, Young-Soo et Jin-A. Passage au Gym building. C’est un petit gymnase. Le ciel est couvert, froid modéré. Le moindre déplacement sur le site vous confronte à l’immensité dans laquelle il est isolé. La banquise de la baie de Ross va butter sur la superbe chaîne de montagne qui s'étire en marge du continent en face, nommée "Royal Society Range", appellation que nos amis britanniques n’ont sans doute pas osé faire précéder de "British" ? ce qui en eut fait un pléonasme, of course.
Je rentre à la chambre très tôt, vers 20h30, et j’écris des cartes postales en écoutant un peu de musique. Extinction des feux vers 22h15.

Jeudi 15 novembre
Réveil comme hier. Ciel assez clair en traversant vers la cantine. Enfin une journée de grand beau temps en perspective ? Depuis la navette j’observe mes deux premiers phoques, vagues virgules noires sur la glace de la rimaye (pressure rift, fracture de pression) de la banquise sous Ross station.
On attaque les tests sérieux (CPT, Comprehensive Performance Tests) aujourd’hui. Je transfère à Grenoble une fournée de données acquises hier et je travaille un peu sur l’analyse. Une navette pipi dans la matinée me met en présence de l’incroyable beauté de l’Erebus et des sommets voisins, Mt Terra-Nova, Mt Terror, que je me régale de photographier. Dommage que je n’ai que le petit Canon et pas le gros Pentax et son grand angle. Demain. Bonheur visuel inépuisable.
On attaque le CPT l’après midi tout de suite après le déjeuner. Quelques frayeurs mais finalement tout se passe bien et je transfère 40 mégabytes de fichiers à Grenoble. Du grain à moudre pour les collègues.
Le soir au dîner, Terri annonce qu’elle veut aller faire des courses au magasin de Scott Station (NZ), à 3km environ. On décide de prendre la navette. Pas de bol, il manque une place dans le véhicule et Terri est la victime. Je la force à monter à ma place, et j’attaque la route à pied. Et je retrouve un peu plus loin Terri, Young-Soo et Jin-A qui ont quitté le bus pour m’attendre. Opher est resté. Nous faisons la route ensemble et c’est un moment très agréable. Froid mordant, mais quel spectacle. Ratatouille de photos. Ouaaaaaaaah, un skua ! le premier piaf depuis des jours, qui débouche et vient nous examiner d’un œil intéressé, trop vite pour que j’aie le temps de dégainer mon 400mm. Il file d’un coup d’aile dédaigneux. Le magasin de Scott Station est fermé. Il faudra revenir et ce sera un plaisir.
Dans mes pénates vers 21h après un petit coup d’œil sur la baie. Steve rentre et on se met d’accord pour une bière, mais je tombe avant. Il est d’accord pour remettre ça à demain soir (du bout des lèvres ?). Sommeil de souche jusqu’à 6h15.

Vendredi 16 novembre
Je m'habille à tâtons. Toilette express. Petit dej’ normalisé (corn-flakes, ½ pain au chocolat, grand jus d’orange, 2 tasses de thé). Jin-A manque le bus. Jolie nappe de brume sur la banquise. Mais elle est partie quand je veux la mettre en boite vers 9h, après le démarrage de la journée et la messagerie de première heure.

Opher Young-Soo Jin-A
Opher, Young-Soo et Jin-A: concentration et réflexion dans le grand réfrigérateur.
Les tests sont allés bon train. Young-Soo a fait les 5 points de la grille des retards en deux petites heures. A Grenoble Laurent a analysé les données de la grille des HT d’hier. Ça va plutôt bien. J’ai passé une partie de l’après-midi à transférer et à intituler un échantillon de photos pour le labo.
Le temps s’est couvert. Grisaille tristounette.
Passage au Crary Lab après le dîner. Bibliothèque confortable, bien pourvue en revues scientifiques spécialisées. Jolie vue sur la baie et l’aérodrome d'hiver coté sud de la station posé sur la glace de mer, soit <~10m d’épaisseur qui fond partiellement en été. L'aérodrome migre alors vers la glace de l'ile de Ross où la banquise est plus épaisse,. Ici le réseau internet se met immédiatement à disposition de votre PC, bravo. J’ai mangé trop d’apple crumble. Retour à la chambre. Bavardage sur la musique avec Steve autour d’une bière avant d’écrire les adresses de quelques cartes postales et de lire 2 pages de Tony Hillerman.

Samedi 17 novembre
Matin venteux, qui mord douloureusement en traversant l'espace ouvert qui tient lieu de place du village, pour aller à la cantine. J’ai bien fait de mettre un pull. On se gèle dans le hall, comme jamais. Tous enterrés sous les bonnets et les doudounes. La météo McMurdo dit : wind chill -22. J’aurais dit le double. Intermède tiédeur à la cantine.
Young-Soo a fait un LPT (Limited Performance Test), pourri. Il a fallu refaire un run piédestaux avec une statistique raisonnable pour vérifier qu’il n’y avait rien de tordu. J’ai envoyé tous les fichiers à Grenoble. Pas (toujours) drôle d’être au front.

Ghallagers_1
Fin de soirée à Ghallager's
Ghallagers_1
Fin de soirée à Ghallager's
On s’est bien gelés toute la journée. Le temps s’est un peu amélioré à l’heure du bus. Je passe me louer des skis en arrivant pour une ballade demain. Skis de fond à l’ancienne, avec un bâton de fart gris. Retour au bon vieux temps de la traversée du Vercors. Je retrouve Young-Soo et Jin-A à la cantine et il me revient soudain que le vin est autorisé le samedi soir. Je file chercher une bouteille de Zinfandel californien à la boutique et je régale mes collègues. Finalement, Opher, Bryan et Terri nous rejoignent et la convivialité condense comme toujours autour de la bouteille. La petite Jin-A boit bien. On dirait mes filles. Je leur explique comment fonctionne la culture du vin chez les hillbillies en béret, camembert dans le panier, et baguette sous le bras. On finit après dîner au bar du coin, pour un café et un scotch (Bushmill, pas pire) à parler de ski en rigolant. Je leur raconte comment c’est d’être au sommet de l’aiguille d’Argentières (3900 m) et d’avoir à dévaler les 400m de dénivelé de neige de glacier bien dure à 40-45° avec en bas la rimaye gueule ouverte. Vieux frimeur et histoire d’ancien combattant. Encore une bière en rentrant vers 21h30. Une infusion de vieux Gould (toccatas et inventions) pour finir heureusement une plaisante soirée. Un peu d’écriture et de cartes postales avant d’en finir avec ce jour.

Dimanche 18 novembre
Mon cothurne est rentré au milieu de la nuit puis reparti immédiatement. Le téléphone a sonné ensuite et une voix féminine le demandait. Amours antarctiques ? (ndlr : Une affichette à la salle de bain dit en gros, traduction libre : « c’est bien de vous envoyer en l’air, mais svp mettez vos capotes dans un sac en plastique.» Le lecteur comprendra quand il saura que ici toutes les ordures sont triées et évacuées hors du continent). J’ai émergé vers 7h, et traîné au lit avec plaisir un long moment avant de passer à la salle de bains. Départ du jogging vers 8h30. Cap sur Scott Station. Je suis bien couvert : collant plus survêtement sport en bas et T-shirt plus sweater genre capilène plus blouson laine polaire en haut, et un bonnet laine polaire sur la tête. Il fallait bien ça. J’ai un peu froid aux épaules au retour, lorsque la sueur ma glace vaguement l’épiderme. La température est plutôt douce, vers -5°, et il n’y a heureusement pas un poil de vent. L’aller et retour doit faire en gros 6km avec un dénivelé de 100m, à la louche. Juste bien dans le contexte.

En rentrant je passe boire un thé à la cantine. Moment agréable. Les feux sont toujours éteints quand je rentre à la chambre. Presque 10h. Je passe à la douche. Et je dois m’habiller dans le noir. Heureusement que j’ai pris la frontale car il commence a y avoir des fringues partout. Je vais voir ma messagerie au galley (= bâtiment de la cantine et des services). Au retour Steve a enfin émergé. Il extrait sous mes yeux une bouteille de vodka entamée de son sac en grommelant qu’il est rentré trop tard. Elle sera vide à la fin de la semaine.
Je croise Terri à la cafet’ qui brunche avec Jin-A, Robi et quelques membres de l’équipe de Wallops. On convient de se retrouver au bâtiment Gym à 13h, après sa partie de frisbee, pour aller ensemble à Castle Tower. Un skua est occupé à se repaître d’un reste devant la cantine, indifférent à ma présence.

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Ballade à skis du coté de Castle-Rock; le monument vu du pied avec les joyeux drilles au sommet.
Finalement tout le monde se retrouve comme prévu, et après une petite demi-heure de préparation (bavardages divers, déclaration de la course sur ebook sur le site McMurdo, passage chez les pompiers pour prendre le téléphone secours), les six randonneurs se mettent en marche (Terri, Jin-A, Nickolaus, Brat, Rob, et moi). Il a été décidé de faire, plutôt que l’aller et retour, la boucle qui fait descendre sur la banquise et revenir par Scott Station. C’est plus long et il y a ~200m de dénivelé à descendre, en ski de fond ! ou à pied… Mes compagnons sont tous dans leurs twenties, à peine pour Jin-A. Il faut d’abord marcher un moment sur la piste de gravier grossier, la quitter ensuite pour monter jusqu’à la ligne de crête, parmi les plaques de glace vive. La progression devient plus agréable ensuite dans la neige poudreuse un peu compactée.
Je constate avec plaisir que je n’ai rien oublié du pas alternatif en ski de fond, qui nous faisait jadis traverser le Vercors chaque hiver, et je retrouve le même plaisir de progression véloce. En une grosse heure nous sommes au pied de Castle Rock, tour imposante de roche sédimentaire genre poudingue, d’un bel ocre sombre. Le temps d’une pause casse-croûte assez substantielle, et nous grimpons dans les rochers (niveau 3, PD, il fallait mettre les mains de temps en temps). Je dois faire un peu d’initiation pour les filles qui grimpent pour la première fois et leur enseigner quelques rudiments de technique de grimpeur, comme se tenir verticale et ne pas se coucher sur le rocher à la montée, puis descendre face à la pente plutôt qu’à reculons, utiliser judicieusement la roche plutôt que s’accrocher désespérément à la main courante. Elles ne sont pas difficiles à convaincre et se comportent fort bien. Jin-A ne cesse pas de rire en gloussant - culturel sans doute - même quand la situation est un peu aérienne et fait hésiter et frémir Terri, que je dois aider. La vue circulaire du sommet est extraordinaire. Petite déception, l’Erebus est coiffé et ne se départira pas de la journée de sa capuche de nuages. Dommage. Il faudra revenir. Panorama photos.

La redescente s’effectue sans difficulté après un bon moment en haut, et une séance de chahut et de musique improvisée joliment burlesque, assez réussie, des trois lurons de l’équipe. Encore un peu de blabla et on chausse les skis pour ce qui va être une rude épreuve pour les filles.
La pente est assez forte, la neige est dure, mais poudreuse. Un des garçons se débrouille. Les deux autres ont chaussé les surfs et passent en trombe en se faisant évidemment grand plaisir. La ratatouille de gamelles des filles est conforme à ce qui était prévu. La descente est d’une affreuse lenteur et au bout d’un moment je commence à me geler sévèrement, le soleil ayant bien baissé, et je dois sortir la parka coupe-vent, efficace. On a du mettre 1h30 à 2h pour descendre, quand il fallait un quart d’heure normalement. Une fois en bas il restait une bonne heure de parcours à plat sur la banquise jusqu’à Scott Station. Parcours facile, après que les gars eussent encore bien fait les fous - et les filles après eux - un long moment en faisant de la luge sur les plateaux repas empruntés à la cantine.
A Scott Station, nous appelons le service navette qui consent exceptionnellement à venir nous chercher. La cuisine nous avait préparé (merci téléphone urgence) un repas chaud qui nous attendait. Platée de calories, dont je laisse une bonne partie. Je quitte la table de mes jeunes compagnons qui n’en finissent pas de déconner joyeusement, pour aller me mettre au lit. Le marchand de sable passe après un peu de cabotinage culturel avec Steve (Monet, la cathédrale de Rouen et l’Erebus aux 24 heures du jour polaire), et deux pages de T. Hillerman.

Lundi 19 novembre
Epaisse brume matinale dans ma vieille tête. Je regarde l’heure à 6h35. Carcasse grinçante et bien dure à déhaler ce matin. Toilette express et petit dej’ modéré (zut, j’ai raté les oeufs au plat). Arrivée somnolente à Willy Field. Les filles sont lessivées et pleines de bleus. Briefing. Messagerie. Laurent a analysé les données et montré qu’on a bien eu un truc tordu dans les seuils de Chercam. A comprendre et à surveiller.
Le test en flight mode se précise, enfin. On a encore quelques jours devant nous. J’insiste pour qu’on refasse des runs dans des conditions mieux établies. Young-Soo fait les choses sans rien dire en général, et je n’ai l’information que lorsque je l'interroge. Pas très plaisant, mais bof, je demande.
Briefing environnement – obligatoire - après le déjeuner. J’ai entendu l’introduction et la conclusion, narcose entre les deux. Puis travail & téléchargement des photos d’hier.
A l’heure du bus, il neigeotte, avec un soleil blafard filtrant à travers les nuages, et une brume opalescente qui enveloppe la station. Amusant. Il fait toujours assez bon (~0 à -5°).
Dîner rapide après une bière. Il neige bien maintenant, de la neige fine. Je m’inscris à la ballade en véhicule Delta à Cape Evans pour jeudi soir 18h30. Compatible avec les horaires de Willy Field. Passage au Crary lab. Pas de connection internet, ni sans fil ni par câble. Faut rebooter la machine. Marre. Au lit.

Mardi 20 novembre

attente bus duo texan
Enfin la navette du LDB; A droite deux employés texans pittoresques.
Bus en retard. Il a neigé 5-10cm à Willy Field. Temps semi couvert comme tous les jours.
Il faut que je réfléchisse à la meilleure manière de saisir la trajectoire du soleil sur 24 heures. Le plus simple est sans doute de faire un panorama au même endroit en prenant de bons repères, avec des clichés de 0 à 24h toutes les 3 ou 4h, à assembler ensuite. Pour la vue complète est-ouest, il doit falloir monter souvent sur la colline. Bonjour les navettes !

Je découvre pendant la réunion téléphonique que Young-Soo a pris des données en flight mode vendredi sans rien en dire. Grrr… J’ai évité de le mettre dans une situation difficile (à mes dépens) pendant la réunion, mais je lui explique gentiment mais fermement après, qu’il doit dire ce qu’il fait. Je lui ai demandé plusieurs fois qu’on prenne rapidement des données en flight mode. Je transfère à Grenoble les 300 MB de fichiers, en 3h. Problème d'espace mémoire sur mon laptop.
Soirée banale. Tour au Crary Lab. Je réfléchis au panorama du soleil.

Mercredi 21 novembre
Plus de Breakfast Tea à la cafet’, plus que des tisanes. Quelle plaie. Il neige encore un peu ce matin. Quel été pourri. Bus à l’heure, il faut parler des bus à l’heure de temps en temps. Un gros phoque sur la banquise près de la ligne de fracture (pressure drift). Mon voisin me dit qu’en plein été il y en a des centaines.

Le « café » préparé dans le bâtiment de CREAM par l’équipe Wallops est une indicible horreur parfumée (hazelnut – noisette - me dit Terri), dont j’ai intrépidement essayé une tasse et déplorablement essuyé la nausée qui s’en est suivie à la première gorgée, et dont la seule odeur perçue de loin me fait fuir depuis. ‘You’re so French !’ me dit Opher en souriant avec une gentille condescendance.
Ici, il faut se laver les mains partout. Des affichettes vous le rappellent constamment aux quatre coins du site, toilette, restaus, salles de bains. Il paraît qu’un germe aussi agressif que dévastateur sévit au village. Escherichia Coli du froid ? Montezuma’s revenge hitting Antarctica ? Réalité difficile à déconvoluer de la trouille hystérique que les germes naturels inspirent à l’Amérique aseptisée en général, germes contre lesquels les bonnes immunités se construisent en général naturellement en les côtoyant, justement.

affichage activités affiche maains affiche maains
Programme d'activités diverses et affichettes de rappels et recommandations à la communauté.
A midi il neige.
Young-Soo n’a pas réussi à booter SFC1 ce matin. Il est à cran. Il entreprend de reformater le disque dur. Ça sent un peu la cata. Il reste au LDB après la journée (perdue) pour terminer le travail.
J’ai confirmé mon inscription à la ballade en Delta (gros monstre à roues gigantesques avec cabine de survie) à Cape Evans pour demain soir. Plus tard je la referai en prenant l’option retour en ski de fond (~20km).
Séminaire du soir sur la biologie marine Antarctique au Crary Lab. J’assiste à la première moitié. Le sang des espèces étudiées gèle à -2.5° grâce à son antigel biologique, dans un milieu où la température moyenne est de -1.9°. Un petit coup de froid sous-marin et hop ! ventre en l’air. La nature n’est pas généreuse avec les espèces polaires.
Je poste ma première carte postale, pour Arno et Elisa (mes petits enfants), avec des timbres qui me restaient.

Jeudi 22 novembre
Mal dormi. Steve est rentré tard. Probablement insomniaque, il a fait un foin du diable. Ma tendance naturelle à l’insomnie de l’avant dernier cycle de sommeil (des sexagénaires) en a profité, après 4h. Bout de sommeil finalement au petit matin et réveil dur dur. Ma frontale ultra-moderne à LED ne marche plus. Elle est neuve. Merci Petzl.
Pas eu le temps de préparer mes affaires pour l’expédition de ce soir à Cape Evans (départ 18h30, retour vers minuit).
Le ciel est moins couvert, la météo est assez bonne. Rayons de soleil bienvenus dans le bus. La lumière aveugle. Le paysage est toujours aussi beau.
Briefing : Plus personne ne sait où sont les batteries lithium de la manip entre Los Angeles et Christchurch ! Tests avec le CDM (Command Data Module) aujourd’hui.
Souci : le capteur de température de la carte merger 2 indique 85°. Tests. C’est plutôt le capteur qui déraille. On le surveille. Message à Grenoble.
16h30 YSY peut enfin prendre un run Chercam. La moitié du détecteur ne répond pas. Un des deux cartes merger de lecture des données est sans doute en panne. C’est probablement corrélée à la mesure de température élevée. Message à Grenoble. J’essaie d’anticiper sur une intervention probable pour remplacer la carte.
Gros coup de vent à 17h30, la météo a tourné. Ballade à Cape Evans annulée, ce qui ne change rien pour moi. Fort coup de vent supplémentaire le soir. Impressionnant comme la météo change brutalement ici. On le savait, mais il faut le voir. Le vent grimpe à 80-100km/h en quelques minutes.
Le soir, concertation par messagerie, puis téléphonique avec l’équipe Chercam à Grenoble. Pour Olivier et Laurent, c’est un problème d’alimentation électrique de la carte, il manque le +5V dit Olivier (ingénieur concepteur de la carte). Et c’est la raison de l’info tordue du capteur thermique. Croisons les doigts. Fort de ce diagnostic je vais me coucher, pas rassuré néanmoins.

Vendredi 23 novembre

attente bus
McTown vue du sommet de Observation Hill.
Le départ du bus est annulé. Vent trop fort. Les quelques travailleurs du jour (week-end Thanksgiving) embarquent dans deux véhicules Deltas, sortes de donjons mobiles conçus pour le gros temps et les conditions difficiles. Pendant le parcours je fais une photo de deux superbes représentants de l’Amérique profonde, texans tous les deux, l’un avec un chapeau de cow-boy qu’il ne quitte jamais.
Olivier et Laurent ont préparé la séquence des opérations de contrôle à effectuer. Je m’y colle immédiatement. En dix minutes le diagnostic est confirmé, bravo : pas de +5V aux bornes de la carte. Finalement c’est un défaut de contact au niveau de la prise sur l’alimentation électrique qui semble être à l’origine du problème. Nous interviendrons plus tard. Prise de données de contrôle. Situation normale rétablie. Je respire, et je vais me prendre un café. Les engins de nivellement tournent 24h/24 sur le site pour le maintenir en état d’accessibilité constante. Impressionnant.
Nous rentrons au village en navette vers 15h, après les tests électriques du câble suspect.

Ballade avec Young-Soo et Jin-A, et Terri récupérée en passant, jusqu’au sommet de Observation Hill, cône rocheux aux pentes d’éboulis, qui domine le village. Une petite demi-heure de grimpette. On mouille un peu la chemise. Jolie vue du sommet. Photos.
Ensuite redescente sur Scott Station pour une visite à la boutique à la réputation d’excellence. Pas volée. N’achetez pas vos cartes postales à McMurdo ou le choix se limite à une déplorable poignée de photos moyennes. La boutique de Scott Station vous offre toutes les photos stupéfiantes de Manchots sur la glace qu’on a pu voir dans National Geographic, Terre Sauvage, Géo, etc… Un bonheur. J’ai tout acheté. Leurs enveloppes commémoratives timbrées sont de purs chefs d’œuvres (à poster en NZ). Ils ont même d’excellents bouquins. Si vous voulez tout savoir sur la région de la Mer de Ross en Antarctique, c’est dans ROSS SEA REGION, ouvrage édité par le New Zealand Antarctic Institute (www.antarcticanz.govt.nz) à Christchurch. Un peu cher, et il va m’exploser ma limite de poids de bagages, le bougre. Heureusement que j’ai un quota dans le conteneur d’UMD. Ils ont aussi des peluches vraiment adorables. J’en prends deux pour mes loupiots, pingouin et phoque, bien sûr.

Retour à pied, avec Terri courant devant, qui devait retrouver des amis.
Dîner avec YSY et JA, après une joyeuse partie de billard en buvant une bière au lounge du bâtiment 203A.
Le temps s’est levé, et vers 22h, la vue sur Mt Discovery, l’immense déversement du glacier Ferrar et le Royal Society Range sous le soleil de nuit est magnifique. Je passe derrière la chapelle des neiges d’où on a vue sur le sud. Le soleil irradie l’embouchure du glacier d’une lumière jaune orangée étrange. Je fais un panorama et je retourne à la chambre chercher le Pentax pour poursuivre. Fin de journée vers 23h30.

Samedi 24 novembre
Jour d’été !

skua portrait
Skua cabotin.
Première grimace à l’heure du laitier: 5h45. Coup d’œil à la fenêtre en allant aux toilettes, grand soleil. Décision en 10 secondes : bonne heure pour les photos, je file au sommet d’Observation Hill. Habillé à la hâte, harnachement minimum sécurité. Les deux boîtiers photos. En 25mn je suis en haut. Le soleil est à l’Est, rassurant. Panorama soleil levant. Un peu à la hâte car le bus est à 7h30. Redescente en trombe, bien gelé (-5° environ au petit matin, et brise légère). Douche express. J’ai le temps d’avaler un jus d’orange et un chausson. Deux navettes nous attendent.
Le temps est vraiment superbe. La météo disait nuageux à très nuageux. Bravo.
L’Erebus est en grande majesté, tête nue, coiffé seulement d’un joli et léger plumet. Le panorama est absolument radieux dans cette lumière miraculeuse. Nous passons un bon moment dehors à faire des photos ave YSY et JA.
Coté turbin, nous contrôlons à nouveau les connexion du câble suspect à la recherche du faux contact éventuel. Infructueux. Souci sérieux, donc sur la menace de réapparition intempestive eu défaut pendant le vol, que fait peser cet incident non reproductible et dont nous n’avons pas identifié l’origine exacte. Nous y reviendrons.
Nous rentrons avec une navette en début d’après-midi. C’est la grande fête traditionnelle étatsunienne de Thanksgiving. Le dîner est prévu pour 19h. En attendant je fais une première lessive. Il était temps. Débordement de fringues sales. Machines à laver en bon état, facile à utiliser. Quatre pour l’étage (de 15 chambres).
skua portrait
Belle vue sur la plaine de glace de mer, l'aéroport d'hiver, la chaîne de montagnes transantarctique - chainon de la Royal Society -
Hut Point et sa croix et la 1ère cabane de Scott devant.
Ensuite grand tour avec Terri et Jin-A au nord de McM coté Hut Point où se trouve la première cabane de Scott, qui monta une expédition pour atteindre le pôle Sud (fermée aux visites). Cette première tentative n'aboutît pas. Nous remontons la ligne de crête par un sentier bien tracé, en prenant des photos. Belle vue sur l'aéroport d'hiver et la chaîne de la Royal Society. Un couple de skuas vient se poser devant nous et le plus proche prend la pose avec une complaisance cabotine à laquelle personne ne résiste. Je dois m’éloigner pour le cadrer correctement. Chouettes photos du pillard à l’œil rapace, bouffeur de bébés manchots (souvenez-vous de la scène de ‘La marche de l’empereur’ où un de ces affreux enlève un poussin à sa mère. Bon, d'accord, sensiblerie anthropomorphe.).

thanksgiving
Diner traditionnel de la fête de Thanksgiving.

A 18h30 nous prenons la file à la cantine pour avoir une bonne table. Je sirote une bière en bavardant avec Jin-A. Rage : plus une bouteille de vin californien ou néozélandais au magasin. Je dois prendre du chianti pour le rouge. Heureusement que j’avais un peu anticipé avant avec un Chardonnay acheté il y a quelques jours. Médiocre hélas. Dîner agréable, au cours duquel j’ai poursuivi l’initiation de mes collègues à la culture du vin (bien que la mienne soit fort modeste). Après le dîner, passage à la Coffee House pour un Bushmill (ils n’ont rien d’autre), Young-Soo fait la grimace.
Puis virée digestive en solo au sommet d’Observation Hill – pour la 2ème fois aujourd’hui - pour un panorama de 22h30. Superbe.

Accord confirmé pour une ballade à pied sur le circuit Armitage. Déclaration obligatoire sur eFoot ensuite. Nous rencontrons Terri qui propose de se joindre à nous, avec ses skis. Je regrette d’avoir rendu mes skis, et le guichet était fermé hier soir pour en reprendre une paire. Je vais chercher le radiotéléphone obligatoire chez les pompiers pendant que Terri va s’équiper. Attention me dit la dame, les secours sont déclenchés 5 minutes après l’heure déclarée du retour. Noté.

Dimanche 25 novembre
Matin agréablement, et relativement, paresseux. Jogging de 9h interrompu à mi-chemin à cause du vent de face (30-40km/h) glacial, qui me brûle trop les pommettes et le nez.
Je retrouve Young-Soo et Jin-A au galley (= cambuse en français, c’est ainsi que la cantine est appelée ici) à 11h30 pour le brunch.

Terri sur skis
Terri sur Armitage trail.
Armitage trail est un parcours de 8 km environ, sur la banquise qui va de McMurdo (US) à Scott Station (NZ) en contournant Observation Hill à l’extrémité de la presqu’île (cf carte si j’en trouve une).

Jolie ballade en terrain extra plat. Petit et bon café dans la cantine luxueuse de Scott Station. Jin-A a les pieds gelés (en quasi tennis). Elle rentre avec YSY par la route. Ils seront pris par une navette. Je rentre par le même chemin qu’à l’aller avec Terri sur ses skis. En marchant assez vite il faut un peu moins d’une heure et demi pour couvrir la distance. Un peu plus quand Terri perd son appareil photo et nous fait revenir sur un petit km, et devient nerveuse au point d’oublier de rester agréable. Finalement je rends le téléphone sans avoir eu à prévenir d’un retard.
Film de Werner Herzog après dîner, documentaire sur McMurdo, qu’il a fait l’an dernier. J’aime bien son commentaire un peu grinçant sur certains aspects de la question, ce qui lui ressemble assez.
Partie de cartes postales ensuite, qui se prolonge assez tard.
Nous sommes (ré)inscrits pour la ballade à Cape Evans de mardi soir en véhicule Delta.

Lundi 26 novembre
Erreur de lecture. Je me retrouve dans la salle de bain croyant qu’il est 6h25, quand il est 7h25. Je n’étais même pas le dernier au bus de 7h30. Réveil du cellulaire désactivé pour le dimanche, mais lundi 6h30 ici c’est dimanche 18h30 à la maison. Sans conséquence. Jour tranquille à Willy Field. Initiation à la motoneige dans l’après-midi, par le responsable des engins. Amusante récréation. On fait quelques photos.
Retour à McMurdo par une navette-taxi vers 16h. Passage au Crary lab pour gérer photos, blog etc.. Liaison internet escargot. Patience dans l’azur….

Soirée tournoi de billard à quatre en épuisant un pack de Sierra-Nevada. Puis cinéma sur proposition de Terri qui a pris ‘Little Miss Sunshine’ à la vidéothèque. On le regarde ensemble dans le lounge de son bâtiment. Je le revois avec plaisir. J’en profite pour raconter après, quelques unes de nos propres (més)aventures pendant les 23 ans que nous avons vécu avec le même combi VW que celui du film - modèle de base identique, mais le notre était équipé en camping-car (que nous adorions) : En plein Paris, le moteur s’arrêtait à chaque feu rouge à cause du gicleur de ralenti bouché, Laurence - ma fille aînée - sautait et passait sous le moteur (à l’arrière) pour aller coller un coup de marteau sur cette saleté de Bendix (relai qui ferme le circuit électrique du démarreur, du nom de son fabricant) qui restait obstinément collé à chaque (re)démarrage. La technique marchait très bien. Un peu lourde peut-être, burlesque en tous cas, et vaguement dangereuse aussi.
Couché tard encore une fois.

Mardi 27 novembre
Assez beau temps. A midi un bon vent s’est levé, ~40-50km/h, féroce. Retour au village par navette à 15h. Nous retrouvons Eun-Suk (Eun-Suk Seo, ESS) au galley, qui vient d’arrivée d’UMD (University of Maryland), l’air fatiguée.
Elle est logée avec Jin-A. On va avec YSY déplacer leurs meubles. Elle m’annonce qu’elle a oublié mes timbres – commande spéciale à USPS, planches choisies avec amour – dans sa valoche restée à Christchurch. Je la flingue sur place, d’un index-majeur implacable.
La boutique McM est fermée pour 2 jours cause vacances. Et plus une bière dans le frigo. Disette.

Scoop : Sasha ne sera peut-être pas qualifié médical (Physicaly Qualified, ou PQed, prononcer Pikiud) pour le recovery (récupération de l'expérience quelque part sur le continent après le vol, pas trop loin si possible), il faut lui trouver un remplaçant d’urgence. Jean-Noël premier choix. Moi éventuellement, ESS aime bien cette dernière option (mais j'en connais des qui aimeront bien moins). Message à J-Noël pour préparer le terrain.

Mercredi 28 novembre
Réveillé vers 2h. J’ai rêvé de mes parents, que j’attendais d’embrasser, et de ma grand’mère que j’aidais à monter les escaliers. Étrange impression rémanente. Le temps à l’air bien. J’hésite à m’habiller pour un panorama de "nuit" au sommet de Observation Hill. Finalement je renonce.
Journée paisible. BESS (autre expérience, japonaise) fait son "hang test" (test de suspension de la nacelle au complet sur le camion porteur). On est un peu jaloux, retard à cause des batteries lithium dans la nature.
Retour par navette à 16h15, grand beau temps, qui augure favorablement de la ballade à Cape Evans.
Bref dîner avant 18h pour ne pas manquer le rendez vous à 18h15 pour un départ à 18h30. Les inscrits sur la liste supplémentaire sont à l’affût d’une défection. Embarquement à l’heure prévue. Cabine bondée et encombrée des sacs rouges des équipements ECW (Extreme Cold Weather, froid extrême) obligatoires.

Deltas
Les véhicules Delta. Arrivée au cap Evans.
Deltas
Les passagers de la ballade. Terri tire la langue.

Les véhicules Delta sont des grosses cabines très haut perchées (plancher à 1m70 environ du sol), montées sur des roues monstrueuses, les pneus font un bon mètre de large (GoodYear), accessibles par une porte arrière via un escalier métallique limite praticable. Elles sont équipées de deux trappes de toit (de secours ?), une grosse et une petite, et articulées comme un semi-remorque derrière un tracteur avec cabine dans lequel ont pris place trois membres de l’équipe d’encadrement (quatre places disponibles). Deux autres membres sont dans la cabine passagers. Cape Evans est à environ 25km au nord de McMurdo. L’itinéraire passe entre le village et le terrain d’atterrissage d'été des avions, et remonte la côte de l’île de Ross sur la partie de la baie en glace de mer, offrant au voyageur le panorama du flanc ouest de l’Erebus et de la ligne de crête qui court le long de la péninsule de Hut Point, depuis le volcan, via Castle Rock jusqu’à Hut Point à coté du village. Le paysage est d’une merveilleuse harmonie. La ligne de crête s’étire longuement, presque à l’horizontale, ornée seulement de deux petits sommets coniques, et de la grosse molaire ocre sombre de Castle Rock, d’une fascinante beauté hiératique, en arrière-plan de la plaine glacée.

Le voyage dure une heure et demi environ, et le paysage évolue doucement. Les vitres sales de la cabine gâchent un peu le plaisir du spectacle. La falaise de glace du glacier Barne qui descend de l’Erebus, apparaît doucement au loin, signalant l’approche de la destination, face à l’îlot de Inaccessible island, une énorme éminence rocheuse d’un noir profond (basalte volcanique), posée sur la baie, en face du site de Cape Evans. Beaucoup dans la cabine lisent ou dorment. Nous sommes peu à avoir le nez collé aux fenêtres et à ressentir cette exaltation puérile de la découverte, décuplée par l’exotisme du site et le caractère exceptionnel de la situation.

Le Delta s’arrête enfin devant le site historique de la seconde cabane de Scott (voir http://www.south-pole.com/p0000089.htm par exemple, pour l’histoire) un peu avant 20h. Même si la cabane est évidemment un site historique important et émouvant, on est d’abord littéralement figé, submergé, englouti, par l'indicible beauté du site, par cette plaine immense de glace vive bleue-verte aux reflets d'aigue-marine, et par l’incroyable panorama qui l’entoure où le noir du basalte des roches, et les blancs éclatants du paysage glacé, et leurs jeux d’ombres et de lumière, sous un immense ciel bleu pâle, au pied du colossal et majestueux cône volcanique de l’Erebus, sont une fête visuelle absolument somptueuse.

cap Evans 1 cap Evans 2.
Poème de lumière, glace de mer bleutée et banquise éclatantes, et Basalte anthracite sous un ciel indulgent.

Je passe un très long moment à essayer de saisir cette beauté - l’essentiel de mon temps en fait - et à sacrifier à l’illusoire espoir de la mettre en boîte et de la conserver pour la retrouver plus tard. J’aimerais trouver la force de renoncer et de me poser sur la crête au-dessus de la cabane pour seulement savourer l’instant de cet extraordinaire spectacle et le méditer. Loin de moi hélas une telle sagesse. J’essaie d’engranger un maximum d’images (j’ai fait 238 photos dans la soirée, incluant le passage à Observation Hill, hélas le digit ne coûte rien ou presque). En parcourant le site, j’ai aussi la chance de découvrir dans le petit étang au-dessus de la cabane, une colonie d’une bonne douzaine de skuas qui prennent leur bain, oui oui, leur bain. Il doit faire environ -5°.

cabane Scott
La deuxième cabane de Scott.
cabane Scott intérieur
Intérieur de La cabane de Scott, inchangé depuis 1912.
Finalement, je me résous à quitter cette célébration de la lumière et à visiter l’intérieur de la cabane. C’est sombre, ambiance de refuge de montagne peu entretenu où chaque espace est utilisé. Tout y est resté comme en 1912, lorsque Scott et son équipe l’ont quittée pour n’y plus revenir (voir son récit). La lampe à pétrole est sur la table avec un pot à lait et un beurrier, du matériel de rédaction, encrier, papier. La sècheresse de l’atmosphère (5-10%), et le froid, ont tout conservé en l’état, les boites de provisions, les couchages, les livres, le carnet de bord, l’outillage, et même la dépouille de manchot empereur prête à être naturalisée (?). C’est très impressionnant, et émouvant. L’histoire figée soudainement, un peu comme à Pompeï, version banquise.

Enfin, il faut repartir, après avoir joué encore un peu sur la glace, et fait quelques photos de groupe, et s’être fait photographier, et avoir contemplé la lumineuse falaise de glace qui frange l’horizon, et qu’on ne reverra pas de si tôt.
L’animateur nous annonce que rien ne presse et qu’on peut demander à s’arrêter à tous moment, proposition à laquelle je donnerai suite.

groupe skuas skuas 2 skuas 2
La communauté des skuas au bain.
manchots
Groupe de manchots Adélie rencontrés au hasard du chemin.

Le retour est aussi spectaculaire que l’aller. Le soleil est un peu plus bas et surtout plus au sud, et les ors et les contrastes de sa lumière rasante plus somptueux. Et puis la cerise, inespérée en cette saison, est venue se poser sur le gâteau: quelqu’un aperçoit un groupe de cinq manchots adélie qui déambule en se dandinant à une trentaine de mètres de la piste (pas question de franchir les limites de la piste, ni en voiture ni à pied). Arrêt en catastrophe. Je mets le temps d’arrêt à profit en montant le 400mm sur le boîtier du Pentax, et je reste en haut de l’escalier d’où je peux faire la meilleure photo. Ce sera effectivement la meilleure, car inquiets peut-être de cet attroupement distant de grosses bêtes rouges, les manchots se sont un à un allongés sur le ventre, et ils sont trop loin pour qu’on puisse tirer un parti photographique de cette posture. J’en profite pour faire des photos du paysage depuis ce point de vue, où je me disais à l’aller qu’il faudrait s’arrêter. A peine sommes nous remontés dans le Delta, que ces malotrus se lèvent et reprennent leur déambulation.
Je demanderai encore un arrêt panorama plus loin où la perspective sur l'Erebus est particulièrement belle.
Nous arrivons au village un peu avant 23h30 juste bien pour aller faire le point du soleil de minuit au sommet d’Observation Hill.
Retour vers 1h du matin. Fatigué mais content.

Jeudi 29 novembre
7h, somnambulesque acheminement jusqu’à à la douche. 7h30, Terra Bus. Journée ordinaire fort tranquille ensuite, agrémentée à son début d'un épisode intéressant:

Le skua

En sortant du galley vers 9h, où j’étais allé chercher un mug de café et de la viennoiserie pour mon petit dej’, un skua vient se poser juste devant moi, l’air fort déterminé, tendant le cou et claquant du bec pour me faire comprendre qu’il entendait bien partager cette jolie gâterie. Evidemment les boutiques de viennoiserie ne courent pas les rues sur la banquise. Je lui concède donc un bout de pain au chocolat, qu’il semble trouver tellement à son goût qu’il en redemande avec force claquements de bec en me serrant de plus en plus près, et avec une certaine agressivité. Je l’écarte en faisant mine de lui coller un coup de pied, mimique qu’il évite avec agilité, en professionnel de l’esquive. Mais il ne me lâche pas pour autant, et m’emboîte le pas. Il simule une ou deux attaques sur le butin qu’il convoite, auxquelles je réagis de la même manière. Et soudain, quand je crois en avoir fini avec ce parasite, je comprends trop tard qu'il arrive en silence en planant derrière moi et d’un preste et précis coup de bec, me pique mon bonnet - un cadeau de Laurence qui m’est infiniment précieux - et s’enfuit pour aller se poser avec sa prise sur le toit du galley où il commence à faire mine de le dépecer.
Stupéfaction et cris de fureur. Je pose mon mug de café à terre et je lui tire un petit bloc de neige gelée, espérant lui faire lâcher l’objet, mais il esquive le tir sans difficulté, et d'un plané nonchalant va se poser au sol un peu plus loin, et poursuit du bec l’examen de sa proie-otage tout en m'observant. Alors me vient dans l'urgence de la situation l’idée salvatrice : je jette à l’écart, entre lui et moi largement vers la droite, un gros bout de mon pain au chocolat, proposition qu’il ne peut pas refuser, et sans doute qu’il attendait. Il lâche alors le bonnet et va s’en emparer d’un coup d’aile, ce qui me permet de courir récupérer mon bien. C’était calculé j’en suis sûr. Je craignais qu’il n’aille chercher la nourriture avec le bonnet, ce qu’il va certainement apprendre à faire bientôt puisque c’est son intérêt. Si c’est pas lui ce sera sa descendance. Evolution oblige. Méfiez vous des skuas. Ils seront bientôt dans votre jardin, puis dans votre assiette.
Un technicien du LDB qui a assisté à la scène vient me dire en rigolant que l’oiseau est un habitué du lieu. Il ignore s’il a fait d’autres victimes. En tous cas, il a une tactique bien au point, j’en conviens volontiers. J’ajouterai même une pointe d’admiration, pour ce rusé coquin, qui me poursuivra encore de son assiduité sur le reste du chemin pour ne me lâcher finalement qu’à la porte du bâtiment destination.

Cela me rappelle une mésaventure analogue à Point Lobos State Park (Carmel, Californie) où nous pique-niquions avec Magali et Laurence en 96, et où un beau goëland nous avait sautés d’un coup d’aile pour aller s’emparer de la baguette de pain posée sur le toit de la voiture, avec laquelle il disparut à jamais.
Young-Soo, Ophers, et l’équipe Wallops, travaillent sur la communication avec les relais satellites. Problème sérieux avec les Iridium (option de secours). Tests LPT/CPT l’après-midi, à terminer demain. Retour à 17h30.
Visite du labo des biologistes après dîner, un bac contient des espèces que les visiteurs peuvent toucher. Séance photos burlesque avec Eun-Suk, Young-Soo, Jin-A et Terri.
Retour aux pénates avant 21h pour une soirée pèpère, avec une bière.

Vendredi 30 novembre
Longue nuit de sommeil : 22h-7h non-stop. Il neige ce matin sans un poil de vent. La météo prévoit condition vent 2, ou même 1 dans la journée. Une fois arrivés à Willy Field, on nous annonce qu’il faudra repartir vers 13h avant que le vent ne rende le parcours impraticable.

pick-up Armitage pick-up Armitage
Dans la nacelle du pick-up qui nous ramène à la base après la petite rando
sur Armitage Trail. Météo moyenne...
Retour à 13h comme prévu. A 14h il fait chaud (>0°), front chaud ? Pas de vent. Il semble que la tempête promise serait à folâtrer ailleurs en rase campagne. Je retrouve Terri pour un Armitage trail à ski de fond à 15h. Parcours agréable. Bon exercice. Le temps est moyen. Terri tombe beaucoup avec ses skis courts, un peu patinettes (j’ai pris de skis à l’ancienne). Elle pousse un grand cri à chaque chute. Un peu exagéré, et, disons, synaptiquement stimulant. Elle commence à avoir une technique raisonnable. Retour à pied après un café à Scott Station. Un pick-up nous prend sur la route après cinq minutes. Raccourci sur plate-forme. Vent frais ! Soirée RAS.
Si ! j’ai acheté une bouteille de Glenfiddish au magasin pour l’apéro demain soir (et les suivants...), seul whisky raisonnable disponible.

Le compte à rebours

Samedi 1er décembre
Hé bien, la tempête annoncée nous fit faux-bond. On attendait Blücher, ce fut Sancho Panza. Bienvenue à lui. Une tempête peut vous coller une semaine de retard difficile à rattraper ensuite. Le calendrier Antarctique étant particulièrement inflexible, et le chrono impitoyable. Donc il fait un temps normal. Petit vent glacial, et ciel moyennement nuageux, et le Terra Bus est là à 7h30. Fin de l’alerte.
J’espère que j’aurai l’occasion, après le lancement quand la manip flottera à 40km dans la paix céleste de la stratosphère, de voir une belle tempête.
Les choses se précisent et les événements risquent de se précipiter, car le vortex se stabilise nous disent les prévisionnistes. Et si le scénario optimiste prévaut, on devrait avoir le lancement du  ballon pilote (pathfinder) demain, puis faire le hang test lundi, et être prêts pour l’ouverture de la fenêtre de lancement avec possibilité du 1er lancement, pour nous, à partir de mercredi.
Aujourd’hui, poursuite des tests de coordination et de transmission des données avec manip et nacelle intégrées.

Je cherche mon skua d’un oeil inquiet en naviguant entre le hall et le galley, sans succès. J’espère bien le voir revenir un de ces moments, pour lui tirer le portrait.
A midi, steak de texans au galley. Opher s’en fait deux. Loi de proportionnalité. J’aime bien cette ambiance de refuge de la cantine, avec la même autodiscipline qu’on trouve chez les montagnards. Le milieu veut cela. Non que je sois un fana de la discipline, loin s’en faut, c’est plutôt le sentiment du respect de la communauté qui me plaît là-dedans. D’ailleurs, mon statut de frenchy dans le groupe a été rapidement établi. J’ai pratiquement forcé Young-Soo à partir avec nous sur le circuit Armitage dimanche, alors qu’il n’avait pas suivi le cours obligatoire de sécurité «outdoor». Il était paralysé de trouille le pauvre. Il est arrivé au rendez-vous avec tout son attirail grand froid (ECW) affreusement encombrant que j’ai eu toutes les peines du monde à lui faire larguer dans un coin du vestiaire. J’ai dû l’engueuler et lui jurer que je me portais garant de sa survie, pour en venir à bout. Tout ça pour 8km à plat sur la piste la plus banale du monde (avec néanmoins parcours enregistré et radio-téléphone dans le sac, sur la doudoune, sécurité Antarctique oblige). J’ai aussi fait des propositions de micro expéditions sur des monticules alentour pour des points de vue photographiques, qui m’ont valu des objections sur leur accessibilité non autorisée, alors que ces trucs ne posent aucun problème de sécurité et que cette non autorisation ne vient d’évidence que du souci de l’administration locale de se simplifier la vie, et peut-être d’éviter les effets de marge statistiques. Ce que j’ai essayé d'expliquer avec tout ma pédagogie (limitée..), un poil d’ironie, et quelques grimaces en retour. J’irai, donc, seul, sauf imprévu, car un (encore plus) beau point de vue sur l’Erebus avec Castle Rock au premier plan, vaut bien le risque de se faire un peu engueuler par un cerbère de service.

Le déménagement estival du terrain d’atterrissage de la station a commencé. En hiver ils se posent sur la glace de mer devant MacTown, mais en été comme la glace est moins épaisse et fragilisée (c’est lourd un C17), ils déménagent sur la banquise, de l’autre coté de la presqu’ile de Hut Point, juste à coté de nous (voir la carte bientôt sur le site indiqué en tête de blog). Comme ça on va pouvoir profiter des navettes. Colossale logistique mise en œuvre évidemment. Il y a déjà une douzaine de C130 bien rangés sur le tarmac aménagé. On y reviendra.

Jin-A a débranché accidentellement les PC un peu avant l’heure du départ. Il a fallu tout redémarrer, stabiliser, vérifier, pour arrêter selon la procédure normale. On a raté le bus de 17h30 et perdu 1h et demi. Les gens de Wallops sont restés pour travailler sur la nacelle en prévision du hang test de lundi. Nous sommes rentrés vers 19h30 avec une navette-taxi. Temps superbe. Lumière plus belle que jamais.
Et comme nous sommes samedi soir, pas de prohibition. J’ai donc apporté quelques Sierra Nevada à table, et arrosé tout le monde. Personne ne s’est plaint.

Nemo poisson courgettes tomates
Nemo le petit poisson antarctique qui a de l'antigel dan les veines. Courgettes et tomates de la serre-potager de la station.
Après le dîner nous sommes allés visiter la serre de McMurdo. Un cabanon d’une cinquantaine de m2, isolé thermiquement bien sûr, tapissé de mylar aluminisé à l’intérieur, et éclairé de puissantes lampes qui rayonnent un spectre solaire approximatif je suppose, et où sont cultivés salades, courgettes, cornichons, bettes, épinards, et les petites aromatiques qu’on aime bien, persil, ciboulette, basilic, menthe, thym, etc... Etonnante impression de soulagement et de quiétude retrouvée avec le niveau d’humidité de nos campagnes et la couleur qui va avec (je raconte volontiers le syndrome californien dont j’ai vraiment souffert à la fin de l’année de sècheresse en 76, année de postdoc à Berkeley). La fonction exacte de l’établissement est incertaine, mais les légumes sont consommés c’est sûr.
Demain le lancement du ballon pilote doit avoir lieu à 9h30. Le groupe s’est donné rendez-vous à la navette aéroport (relocalisé) à 8h30. Comme le beau temps est prévu, j’ai décidé de partir avant et de faire le parcours à skis de fond.
Ce soir Young-Soo s’est endormi sur son laptop à coté de moi à la bibliothèque du Crary Lab.
Moi j’ai eu du mal.

Dimanche 2 décembre
Réveil vers 6h30. J’attends 7h pour me lever car mon équipement est prêt. Je vais aller au LDB à ski de fond depuis Scott-Base et je veux prendre bus ou navette à 7h30 pour éviter d’aller à Scott Base à pied. L’équipe de BESS et le groupe Wallops au complet, attendent le bus à Derelict Junction (place du village). Dave me dit comme je suis "recreation" et donc pas prioritaire que je dois attendre que tout le monde soit embarqué pour le faire à mon tour, s’il reste une place. A pied d’œuvre vers 8h. Une fois de plus, étourdi par la beauté du site. Je fais quelques panoramas avant de démarrer. L’angle de vue sur l’Erebus est sans doute un des meilleurs qu’on puisse rêver avec Castle Rock dans le champ et les beaux séracs de la ligne de fracture de la banquise au premier plan. Je finis par me mettre en route, les doigts et le reste bien gelés. Le vent est un peu fort. Il est de face, un peu à gauche (N-NO). Il me brûle les pommettes. Pas pris le passe-montagne. Un peu préoccupant. J’ai vu des visages brûlés au second degré dans le briefing "Outdoor safety". Finalement la piste (l’autoroute de l’aéroport) oblique plein est vers Willy Field, et j’ai le vent dans le dos. Une heure après, la navette qui transporte mes collègues arrive à ma hauteur et me propose de m’embarquer. Je décline, et une demi heure plus tard, j’arrive sur place, la chemise bien mouillée et les oreilles bien gelées malgré le bandeau. Café réparateur. Je sens que je me suis fait une méchante ampoule un peu à l’intérieur du talon droit.

pathfinder 1 pathfinder 2
Lancement du pathfinder, ballon pilote qui teste le vortex.
Ablutions digitales quotidiennes. Pas de message du labo. Normal, il est samedi soir là-bas. Impression bizarre de percevoir la vie chez nous comme dans une vague pénombre. Addiction déjà, au bain de photons polaires ? J’adore le soleil, mais quand même.
Le compte à rebours de lancement du ballon pilote a été suspendu à cause du vent mais il tourne, et finalement il aboutit. Quinze minutes de préavis, juste le temps d’attraper la parka et le matériel photo et de courir sur le pad, et hop, gonflé et lâché, le joli ballon transparent s’envole doucement dans un beau ralenti, scintillant dans le soleil, il monte au ciel, sa longue traîne flottant dans son sillage aérien avec une belle élégance. Gentil éclaireur du ciel, trace nous le chemin pour aller collecter de jolies données qui nous diront peut-être si les rayons cosmiques sont accélérés par les fronts de choc des supernovæ. J’ai une faim de skua. Repas simplifié (ultimement) à la cantine du LDB (galley). Hamburger et gratin assez dauphinois (ma mère aurait contesté vivement, mais vu les circonstances…). Pas de dessert. J’ai pris une assiette plate normale au lieu d’une assiette en carton. C’est mal le dimanche où il n’y a personne pour faire la vaisselle. Alors, contrition et contribution, je m’y colle en remplaçant Amy la gentille membre de l’équipe Wallops. Michel au lavage, Jin-A au rinçage. Equipe de choc.
14h30 - Briefing avec l’équipe logistique CSBF sur le site, celle qui décide onyva-onnyvapas. La météo devient un peu incertaine. Si on peut tenir le compte à rebours, le lancement est possible mardi pour éviter de se retrouver le nez dans le brouillard ou dans le vent mercredi, et dans les choux pour la semaine qui suit ou plus (météo exécrable pour le prochain weekend, mais tempérons, on a vu ce qu’il est advenu du dernier coup de vent prévu). La journée commencerait à 2h30 – au tout petit petit matin donc - et devrait durer jusqu’à minuit la nuit suivante. Longue journée en perspective, mais qu’on attend et qu’on espère très fort voir venir vite, et qui restera dans les mémoires. Et puis on a vu pire en matière de on-reste-jusqu’à-ce-que-ça-marche (mon coté ancien combattant, toujours). Robi, le petit chef de l’équipe Wallops et moi commençons à échanger des regards noirs. Il est temps que le ballon s’envole. Je n’aime pas sa manière d’exercer son autorité avec cette application gourmande, cette pointe d’arrogance froide et provocante, et je lui fais savoir. Il me rappelle le sergent de ‘Full Metal Jacket’, en plus pâle évidemment, et me flanque vraiment des démangeaisons.
Douche en rentrant. Mon ampoule a éclaté. Je la sèche à la bétadine.

Les gens

équipe
L'équipe scientifique devant les préparatifs du lancement. De gauche
à droite: Michel, Terri, Eun-Suk, Opher, et Jin-A, Young-Soo en bas.
Deux composantes distinctes : l’équipe scientifique et technique composée de membres de la collaboration, de U.Maryland (USA), Ewah U. Séoul (Corée du Sud), et LPSC Grenoble, chargée de la mise en oeuvre de l’instrument (tous les labos participants au programme ne sont pas représentés), et l’équipe technique de la NASA (NSBF/Goddard/Wallops) chargée de l’intégration de la nacelle avec l’instrumentation scientifique.

Eun-Suk, PI (Principal Investigator), la porte-parole du projet (U. Maryland). Elle a de bons cotés, elle peut-être cordiale et assez conviviale. Mais professionnellement, elle est, disons surprenante. Avide, méfiante, avare de tout, ne donne rien, anale, totalement. Contrôle tout avec une vigilance et une méfiance sourcilleuses et anxieuses, mais ne se contrôle pas bien elle-même car elle avale à chaque repas religieusement le contenu de mystérieux sachets de médecine chinoise. Chapeau en laine polaire sur la tête indévissable. Je lui ai rabattu sur le nez un matin, pour rigoler. Elle l’a presque bien pris : ‘You’ teasing me ?’ dit-elle en fronçant les sourcils et en rigolant à moitié; puis sérieuse après que j’eus acquiescé "Tease your people !" dit-elle, injonction ferme, sourire figé, petit message d’avertissement. Je suis évidemment la seule personne à oser ce genre de familiarité, qui n’ira pas au-delà de ce petit test. Cela dit, bonne pongiste, mais je gagne aussi souvent qu'elle.

Opher Ganel: citoyen américano-israélien, associé scientifique, lieutenant/esclave d'Eun-Suk, cadré serré. Gentil garçon, un peu compliqué. Toujours à la recherche d'une visibilité qui semble lui manquer beaucoup, et d'une supériorité qu'il n'atteint pas souvent.

Jin-A: coréenne, étudiante à l'Université EWAH de Séoul. Travaille sur les compteurs à microbandelettes (microstrips) de l'instrument, pour un stage ou une thèse dans le cadre du projet CREAM. Toute en J: Juvénile, Joyeuse, Jolie.

Young-Soo: coréen, thésard à l'UMD (U. Maryland): Ne décolle pas de son clavier d'ordinateur. La rumeur dit que ses parents l'ont envoyé aux US pour qu'il y trouve une épouse. Quête infructueuse jusque-là semble-t-il. Gentil garçon, réservé il se tient toujours en retrait.

Terri : Étatsunienne, thésarde à l'U. Maryland. Elle travaille sur les hodoscopes de scintillateur et le système de déclenchement (trigger) de l'expérience. Personnalité plutôt agréable, mais une certaine instabilité affleure, qui émerge parfois, un peu éruptive.

Techniciens de GSFC/NASA/WALLOPS:

Robi: petit chef plus que archétypique, caricatural. Maxillaire de sous-officier. Rictus cultivé. Discours carré. Verbe péremptoire perlé d’une pointe de froide arrogance. Jaloux de son pré carré de prérogatives. Nous avons frisé le clash une fois ou deux. Le fond d'écran de son laptop est une tête de bold eagle (pygargue à tête blanche) à l'œil particulièrement féroce. Son idéal de prestance probablement. Néanmoins, professionnellement efficace autant que j’ai pu le constater.

Fritz: grande gueule, très extraverti, plutôt sympathique, cultive son image de rebelle agressif, réputation de très bon professionnel. Originalité bienvenue dans l’ambiance locale, glacis d’humeurs contenues.

Andy: la quarantaine. Rondouillard, discret, gentil, cordial.

Bryan: le Benjamin. 25 ans environ, grand, mince, brun. Un peu timide. Sympathique. Spécialiste radio.

Christopher: au bout de la trentaine. Réservé; Gentil colosse silencieux.


Q1


Lundi 3 décembre
Hélas. Quand la météo avait l’air praticable à 6h30, il neigeait légèrement à 8h30 en arrivant à Willy Field. Il n’y aura (certainement) pas de ‘hang test’ aujourd’hui, ni de lancement demain. Il faut attendre que les conditions s’améliorent et nul ne sait quand cela surviendra. Ne croyez jamais ce que vous disent les météorologues prévisionistes.
Sortie du bébé quand même en tout début d’après-midi, pour vérifier l’absence de problème de manipulation de l’ensemble (cf photos). Il a fallu ouvrir tout grand le hall. Imaginez comme on s’est gelé après (~ -10 à -15° dehors).

Retour au village vers 15h30. Fournée de cartes postales. Je refais une tournée avec les petites merveilles que j’ai trouvées à la boutique de Scott Station. Puis lessive.
Ce soir ‘farewell party’ (soirée d’adieux) de l’équipe Andrill (les géologistes). Je suis invité par Steve, mon compagnon de chambrée. J’ai un peu le spleen. Ça passera avec le scotch.

ping-pong
Une des joyeuses parties de ping-pong de l'équipe.
Finalement, nous commençons après dîner un tournoi de ping-pong avec Eun-Suk, Jin-A et Young-Soo, dans le lounge du bâtiment 203c. Quelques bières (Sierra Nevada) pêchées dans mon frigo aident à la légèreté de l’ambiance. Eun-Suk est assez bonne. Je ne l’ai jamais vue aussi souple, et même s’exercer à l’assouplissement. Elle devrait faire ça plus souvent, dans sa tête aussi. On s’amuse vraiment un bon moment. C’est joyeux et déjanté comme à la récré.
Vers 21h je les quitte pour passer à la Andrill party (à Ghallager’s). Je vois Steve, qui me présente à Patricia Ballou (origine Cajun) jeune météorologiste militaire avec qui je bavarde un moment. Faute de scotch j’attrape une bière, Monteith’s (Hearty Black), pas pire, assez bonne même. Le gens commencent à danser. Je ne connais personne, sauf une fille (italienne, de Sienne) depuis la ballade à Cape Evans, et celle que je viens de rencontrer. Pas d’humeur à danser, alors que je fus un danseur infatigable, rocker & valseur, je file. Steve est dehors avec deux verres, un dans chaque main, pas du petit lait. Mal barré il me semble. Mais je ne suis pas St Bernard. On se congratule et je rentre.
Spleen toujours. Mes loupiots me manquent. Je vais me faire un petit scotch solo et un peu de ‘Sinister pig’ (merci Tony Hillerman). Finalement j'écris un peu, mais il faut rapidement que je lâche le clavier parce que, l’alcool aidant, je commence à avoir envie de raconter des histoires pas racontables. Fin de la journée.

Mardi 4 décembre
Réveil matinal - 5h - Pâteux. Soif Terrible. Passage aux toilettes. La fenêtre du bout du couloir me dit : soleil ! Jour de hang test ? Nous verrons. Somnolence jusqu’à 6h30. J’ai faim. Je rêve d’œufs au plat. Exaucé un peu plus tard.
8h30 – Grand beau temps à Williams Field. Tout va très vite. La décision s’est prise toute seule. C’est parti pour le test de suspension au camion grue et des fonctions de communication de l’instrument. Moment spectaculaire (cf photos). Opération porte ouvertes. Tout le monde dehors. Chacun s’applique à trouver le meilleur angle pour ses photos. L’instrument est sorti au pont roulant avec ses grandes ailes de cellules solaires, et mille précautions. Tout de blanc vêtu. Il est vraiment pimpant. Le soleil illumine sa blanche élégance. Allure d'archange de technologie. L’équipe Wallops le suspend au camion qui l’emporte doucement à une centaine de mètres du bâtiment. Cela prend une bonne heure et demi. Tout le monde rentre alors. Les liaisons radio sont établies, et le reste de la journée se passe à tester le contrôle et le fonctionnement à distance de ce qui est maintenant une expérience opérationnelle prête pour le lancement. Les derniers boutons de guêtres de CREAM sont mis et passés en revue. Tout ça sous les doudounes et les pieds bien gelés (j’ai la flemme de sortir les super chaussures et la salopette grands froids). Partie de 0° environ dans le hall vers 10-11h quand on a fermé, la température est remontée à 12° vers 14h. Je joue ma partition avec de petits gants de laine. Petite sieste discrète. Young-Soo n’a pas lâché son terminal. Terri lui a rapporté une assiette repas de la cantine.

hangtest 1 hangtest 1 hangtest 1 hangtest 1

Hang test (test de suspension) - CREAM est sortie de son hangar avec mille précautions et maintenue quelques heures (~2) en suspension au bout de son bras porteur, le temps pour l'équipe technique
de procéder aux vérifications de l'arrimage et de la suspension, et pour l'équipe scientifique de vérifier le fonctionnement des détecteurs de particules et de l'électronique d'acquisition, et les liaisons satellites.
hangtest 1 hangtest 1 hangtest 1

Le problème sérieux c’est le ballon pilote. Il a une trajectoire complètement farfelue. Il devrait tourner autour du pôle comme le vortex atmosphérique, dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Au lieu de cela, il est parti dans l’autre sens, sans doute parce que le vortex au lieu d’être centré sur le pôle, est resté largement décalé vers l’Amérique du Sud.(cf http://www.nsbf.nasa.gov/map/pathfinder/mip/mip.png). Normalement il devrait partir au-dessus de l’océan, mais ce n’est pas la tendance actuelle.

Il fait un temps magnifique. L’Erebus s’est entouré d’une élégante écharpe de nuages qui lui va à merveille (allez, encore un panorama), mais qu’il va vite quitter. Et le vent s’est levé. Cruel.

En fin d’après-midi, debriefing de la riche journée. Comme j’arrive en haut de la mezzanine du hall où Eun-Suk est perchée (elle me rappelle nos chats et chattes qui se perchent toujours le plus haut possible pour signifier leur statut de dominant et pour voir l'ennemi arriver, elle est en train de passer une méchante chasse à Opher (son ‘research assistant’), lequel refile systématiquement les corvées qu’elle lui colle (rapport à écrire, images à produire,...), à Young-Soo (thésard, corvéable à merci, en conformité avec la culture des labos US), et elle fait cela avec le tranchant qu’on lui connaît, en lui expliquant que c’était lui et lui seul qui devait s’y coller, et que si elle voulait en charger YS elle pouvait le faire elle-même. Chirurgical. Ça dure, inutilement. Je regarde le plafond distraitement. Eun-Suk, petit bout de femme si fragile, à la silhouette si légère qu’on a toujours peur de la voir partir avec une rafale un peu forte. Qui soupçonnerait derrière une si frêle apparence, ce concentré de férocité, trempé d’eau bénite (vraie punaise de sacristie). Littéralement carnassière. Merci pour Young-Soo en tous cas. Brève discussion ensuite, banale, sur les (importants) faits du jour et les résultats des tests. Sans surprise. Tout va bien.. So far so good.

Soirée baby-foot et Jack Daniels avec les mêmes et l’équipe Wallops qui arrose le Hang test, au Ghallager. Plaisant.
J’appelle Magali en fin de soirée. Le PC maison ne démarre plus dit-elle. Je lui donne des pistes.

Mercredi 5 décembre
Dring à 7h. La lumière du jour est morose, ça se voit tout de suite. Il neige. Bientôt enfourné somnolent dans le Terra Bus. Quelques pages des ‘Nourritures affectives’ (B.Cyrulnik) me réveillent les neurones. Étincellante intelligence.
A Willy Field, il a neigé un gros 5cm. Il fait plutôt doux. Bref briefing matinal. Messe dite par le sergent Robi.
Tour au galley avec Jin-A qui s’est aussi levée tard (bizarre que Eun-Suk ne l’ait pas jetée hors du lit à l’heure militaire) pour rapporter un petit-déjeuner frugal. La pâte de la pâtisserie colle aux dents avec un arrière-goût de poisson assez prononcé.
Message de Magali, trop chouette, comme y a 40 ans. Le PC marche.

13h – Le vent a bien forci. Les petites bannières balises rouges, bleues, vertes, noires, qui poussent partout sur le site et délimitent les routes et les espaces réservés, claquent violemment. Leurs bords extérieurs tous largement effrangés disent la récurrence dévastatrice de cette violence. Nous devons nous pencher en avant pour monter les escaliers du bâtiment au retour de la cantine, face à un vent qui peut-être est le début de la tourmente, mais qui peut aussi tomber d’une minute à l’autre.

Après-midi : réaménagement à l’initiative d’Eun-Suk, de la zone des ordinateurs où nous sommes toute la journée. Tables contre le mur pour un accès plus facile. Judicieux. Puis activités diverses, d’attente. J’écris un peu.
16h - Bout de réunion sur le trigger (système de déclenchement de la lecture des détecteurs de l’appareillage lorsqu'il est traversé par un rayon cosmique). Puis on rentre en navette. Le vent est tombé. Demain vacances.
Terri n’a pas quitté aujourd’hui de toute la journée, un capuchon mauve avec une doublure blanche qui lui enserrait la tête et lui encadrait le visage, et qui donnait à ce visage déjà volontiers sévère, un air compassé de bonne sœur. Elle me rappelait l’évêque procureur détesté de ‘La controverse de Valladolid’ qui portait un couvre-chef semblable, je me suis toujours demandé pourquoi.

Après un dîner rapide pris tôt, je me suis laissé entraîner à une séance de Yoga. En fait de méditation, c’était une séance d’étirements, ...dans la chapelle. Je n’ai pas pu m’empêcher de rigoler quand Terri m’a tendu un coussin en me signifiant que c’était pour caler mes fesses bien droites sur le tapis, ce qui me rappelait une vieille chanson paillarde.
Nous avons ensuite de concert rejoint le lounge du bâtiment 203c pour une tournée de Kalua que Terri tenait à nous offrir. Elle a eu l’air horrifiée quand je luis ai dit que chez nous c’était une liqueur pour dames. Et nous avons embrayé ensuite sur une longue et drôle partie de ping-pong, qui s’est terminée vers 22h30. Tous en sueur. Jin-A et Young-Soo font des progrès réels. J’ai appelé Magali ensuite en sirotant une bière. Steve est rentré un peu plus tard, un verre à la main. J’étais au lit en train de lire.

Jeudi 6 décembre
Réveil 7h. Journée de vacances droit devant ! J’aime la perspective d’une longue journée à paresser et butiner les choses que j’aime faire, sans plan précis, ni échéance, ni méthode. Juste dériver au fil des heures, en pianotant, griffonnant, sirotant, rêvant, comme dans une péniche, en regardant passer les berges du temps qui coule.

Crary bâtiment Crary calle Crary ordis Crary coin conf
Le Crary Lab: Vue du bâtiment, salle de travail bibliothèque, coin des terminaux, l'amphi miniature.
Douche et petit dej’ au ralenti. Steve dort. Je file me poser à la bibliothèque du Crary Lab. Young-Soo est déjà là, Terri aussi qui ne dit pas bonjour, ailleurs sans doute. Programme : messagerie, blog, photos du Pentax à charger, et reliquat de cartes postales à traiter.

Toute l’équipe finit par se retrouver dans le même coin de la bibliothèque. Eun-Suk et Opher peaufinent la présentation du rapport sur l’état de la préparation pour le GSFC.
On déjeune ensemble. Je retourne rêvasser à la bibliothèque après. Chargement des photos. Les plus chouettes de l’Erebus jusque là semble-t-il. Je passe l’après-midi à les organiser et à mettre sur le blog des versions tailles réduites.

18h30 – Grand beau temps. Bonne brise, parfaitement glaciale. La traversé de la place du village en bras de chemise et doudounette sans manche, pour rejoindre mon dortoir est une saine épreuve.

Faux départ à Scott Base comme la dernière fois. Navette complète. Partie de baby-foot puis concours d’aviron de salon au lounge du bâtiment des filles (209). Puis partie de ping-pong au 203c car le 203a est pris pour une "party" (j’ai vu arriver les bouteilles, mâââzette !). Je retrouve dans cette répétition quotidienne du jeu, l’empreinte d’un plaisir très ancien, qui remonte à l’époque où je pratiquais le ping-pong très souvent avec un copain d'enfance, perdu de vue depuis longtemps. Nous avions alors 12-13-14 ans environ. A chacun ses petites madeleines. Je retrouve avec bonheur la saveur de celles-ci, l’image du grand préau chez ses parents, où nous jouions des après-midi entières, les jeudis et les samedis, et l’acharnement que nous mettions à être le meilleur dans un rituel où la bataille ne débouchait jamais sur la rivalité. Notre plaisir à lutter était trop grand et notre amitié dans sa simplicité bien au-delà de tels sentiments. Même si c'était toujours lui qui gagnait.
Fin de partie à 22h. Rendez-vous au petit déjeuner pour décider d’une ballade sur Armitage trail.

Retour à la chambre. Steve a fait ses sacs, évacué les bouteilles vides et vidé la poubelle (c’est moi qui l’avais fait la dernière fois). J’espère le voir avant qu’il ne parte.
En fait, lui et ses copains avaient une (autre) ‘farewell party’ dont j’ai vu arriver les impressionnantes prémices dans le lounge du bâtiment. Ils ont fait un joli bazar dans les couloirs jusqu’à une heure bien avancée de la nuit. J’ai été réveillé vers 3h30 par son pianotement sur le clavier de son Mac. Il faisait du texte. Une rotation toilette me permet de voir qu’il fait très beau. Une heure avant j’aurais pu envisager d’aller faire le point de 3h du parcours du soleil au sommet d’Observation Hill. Dommage. J’ai bien du mal à retrouver le sommeil. Mais sans humeur. J’aime bien cette veille léthargique propice à la méditation.

Dictionnaire amoureux de la banquise

Air Sec sec sec ! Taux d'humidité atmosphérique de 3 à 8-10%. Les épidermes détestent. Le bonheur de L'Oréal.

Ballons
Gonflés à l'hélium. Une fois lancés, ils flottent à environ 40km d'altitude et tournent autour du continent dans les sens inverse des aiguilles d'une montre (en vue d'en dessus), entrainés par un courant atmosphérique de haute altitude, appelé vortex polaire, qui tourne de manière stable (mais pas toujours...) autour du pôle pendant les quelques mois de l'été polaire.

DJ
Derelict Junction (et non pas Disk Jokey !)
L’arrêt de bus sur la place du village, et par extension la place elle-même, lieu de peu d'intérêt qui ne mérite aucun détour.

Galley
C’est ainsi qu’on appelle la cantine locale, à McMurdo et à Willy Field. C’est la cambuse des bateaux en français (merci à Magali, fille de marin et angliciste impénitente).

Géographie
La station de McMurdo est située sur une île, l’île de Ross, dans la mer de Ross, une grande baie vaguement triangulaire de 1000 km de coté, qui échancre le continent Antarctique à l’ouest (cf cartes sur la page indiquée), approximativement droit au sud de la Nouvelle-Zélande.
Toute la partie intérieure de la baie est couverte par la banquise. La station est à la limite de cette banquise qui s'étend vers le sud depuis la presqu’île de Hut Point où est située la station, tandis que la glace de mer lui succède au nord, et rend l'île accessible aux navires pendant l’été austral, si la route est ouverte par un brise-glace. Voir les cartes sur le lien internet indiqué.

Humidité
Le continent Antarctique est le plus froid et le plus sec de la planète (et le plus venteux aussi). L’hygromètre dans le hall d’assemblage pendant le séjour disait 9% environ en moyenne dans le hall. Sur l’ensemble du continent elle serait de 0.03% en moyenne (valeur pêchée sur le web). C’est bien pour faire sécher ses fringues, mais votre épiderme en général, et vos muqueuses en particulier, vont détester cette maltraitance hygrométrique.

Jobs
Il y a une quarantaine d’emplois ouverts actuellement (décembre 2007), pour les 3 stations US de l’Antarctique, McMurdo, South Pole (Amundsen-Scott), et Palmer (Anvers island, Péninsule Antarctique). Dépêchez vous.

Lumière
Miraculeuse, féerique, magique, fantastique, divine, vertigineuse débauche de clarté, sorte d’éther aquatique céruléen, la lumière de l’Antarctique vous sidère et vous transforme définitivement au premier instant, azuréenne, céruléenne, cristalline, éthérée. Elle vous emporte, vous transporte, vous inonde, vous submerge, vous engloutit, vous émerveille, vous laisse sans voix, figé, stupéfait de tant de suprême beauté, univers d’aigue-marine. Les mots manquent encore.
Essayez de la capturer si vous pouvez. Moi je n’ai pas pu. J’ai inscrit dans les digits quelques jolies images, mais qui ont peu à voir avec cette révélation quasi mystique qu’apporte chaque instant du jour ou de la (non-)nuit face au paysage polaire, où que l’on regarde, mais surtout du coté de l’Erebus.
L’impression vertigineuse d’espace rappelle celle qu’on a dans une paroi d’escalade exposée, où qui naît de l’immersion soudaine dans un beau regard.

McTown
La base US de McMurdo. C’est laid. Allure de carreau de mine. Gris sale. Mais c’est une communauté conviviale, agréable à côtoyer. Typiquement américaine, avec les bon coté du boy-multiples aspects du scoutisme national.
Il y a une poste, avec de jolis tampons pour authentifier vos cartes postales (!), un labo scientifique moderne et bien équipé, pour l’accueil des équipes de recherche, une administration civile et scientifique (NSF), un sherif (oui, un sherif, sans guns heureusement), une grande cantine/cafeteria, deux cafés/bistros, un hôpital, des pompiers, une jolie chapelle au joli nom - Chapel of the snows (chapelle des neiges) - le seul bâtiment du lieu conçu pour plaire.
Vous pouvez jouer au billard, au ping-pong, au bowling, aux fléchettes, voir des vidéos, ou faire du sport dans un des deux gymnases de la station, ou encore aller visiter un coin de l’île ou d’ailleurs (mais sortie très encadrée). Un tableau d’affichage et une messagerie active maintiennent l’info à jour sur ces activités. La liste en est longue.

Météo Antarctique
Hautement et dangereusement variable d’une heure à l’autre. Il faut vraiment être très méfiant. Ne prenez surtout pas les prévisions pour argent comptant. Elles sont infirmées en permanence.

Patience
La liaison internet est d’une accessibilité inespérée. Mais on passe un temps fou devant son écran à attendre que cette #@!**£$ de liaison converge ou que cette #@!**£$ de page soit générée ou mise à jour. Temps mort qu’on peut mettre à profit en rêvant, le nez collé à la vitre, face à Mount Discovery.

Piafs:
de Nouvelle-Zélande vus en passant: - Les fichtrement ressemblant à des paléarctiques introduits (?):
Moineau domestique, pinson des arbres (plumage nuptial, c’est l’printemps), accenteur mouchet (plein, au jardin botanique = JB), chardonnerets (entendus au JB, vus à Akaroa), canard colvert, bruant fou, merle (moqueur et chanteur).
- Les natifs :
Swamp harrier, très commun, semblable à notre busard des roseaux (circus aeroginosus), mais espèce native ici: circus approximans, merci internet (cf http://www.nzbirds.com/birds/kahu.html), cailles (jolies comme les californiennes, photo), poule d’eau (grosse, noire à bec rouge), genre de corneille mantelée, de blanc (pie d’Australie), mouette à bec rouge (les pattes aussi, photos), sternes (genre pierregarin), goëland genre marin, paradise ducks (tadorne paradis), héron à tête blanche et bec court (white faced), grand héron type cendré (pas trouvé dans le guide consulté, mal vu ?), huîtrier pie (tout noir à bec rouge, comme l’américain), joli vanneau, plongeon, cormoran à joues blanches (pied shag), Cygne noir.

de McMurdo:
- Skuas. Ils sont partout. Redoutables et fascinants.
- Manchots Adélie (délicieux)

PQ (Physical Qualification)

RPSC
Pour venir à McMurdo, il faut être PQed (Physically Qualified). Pas question de venir à Christchurch sans ce précieux viatique. Vous y resteriez. C’est le statut médical qu’il faut obtenir après un parcours du combattant imposé. Ce parcours est géré par la société Raytheon Polar Service Company (RPSC) auprès de laquelle l’USAP (United States Antarctic Program) sous-traite le travail. La procédure vous fait remplir un gros dossier et rebondir pendant un bon mois, du cabinet du médecin généraliste à celui du cardiologue, puis du pneumologue, puis du dentiste, puis du radiologue, puis au laboratoire d’analyses médicales (14 prélèvements dans mon cas). Comptez quelques itérations, et examens complémentaires, avant d’espérer un résultat. Le dentiste de RPSC proposait de me faire enlever quelques unes de mes trente deux dents, mais qui aujourd'hui sont toujours là en deux rangs serrés, et qui servent. Il a fallu batailler ferme avec ce facho pour obtenir une autorisation de 3 mois.
Le problème, c’est aussi beaucoup l’organisation. On ne répond pas à vos message, vous ne recevez pas ceux qu’on vous envoie, on vous pose à nouveau une question importante une semaine avant le départ, à laquelle vous avez déjà répondu trois semaines auparavant. Bonjour le stress. J’ai un peu perdu patience et adressé un message très grognon à Eun-Suk sur le sujet. Mais rien à faire. RPSC est intouchable (voir l’autocollant photographié dans une cabine de Delta sur la page citée). Mais alors, après ça, on est tranquille coté check-up médical.

PQ
Le PQ ici est un vrai poème. Des caisses de rouleaux traînent dans tous les blocs toilettes. Il est surabondant. Mais illusoire, car d’une évanescente (évanouissante ?) minceur. On ne peut qu’être admiratif du magnifique effort de R&D (recherche et développement) que le fabricant a dû financer pour faire que les utilisateurs se nettoient le croupion avec les doigts en croyant utiliser son papier. Laissons aux archéologues du futur qui en retrouveront peut-être des traces, le soin d’interpréter la subtilité de cette démarche. Il est recommandé d’en utiliser au moins 4 épaisseurs pour être à peu près à l’abri de l’accident fatal. Le plus proche et unique robinet est à 200 m de la cabine, fixé sur un fût métallique à l’entrée du galley, et son débit est d’une irritante parcimonie. Sachez-le.

Portraits :
J’en ai fait quelques uns, pour le plaisir de croquer. Mais certains, trop saignants, resteront enterrés dans la partie non expurgée du journal.

Recovery
C’est l’exercice qui consiste à aller récupérer la nacelle du ballon et l’ensemble expérimental - lequel constitue pratiquement toujours un gros investissement et représente plusieurs années de travail - après la terminaison du vol. Il a atterri quelque part sur le continent, en général pas trop loin de McMurdo (<~400km, mais parfois très loin dans la chaîne Antarctique...), et une équipe se rend sur place pour démonter et ramener le matériel à McMurdo. L'appareillage est partiellement désassemblé sur place, et enfourné dans un petit bimoteur (Twin-Otter) ou un plus gros bimoteur: un DC3 de l'époque héroïque, dit Bassler, délicieusement rétro, de l’USAP (United States Antarctic Program). Le travail requiert en général plusieurs rotations et s’étend sur plusieurs jours.
Exemples d’accidents : plusieurs expériences ont atterri à l’autre bout du continent. Une a été traînée pas le vent sur une centaine de km, à cause d’un double dysfonctionnement dans le système de décrochage du parachute d’atterrissage.

Skuas 
Labbe de McCormick (stercorarius maccormicki), espèce pélagique sauf en période de reproduction. Classification assez confuse. Plus ou moins hybridé avec les espèces voisines. Longueur ~55 cm, envergure 130-138 cm. Poids ~1 kg.
Régime: poissons, occasionnellement œufs de manchots. Omniprésent sur l'ile de Ross où Les bases scientifiques de McMurdo et Scott des sources de ressources alimentaires diverses, dont... pain au chocolat (cf texte). Redoutable opportuniste.

Soleil 
Omniprésent, on aime, ou pas. J’aime. Monseigneur l’astre solaire, comme je l’admire beaucoup, est gé-né-reux avec nous. A cette époque de l’année, à 6h le matin il est plein-Est au-dessus de la banquise d’où il colore joliment le flanc de l’Erebus. A midi il est à peu près à la verticale du volcan, assez haut dans le ciel, et plein nord, car notre latitude est telle (77.88°) qu’il se trouve au-delà du zénith. A 18h il est plein Ouest, en dessus des montagnes du continent, et à minuit, il est plein sud un peu à gauche et au-dessus de Mount Discovery. Son passage au-dessus de la chaîne de la Royal Society au cours duquel il pare certains soirs le dôme du glacier de Koettlitz de magnifiques dorures, d’un kitsch accompli, est particulièrement spectaculaire. C’est vers 22-23h.

Tripes
En bataille. Tout le temps. Infernal. La bouffe locale sans doute.

UMD: University of Maryland
Située à College Park, dans la grande banlieue de Washington. C’est l’université où Eun-Suk et son équipe exercent, et la base décisionnelle et logistique de l’expérience. C’est aussi là que l’instrument CHERCAM, détecteur Cherenkov, conçu et construit à Grenoble, est intégré au spectromètre.

Vortex Antarctique Processus atmosphérique assez complexe. Expliqué simplement, il s'agit d'une calotte atmosphérique dépressionnaire à haute altitude - entre 10 et 40km - de l'atmosphère polaire Antarctique qui circule approximativement circulairement dans le sens horaire autour du pôle sud - mais qui peut s'en écarter beaucoup et se déformer beaucoup. Le phénomène est exploité pendant les mois de l'été polaire pour faire voler des expériences scientifiques sur des ballons stratosphériques à très haute altitude (~35 à 40 km). Le phénomène est dû à la rotation de la terre et à l'écart de température entre pôle et équateur. Il existe évidemment en Arctique où il est aussi utilisé pour des études scientifiques.

Wallops
Wallops Flight Facility. Centre de la NASA spécialisé dans les ballons (+ militaires dans les combats en mer) en Virginie (Chincoteague). Joli coin. Ce centre assure le soutien logistique de l’expérience.

Williams (Willy) Field
Le site d’où sont lancés les ballons stratosphériques (dit aussi LDB, Long Duration Balloon). Il est situé sur la banquise, à l’est de la péninsule de Hut Point, elle-même appendice de l’île de Ross (cf carte). Les installations comprennent deux grands hangars d’assemblage des nacelles en préparation pour les lancements, et des locaux techniques (atelier, chaufferie, station météo) et le galley du LDB, une cantine-refuge sympathique. Il y a en général deux lancements programmés par saison. Il y en aura (peut-être) trois cette année.
C’est aussi l’emplacement de l’aérodrome d’été, d’où partent les rotations vers Christchurch et vers la station de South Pole, au pôle Sud.

Vendredi 7 décembre
Mon réveil-matin-téléphone m’arrache au sommeil, douloureusement, à 7h. J’ai du mal à m’extraire du lit. J’arrive au petit déjeuner après l’heure de fermeture légale – 7h30 – mais il reste plein de tout sur les présentoirs. Eun-Suk arrive juste derrière moi. Puis Jin-A un peu plus tard. Il fait grand beau, je leur propose la ballade Armitage ce matin car la météo est mauvaise pour l’après midi. Rendez-vous à 10h à leur porte. Je réveillerai Young-Soo avant.
Une fois cela fait après m’être préparé, j’ai le temps de voir ma messagerie, de répondre à Fred (carte postale maison à mes loupiots attachée vite fait), Yo, Laurent, en vitesse, (après un aller-retour en courant à la chambre où j’avais - encore - oublié mes lunettes, en grommelant et maudissant ma cervelle de piaf, puis d’enregistrer la ballade sur e-book avec les coordonnées de tout le monde, puis d’aller chercher le téléphone, et d’être à l’heure après avoir attrapé un café au vol en traversant le galley. Young-Soo arrive aussi. Les filles ne nous ont fait attendre qu’une vingtaine de minutes après que j’ai donné à Eun-Suk à sa demande des indications sur son équipement, ce qui me laisse le temps de farter mes skis. Vite fait car il restait du fart de la dernière sortie.

Ballade sans histoire. Le vent léger nous mordillait un peu le nez. J’ai joué à travailler mon pas alternatif et fait quelques va-et-vient d’attente autour de mes compagnons pour ne pas me refroidir. Tout le monde est de bonne humeur. J’ai un peu évacué ma fatigue. Eun-Suk semble apprécier l’exercice, une première pour elle. Elle n’était jamais sortie alors que c’est sa troisième campagne ici. Nous atteignons Scott Station à midi. Jin-A, qui bouffe comme un chancre, a grand’ faim. Nous allons prendre un café à la jolie cantine. Les gens sont à table (self-service). Jin-A voudrait manger. Je n’aime pas du tout l’idée de nous inviter sans permission et je le fais savoir. Mais il n’y a que les utilisateurs, pas de responsable en vue. Je dis que je n’ai pas faim, ce qui est assez vrai, et je propose aux filles de se servir un plateau, ce qu’elles font sans attendre. Young-Soo et moi allons nous faire un café (frais moulu). Mais il apparaît rapidement que lui aussi a la fringale. Il n’est pas venu à l’idée des filles qui ont bien mangé de lui prendre quelque chose. Bref, finalement j’accepte d’aller avec lui, et je prends une saucisse genre Strasbourg, un carré de fromage et un cracker sur une assiette à dessert.
Peu de temps après une dame gentille, grande et blonde, vient s’asseoir à coté de nous et après avoir vérifié que nous venons bien de McMurdo et pas de la banquise, nous fait savoir très courtoisement avec un joli british-like sourire, que pour prendre un repas ici il faut y avoir été invité. C’est exactement la situation que je voulais éviter. Je lui explique que les filles étaient affamées après la randonnée, et que nous sommes prêts à payer ce que nous avons consommé et que nous ne savions pas à qui nous adresser, ce qui est vrai. A quoi elle répond que ce n’est pas un problème d’argent, mais d’organisation. Ils sont peu nombreux et calculent le nombre de repas qu’ils doivent prévoir à chaque service. Donc si les skuas de McMurdo viennent leur bouffer leur frichti ils ne sont pas contents, et avec quelque raison (ça c’est ma conclusion). Par contre ils (les skuas) peuvent consommer ce qui reste quand il en reste. Mais il faut attendre la fin du service. Petits souliers et grande gêne.
Cerise sur cet amer gâteau, nous bavardons et elle nous demande ce que nous faisons à McM, à quoi je réponds quelque chose comme ‘Science, waiting for a balloon launch’. Et là, Eun-Suk assise à coté d’elle, me fait discrètement les gros yeux et un signe de dénégation puissant et retenu, comme si j’avais révélé un terrible secret. Elle m’expliquera ensuite que c’était pas la peine de lui donner une piste pour que l’histoire remonte aux officiels de la NSF qui semble-t-il n’aiment justement pas ce genre d’histoire (et qui n’auraient donc pas de mal à identifier la coupable, et à la punir, sans doute ? ). Comme c’est navrant et comme elle m’énerve avec ces conneries ! Je lui explique alors gentiment, et je sens mon humeur évoluer comme le temps en Antarctique, qu’elle savait ce qu’elle faisait et risquait en allant se servir chez des gens qui ne l’avaient pas invitée. Alors restons en là.

Les terreurs de l’administration de la NSF avaient déjà été mentionnées lors de l’histoire du skua (voir plus haut) quand j’avais dit que j’avais fait mine de l’écarter d'un coup de pied (kick him off). Arrrrrrgh ! Michel, never say this to the NSF people, you would get into serious troubles …, ou quelque chose comme ça. Il faut savoir que les skuas comme toute la faune Antarctique sont protégés, très protégés, et avec raison. J’ai ironisé mi-sérieux sur le fait que ce sale piaf m’attaquait et que la loi US devait reconnaître le droit à la légitime défense, et que j’allais donc en parler à mon avocat, provoquant quelques rires autour de la table. J’ai gardé secret, pour la plaidoirie au procès, le fait que je suis membre de la LPO depuis 3 bonnes décennies.
Je crois que je perds mon temps à essayer de faire son éducation à la joie de vivre. Elle me déprime trop. Une journée avec elle, sinistrose garantie.

18h – J’ai dormi un peu, bouquiné un peu, fait une grosse lessive, puis mon lit avec des draps propres, et rendu mes skis. Le ciel est couvert, le temps plutôt doux (~-5°), je suis en T-shirt, et la tempête attendue est ailleurs peut-être, mais pas ici, où il était prévu qu’elle serait, une fois de plus.

Les filles ont renoncé au yoga ce soir, et sont allées au ‘belly dancing’ (danse du ventre, hé oui !) après le dîner. J’ai décliné, YS aussi. Il paraît que c’est surtout de la méditation. On fait tourner un foulard. Donc ici c’est au yoga qu’on s’étire, et au belly dancing qu’on médite. C’est comme la pizza aux US, adaptée, et qui n’a de l’original que l’apparence, et le nom.
J’ai retrouvé Opher que les autres avaient dû inviter à venir jouer au ping-pong au lounge du 203c, où nous avions rendez-vous après leur séance. On a commencé ensemble en les attendant. Le jeu à tout de suite pris un caractère de compétition et Opher a rapidement voulu faire une partie où il m’a battu plus que nettement (21-10, je crois). Il joue très bien. Egal à lui-même, il a là aussi besoin de faire la démonstration de ce qu’il sait ou de ce qu’il sait faire, mieux que les autres. Et on ne s’est pas vraiment amusés. Même Eun-Suk, si raide par ailleurs, devient quelqu’un d’autre dans ce contexte. Elle rit, court, plaisante. Opher lui, démontre, doctement. Les autres sont arrivés ensuite, et Opher a alors joué avec (contre) Eun-Suk, puis Young-Soo, puis Jin-A, pédagogiquement pour les deux derniers. Il n’a pas lâché sa raquette pendant plus d’une heure. J’ai commencé à m’emmerder ferme, et ma tension artérielle à monté un peu, et j’ai dû lui demander de laisser les jeunes jouer un peu ensemble. L’ambiance joyeuse et ludique des soirées précédentes a enfin été restaurée quand il a fini par accepter, ce qu’il avait décliné une fois auparavant, de jouer à quatre. Comme on était cinq, j’ai fait l’arbitre. Là c’était bien. On a sifflé quelques bières que j’avais apportées. Mon arbitrage s’en est ressenti. Et la partie était bien drôle. Fin de soirée vers 22h.

Après le dîner Eun-Suk avait acheté un pack de bière pour Christopher, le gentil colosse de l’équipe Wallops qui s’est pété une cheville aujourd’hui en descendant l’escalier du bâtiment à Willy Field. Nous sommes passés le voir dans sa chambre pour lui porter. Jambe dans le plâtre.

Samedi 8 décembre
Réveil naturel à 6h30. Je suis seul ce matin dans la chambre. Steve est partie à l’aube. Leur vol a été retardé une seconde fois et le transport vers l’aérodrome n’a eu lieu finalement qu’à 6h. Le bâtiment s’est vidé d'une bonne moitié de ses occupants. Toute la collaboration ANDRILL (géologues) est rentrée à la maison.
Steve était un bon compagnon. Mais j’apprécie beaucoup de pouvoir ne plus m’habiller dans le noir, ni chercher mes affaires à la frontale, et enfin laisser entrer librement dans la chambre la lumière du jour, ainsi qu'utiliser l’unique prise ethernet qui marche (près de son lit). J’en profite donc.

Le ciel est gris, mais de tempête, point. Je ne commente plus les errements des prévisions météo. Pas un temps à lancer un ballon anyway. Le vent est assez fort mais pas trop froid en traversant le DJ (Derlict Junction, la place du village, arrêt des bus, plutôt terrain vague).
Matinée au Crary Lab. Trajectoire du ballon pilote toujours aussi folle. On en relance un lundi normalement.

La prière de La Tosca me trotte dans la calebasse depuis ce matin. Je me ferais bien une injection si la vidéo était dispo. Le kitsch de Zeffirelli me conviendrait.

Après-midi au Crary-Lab entre les programmes d’analyse que m’a envoyé Laurent et le chargement de photos sur le blog. J’ai des problèmes de compilation avec les programmes. Message à Laurent & Yo. En attendant les infos j’en profite pour examiner les prévisions météo pour l'Antarctique et l'évolution du vortex, puis marcher lentement pieds nus en rêvassant sur la plage du temps qui clapote, jusque vers 17h30 où je retourne à la chambre.

Peu après, coup de fil d’Eun-Suk. Elle et Jin-A sont passées me prendre à la biblal où je n’étais plus. Elles vont au ball-room-dancing (gymnase basket) et me proposent de les rejoindre. ça commence tout de suite, et on dîne après. Danser étant ma seconde nature, je ne refuse pas, et je me mets en route. Et je trouve en entrant dans le gymnase, un couple d’instructeurs, qui sont les répliques authentiques en beaucoup plus jeunes, des personnages du tableau de Grant Wood, American Gothic (cf http://www.artic.edu/artaccess/AA_Modern/pages/MOD_5.shtml, la prochaine fois je fais une photo), le fermier à l’air de pasteur, et son épouse, entre deux rangs de danseurs, les messieurs d’un coté, les dames de l’autre. Je me dis que ça sent la country danse. Eun-Suk m’a vu derrière le hublot vitré de la porte, et me fait de grands signes. J’entre et je réalise après une minute d’observation que chaque rangée s’exerce à appliquer un pas que je connais bien : celui du rock’n roll (version 2/2/2). C’est d’un cocasse accompli, le pasteur et la pastrice qui se mordent la langue au coin de la bouche pour montrer à leurs ouailles débutants comment on danse le rock. J’entre dans le rang et je fais comme tout le monde. Puis lorsque les deux rangs sont invités à fusionner en couples, je montre à Eun-Suk comment ça se danse. Elle en a perdu son chapeau. Et on a bien ri pendant presque une heure. En sortant je l’ai menacée de la cafter à Big Brother NSF : La P.I. de CREAM qui va se dévergonder à danser le rock dans un gymnase interlope avec des gugusses pas forcément recommandables. Elle m’a répliqué que je serais alors compromis aussi. D’ici qu’elle envoie une lettre de cachet à la commission 03 du CNRS. Mais là ils me connaissent...

A table, je sors la bouteille de cuvée spéciale Scott-Station-Antarctica achetée avant-hier à Scott Station (assemblage Cabernet-Merlot, dit l’étiquette, produit en NZ). Je garderai la bouteille vide pour l’étiquette. De loin le meilleur rouge qu’on ait bu ici, sans être vraiment un très bon vin.
Depuis qu’on est ici, j’ai dû acheter une dizaine de packs de bières et quatre ou cinq bouteilles de vin, que j’ai toujours partagés, et payé trois ou quatre tournées de scotch. Personne d’autre apparemment, n’a semblé penser qu’il serait bien de contribuer un peu à cette petite célébration de la convivialité. Cette pingrerie culturelle du pays des précieux $$ m’énerve un peu. Mais je peux faire avec. Finalement, c’est peu cher payer le plaisir convivial.
Soirée avortée. Pas de lounge disponible (Saturday night fever !) pour regarder la vidéo que Jin-A a sorti. Elle et YS passent m’annoncer la triste nouvelle à ma chambre. Donc j’y reste et je travaille un peu. Puis j’écris et je bouquine.

Dimanche 9 décembre
A 7h j’essaie d’appeler mes chéris qui vont aller voir le Père Noël descendre en rappel depuis le sommet du clocher de l’église de Longechenal. Le Père Noël grimpeur est aussi leur père - ce qu'ils ignorent - et mon fils donc. Hélas, c’est le répondeur qui me reçoit.
8h - Jogging jusqu’à Scott Station et retour par le sentier qui contourne Observation Hill en balcon sur la baie. Très joli parcours qu’on refera en ballade. Dommage que le ciel ait été couvert et le soleil voilé. Température sympa (-5°) et pas de vent, sauf à la fin. Une bonne heure au total.
Messagerie après la douche. Yo a trouvé la raison des plantages de la compilation du programme d'analyse sur ma machine. J'intègrerai les modifs proposées cette après-midi. Laurent verra avec l’expert labo pourquoi mon accès svn (gestionnaire de logiciels) ne marche pas. On avance.
Après deux tentatives infructueuses et un message substitutif, je finis par avoir Laurence - ma fille ainée - au téléphone. Trop chouette. McMurdo-Niamey, c’est pas une communication qu’on doit voir passer tous les jours. D’ailleurs les escrocs de AT&T me l’on fait savoir en m’appliquant le tarif appel-planète-Mars. Mais le bonheur de causer à sa grande fille quelques minutes a forcément un prix, qui aurait dû être bien plus élevé pour me faire renoncer. Six minutes de bonheur, c’est toujours ça de pris.

J’attends le brunch avec impatience, que j'ai fixé vers 11h30. J’en sors bien gavé. Œufs sur toasts et bacon, et fruits.

pressure ridge
Séracs du pressure ride sur fond d'Erebus coiffé de
son béret de nuage.
Ballade guidée l’après-midi le long de la faille genre rimaye dite "pressure ridge". La pression des mouvements de la banquise se traduit par une fracture qui longe la côte devant Scott Station et qui produit de beaux séracs sur un petit kilomètre de la plaine glacée. Les sculpture naturelles qui en résultent sont magnifique (voir les photos). Nous avons erré une petite heure dans ce milieu spectaculaire, et rencontré quelques phoques qui faisaient de la bronzette à la plage en somnolant paresseusement. Le vent était fort (50-60km/h) mais heureusement pas très froid. Comme j’étais le plus souvent sans gants pour les photos, je me suis payé une onglée féroce.
Le café au retour était bienvenu.
Le galley accueillait cette après-midi une foire artisanale locale. J’ai acheté un chouette bonnet de laine pour Elise, tricoté main à McMurdo, par Danielle.

Après le dîner nous avons vu le film que Jin-A avait sorti hier. D’après le titre - ‘The hitchhicker’s guide to the galaxy’ - j’anticipais de déserter la salle dans le premier quart d’heure. Je suis resté jusqu’au bout et j’ai ri de bon cœur à cette histoire désopilante, complètement déjantée, ficelée à la Monthy Python et bourrée de joyeux gags. Bonne surprise, même si ce n’est pas un grand film. Petite bière ensuite en téléphonant à Magali sur fond de ‘toccatas et inventions’ (Bach/Gould). Arno s’est ouvert la paupière sur un coin de table en faisant le fou hier soir. Aller-retour aux urgences après que son père-Père-Noêl fût descendu du ciel. Manière de retour sur terre. Traditions familiales obligent.

Le ciel est assez clair. Je vais faire sonner mon réveil à 2h15 pour aller faire le point de 3h du parcours d’Hélios dans son pré carré, si le ciel ne s’est pas couvert d’ici là.
2h15 Les conditions sont bonnes, mais je me dis que je n’ai rien fait hier et pas grand-chose avant-hier, et j’ai du travail, et cet exercice nocturne va forcément me mettre un peu sur le flanc ce matin. Donc, renvoyé à plus tard. Retour au lit.

Lundi 10 décembre
7h – Allons-y. Eun-Suk au petit dej’ m’entretient d’un projet spatial genre EUSO qu’elle mijote avec de gens de Goddard et dans lequel elle propose que nous prenions du service. Je ne dis pas non, mais je dégage en touche. La balle sera dans le camp des jeunes.

Pas de problème pour intégrer les modifs de programme. Tout tourne. J’envoie des commentaires au labo sur ce que je vois sur les fichiers de données muons analysés.
Et puis il faut se préoccuper de ce qui va se passer en janvier.

Au dîner Eun-Suk m’annonce qu’elle a fait suivre un message de NSF qui déplore qu’un membre de l’équipe ait dérogé au règlement et perturbé la vie locale (!). Renseignements pris auprès de la personne en question (Terri), elle a oublié avec son groupe de signaler son retour de Castle Rock, et de rendre son radio-téléphone, ce qui a donc déclenché l’alerte rouge, et l’ire des pompiers qui lui ont collé un rapport à la NSF.
Le coté policier redoutable de la NSF n'est pas une légende: Un type qui s'était introduit complètement beurré dans la chambre de 2 filles s'est retrouvé banni à vie de MacMurdo, je suppose au terme d'une procédure de justice administrative.

Après le dîner je me suis esquivé discrètement pour échapper à un arrosage de l'équipe UMD. Mais Young-Soo est venu me chercher et je n'ai pas osé refuser. Il nous a généreusement permis d’être en avance. Une heure et demie de mortel ennui dans un couloir, à attendre que ça se passe. Insupportable. Je m’échappe finalement au bord du collapsus, sur un vil prétexte.

S’il fait beau j’irai faire le point de 3h cette nuit. …..
Mais impossible de dormir avec toute la rogne que j’ai accumulée contre ce rituel de malheur qui m’a cloué presque deux heures dans un couloir à me ronger les ongles. A minuit et demi, je bouquine encore en ruminant. Donc pas de sortie nocturne en prime à la délicieuse soirée. Le sommeil finit par l’emporter sur la rage. Unhappy end of day.

Mardi 11 décembre
Delta à 7h30 – Journée au LDB.
La météo ne permet pas d’envisager un lancement avant jeudi. Je transmets les données à Grenoble pour information – cartes de pression à haute (vortex) et basse (vents) altitude.
Sortie du détecteur, re-tests, re-froidure. On tourne un peu en rond.
Retour à 16h.
Sabine m’a collé un message sympa avec des nouvelles des plantes de mon bureau, dont elle assure l’arrosage. J’imagine fleuris mon schlumbergera et sa profusion de fleurs roses-mauves, ma crassula et ses belles étoiles blanches, mes eoniums et leurs jolies hampes jaune vif...

18h - Visite guidée de Hut Point, la 1ère cabane de Scott, construite en 1902. Comme dans celle de Cape Evans, construite plus tard, tout est resté en place. Impressionnant. Les restes d’un phoque sans doute utilisé pour la viande, sont toujours là (photo), les réserves de cacao aussi. La vieille couverture, le poêle, la fosse - radiateur de briques que l’on garnissait sans doute de braises (photo).

Petit choc avec un message de Laurent.
Ce soir, méchant coup de blues. Même Sonny Terry & Brownee McGhee n’en viennent pas à bout. Le blues ne tue pas le blues. E.T. phone home.

Mercredi 12 décembre
Matin radieux, absolument. Je suis grincheux et sinistre, et un peu sinistré.
Terra Bus et LDB.
Message de Magali : Laurence est à l’hosto à Niamey avec ce qu’on pense être un méchant palu. Ça m’achève bien. Elle s'occupe des centres d'alphabétisation dans un secteur géographique de l'Est du Niger pour une ONG catho. Elle aurait attrapé ce palu dans un dortoir où les curés de son bout du monde, qui l’hébergeaient à Doutchi l’avaient confinée sans moustiquaire, comptant probablement sur la protection de Dieu. Comme cela arrive parfois ils ont été déçus. Les gens de cette mission catholique l’ont traitée une fois de ‘face pâle’. Tous les enfoirés ne sont pas blancs vous aurait dit Coluche. Ma fille en a même rencontré des tout noirs. Ils la détestent. Elle les hait. Longue histoire.
J’essaie de faire quelque chose. Errance incertaine dans les digits de mon laptop. Meublons la vacuité. Messagerie bof. Calme plat. Plat pays, qui n’est pas le mien. Et puis ici c’est le vent du sud et y a pas de vagues à caresser, ou si peu.

Quand l’ambiance intérieure de hangar à bestiaux me pèse trop, je sors me faire une infusion de clarté extérieure, éthérée, aquatique, céruléenne, en dessous du volcan qui fume son calumet de la sérénité polaire, immuable et séculaire tranquillité. Ça aide. En revenant d’une navette café au galley , j’ai rencontré Ganel, la dame qui nettoie tout, et surtout les toilettes, à l’extérieur, avec son balai et sa pelle à neige. Elle est ravie que je lui ai envoyé trois photos d’elle posant devant l’instrument le jour du ‘hang test’, et me remercie chaleureusement. Ça aide aussi.
Tout m’emmerde. Je vais mettre des photos de Cape Evans sur le blog, histoire de faire quelque chose d’inutile pour le plaisir.
Soudain j’ai une idée géniale : l’oisiveté comme disait Brassens, ça peut rendre moins con. Attraper France-Cul sur le web, et les infos du soir. En 10 secondes c’est fait. Je vais pouvoir écouter la chronique de ce gros enfoiré d’Adler et faire plein d’adrénaline, et celle de Slama que je supporte à peine mieux, et de Duhamel qui me console des précédents, et les chouettes portraits de ce vieux soixante-huitard de Marc Kravetz. Coté horaires, ça va être plus dur pour l’Esprit Public de Ph. Meyer dimanche matin, un peu tard. Mais voilà un bout d’ombilic qui arrive à point nommé pour m’aider à durer. 10h ici 22h là-bas, les infos, comme si on y était. Evidemment ce qu'on entend donne un peu envie de devenir manchot et de rester ici - d’ailleurs je pense qu’il y en a qui ne s’en privent pas - quand on renoue avec les bonnes vieilles nouvelles de chez nous (carnage à Alger, Naboléon le Minuscule - sarcopithecus inelegans - fait la parade nuptiale du grèbe huppé devant Khadafi) mais j’ai signé pour un long bail qui doit aller à son terme. Il va falloir bientôt retourner faire le citoyen. Entraînons-nous.

Après-midi porte ouvertes au LDB. Fraîche ambiance, sortie de l’instrument et tests, encore. Profitez-en. Le bel oiseau blanc tend ses ailes noires au soleil pour y puiser l’énergie de communiquer avec l’homo scientificus qui l’a engendré.
Je me gèle. J’écoute les derniers quatuors (16 et 11) de Ludwig Van par les Vegh, histoire de m’éclairer un peu l’intérieur. Solaire incandescence.

15h - Tour dehors. Il fait incroyablement beau. Pas un nuage. Lumière aveuglante. Pour la première fois depuis que je suis ici, je sens la chaleur du soleil, …mais je supporte quand même bien la parka grands froids.
J’en profite pour aller faire une petite station rêverie (et photos, encore) face à l’Erebus. Imaginez cette vision qui englobe la plaine de glace immense qui s’étend devant vous, là, jusqu’au pied du volcan. La ligne de crête au loin s’étire sur tout votre champ de vision. Elle court depuis la dent noire de Castle Rock à gauche, d’abord presque horizontale le long de la péninsule, puis elle s’élève au sommet du volcan, se coiffe de sa fumerole, et redescend symétriquement pour parcourir de la même manière le sommet du mont Terra Nova moins élevé pour remonter ensuite au sommet du mont Terror et aller finalement s’abîmer à l’extrémité est de l’île, sur la banquise. Les flancs des sommets sont ourlés de zones de séracs et de crevasses dont les contours dessinent des ombres d’une savante subtilité. Le blanc des glaciers est teinté des reflets bleutés du ciel qui les couronne, d’un bleu pâle et cristallin d’aigue marine. Rien d’autres devant vous que cette sonate en bleu majeur. On a envie de se prosterner devant tant de divine harmonie (Magali en serait folle). Il m’a fallu longtemps pour m’arracher à cette fascination.
Le reflet bleuté de l’Erébus n’est pas une image littéraire. Il s’observe très bien depuis Scott Base par exemple, où le premier plan des pentes sous Castle Rock à gauche, exposées plein est, se superpose visuellement aux pentes sud du volcan, situées à droite dans le champ visuel. Le contraste est frappant entre le premier plan d’un blanc brillant sans nuance particulière et le second plan avec sa composante bleue.

Liaison internet calamiteuse toute la journée. Rien pu faire (menteur), à part mon CRAC (compte rendu annuel d'activité) au CNRS. Le dernier.

Eun-Suk m’annonce que BESS nous lance un défi au ping-pong. Tous japonais dans BESS. Banzaï, on va se faire massacrer, mais nous distraira. Elle m’annonce aussi en chuchotant - chuuuut -, qu’ils ne savent pas où est la table de ping-pong, hé hé. Inimitable ESS !

Je n’ai rien fichu de la journée, et j’en suis très content. D’ailleurs je serai en retraite dans un mois, et glander ne sera plus, ni une carence de productivité injustifiable, ni un délit, ni contraire à la morale, ni même une infraction au code de la bonne conduite ouvrière, mais un droit, entier, imprescriptible, voire un devoir, au quotidien. Bon, pas ma tasse de thé. On va transiter sans transiger avec l’ère antérieure. Pas la récré tout le temps. On va le tuer, le temps, à la bêche, au sécateur, au marteau (pas comme Imamura), à la perceuse, à la truelle, à la souris et au clavier, au guidon, au volant, au manche à balai (retrouvé), à la plume aussi, à St Jean, à Nantoin, à Ars, à Waza et ailleurs, avec les assos aussi. Bon, tout sauf la zapette tv. C'est pour bientôt, à peine le temps d'y penser.
Retour de WF à 16h. Demain on reste au village.
C’était un jour à lancer un ballon, là en bas. C’est en haut que les conditions n’étaient pas remplies m’a-t-on dit. Rien avant dimanche.

Ce soir, entraînement ping-pong en vue de l’affrontement entre le pays du soleil levant et celui du matin clair (avec un mercenaire européen). Vieux ennemis. Les japonais ont occupé la Corée très longtemps. Lorsqu’il nous a fait visiter le palais impérial à Séoul, Shinwoo (physicien d’Ewah U.) nous a dit que les japonais pendant les années d’occupation l’avait transformé en, devinez-quoi !, en zoo. Vrai. Fallait y penser, hein, comme suprême humiliation d’un peuple et de sa culture. Imaginez Versailles transformé en zoo par la Wermacht, avec des singes dans la grande galerie. Extra, non ? C’est vrai que la cuisine japonaise est d’un raffinement sans égal. J’adore. Les raquettes seront en bois heureusement.
Bonne morue à la cantine, comme assez souvent. Le reste assez berk.
Pas d’entraînement ping-pong ce soir. Un rat a piqué les balles au lounge 203c. On se rabat sur une partie de billard à coté. Je me défile avant 21h, morose.
J’ai bien bavoché aujourd’hui. S’enquiquiner fait causer. C’est quand même mieux que picoler.

Jeudi 13 décembre
Jour de vacances. Réveillé à 5h, rendormi à 6, à la douche à 7. Beau temps, moins cristallin qu’hier. A 9h, Je prends la navette pour Scott Station où je poste les enveloppes commémoratives NZ de la conquête de l’Antarctique pré-timbrées. Ça devrait faire quelques heureux. Retour à pieds, nonchalant. Puis bulle, sur blog et ailleurs.
Je colle un message à Terri. J’ai envie de tester mes skis patinettes.
11h30 – Saut au sommet d’Observatory Hill pour le soleil de midi. Il me reste le point de 3h du mat’ à faire et celui de 15h.
Après le déjeuner, sieste dont j’ai du mal à m’extraire, puis navette vers Willy Field avec Terri et ses potes, et retour à skis. J’ai un peu du mal au début à trouver le bon équilibre dynamique. Sur ces skis courts et étroits l’assiette est peu stable et il faut bien lisser l’enchaînement des mouvements pour que ça devienne presque confortable par moment et pas trop fatiguant. Finalement ça ne marche pas trop mal. Qu’est-ce que ça va vite quand on a trouvé le bon rythme. En chemise et sans gants. C’est l’été patinette.
La neige près de Scott base se transforme doucement. Neige de printemps bientôt !

Soirée ping & pong. Amusante. J’ai trouvé des balles.

Vendredi 14 décembre
Encore pas d’expédition nocturne au sommet d’Obs-Hill. J’attends le retour de mon moral offensif.
Encore une insomnie du petit matin. Gamberge cotonneuse sous la couette, plutôt chouette. Positivons. Réveil à 8h30 finalement. Une première depuis que je suis ici. Je retrouve Eun-Suk par hasard au petit dej’. Elle va aux nouvelles au LDB. Patience dans l’Azur disait Valéry (avant Reeves). Il est clair que je ne rentrerai pas avant le 23 décembre, date de réservation de mon billet de retour depuis Christchurch. Je prendrai sans doute le vol du 20 au plus tard, de McMurdo à Christchurch. Si le ballon n’est pas parti, Yo sera là pour la relève. Ce veinard va avoir droit à la foule des manchots et des phoques du plein été. Comme je suis mortellement jaloux ! Complément sur ce thème plus tard quand l’info pourra être divulguée.

Fournée de photos de mes loupiots dans les messages de ce matin. Trop chouette. Arno imite le monstre de l’Antarctique que je leur ai envoyé il y a deux semaines. Pas assez monstrueux. Je lui ferai une formation accélérée.

Alain m’a collé un commentaire à propos de la radio web. Oui, je pourrais podcaster. J’ai podcasté quelques trucs auparavant, dont une discussion passionnante entre H.Védrine et Th. Delpech (chez Finkelkraut), il y a quelque mois, que je ne l’ai pas réécoutée en entier comme je me l’étais promis. Mon problème est que cette mayonnaise ombilicale n’a pas bien pris. Tout arrive ici depuis le monde extérieur tellement atténué, et l’univers local est si différent du ‘réel distant', à la fois physiquement et par son mode de fonctionnement, que je n’arrive pas à m’intéresser à autre chose qu’à l’environnement immédiat et au futur proche local. En y réfléchissant, ce monde clos induit quelque chose de l’ordre de la régression. Le milieu ambiant a un coté tellement protecteur, quasi utérin, qu’on s’y complait insensiblement. Et puis le bleuté de l’Erébus est un bon substitut de liquide amniotique. Je veux partir, mais je veux rester. Renaissance quoi.
Bienvenu chez les (nouveaux) blogueurs Alain. Loin le temps où l’on blaguait sur le pas de sa porte. Maintenant on blague sur blog, ce qui n’autorise pas à trop de divagations.

Dehors c’est le printemps, l’air est tiède, un joli ruisseau s’est formé en haut du village, qui écoule les eaux de fonte que produisent les pentes environnantes, et s’en va vers la mer. Evidemment ce n’est pas la Clarée, tout comme rien ici ne peut faire oublier le sentiment merveilleux qu’on éprouve dans la montée solitaire au petit matin dans les mélèzes, dans l’air encore glacé de la nuit et scintillant dans le premier soleil, accompagné par le concert des mésanges qui chantent dans les branches le sacre du printemps, rythmé par le seul léger crissement des skis qui s’enfoncent la neige, vers le col du Chardonnet. Ce bonheur là, si facilement accessible évidemment, n’a pas d’équivalent, même dans cet extraordinaire bout du monde. Pas la Clarée donc, mais une ornementation bienvenue du tableau local plutôt tristounet, qui en a bien besoin.

Après midi paisible au Crary Lab. Lecture et correction du manuscrit de Yo pour la conf RICH2007. Partie de photoshop sur les photos Pentax du Ridge, toutes sous-exposées d’un bon diaphragme (oubiié de vérifier, habituel pourtant sur neige).
Résultats du briefing météo et 'launch readiness review' aujourd'hui: pas de lancement avant lundi au plus tôt. L'échéance recule d'un jour tous les jours. J'ai un billet d'avion pour le 23 et je vais repartir d'ici sur Christchurch par le vol du 21 (à vérifier) au plus tard. Donc si on ne lance pas entre le 17 et le 20, c'est Yo qui s'y collera. Il arrive le 20. Angoisse.

Les filles m’ont proposé ce soir d’aller chanter au ‘choir’ (chœur) avec elles. Programme : Christmas Carols. Comme j'aime bien les chants de Noël anglais, j'y suis allé. La chouette surprise. Tous les ‘carols’ qu’on a découverts (moi en tous cas, Magali les connaissait pour la plupart) à Londres aux concerts de St James Church quand on allait voir Elise, et qu’on écoute en boucle tous les ans pendant la période de Noël, sont au programme, et j’ai un vrai, vrai plaisir à les chanter. J’en sors ravi. J’ai emprunté les partitions pour les pomper.

Samedi 15 décembre
J’ai regardé Mondovino jusqu’à une heure du matin. L’ogre Mondavi s’est acheté la Toscane et sa noblesse à défaut d’avoir pu s’offrir le Languedoc et ses vignerons durs à cuire. Il aimerait vendre du bon vin un jour aux martiens, dernier et sidéral et sidérant propos du film. Rêvons.
Dur réveil à 6h30. Je dois aller skier avec Terri. Irai-je ?
Je glisse une oreille sur France-infos. Difficultés de circulation sur le périph, et aussi à Grenoble. Boutin va reloger les sans-logis, dans un an. Soit. GWB climatiquement égal à lui-même. Surprise.

Décision. J’appelle Terri. D’accord dit-elle, mais pour 10h15. Je m'occupe des sandwichs dit-elle - "Peanut butter and jelly, ça te va ?" - "Whaaaat ?! you wanna kill me, I am human being. Please, ham sandwich, with bread and butter. " Elle rit. J’enregistre la ballade sur eBook. Je frappe à sa porte à l’heure. Son nounours est sur son oreiller (photo). Ça me rappelle Elise. Je dois passer prendre la radio chez les pompiers et on se retrouve au galley du village. Je fonce pour avoir le temps de prendre un café avant qu’elle n’arrive. J’aurais pu en prendre plusieurs. Terri est du même bois que Flo : même quand on anticipe sur son retard traditionnel, elle vous fait quand même attendre une demi-heure. Inné ou acquis ? Evolution ou culture ? allez savoir.
Donc après que je l’eusse attendue une petite demi-heure, nous partons, finalement sans les sandwichs. Chance, un gars nous transporte sur les 2km de piste avant d’attaquer la partie enneigée. La dame des pompiers m’avait dit : ‘it’s gonna be windy’. Ça soufflait déjà bien. Vent dans le dos jusqu’à Castle Rock. La neige est irrégulière et j’ai un équilibre précaire sur ces skis étroits et courts. La petite Terri (grande et athlétique en fait) qui a skié tous les jours depuis trois semaines, Terri qui tombait souvent et que j’attendais gentiment sur ‘Armitage trail’, avec une pointe de condescendance intérieure, Terri me laisse littéralement sur place. Vent dans le dos jusqu’à Castle Rock, puis descente sur la banquise après une poignée de cacahuètes. En descendant la partie raide à pieds nous chantons les chants de Noël travaillés la veille. Imaginez vous, chantant un cantique de Noël ‘A capella’ dans le vent sous l’Erébus. Impression délicieuse, et très étrange. Ensuite vent de face vigoureux, pas trop froid heureusement, sur la branche de la boucle qui revient à Scott Base, bon 40-50km/h. Là j’en bave des ronds de chapeau, et je dois passer en pas alternatif, mal assuré sur ces maudites patinettes - je suis comme un pingouin en patins à roulettes - et j’ai bien du mal à avancer, et Terri caracole en patinant loin devant moi. Petite amertume, fataliste. Tu vieillis mon gars, et les décennies pèsent lourd. Je suis très, très content d’arriver. Café à Scott Base. La navette qu’on devait prendre pour revenir sur le village vient juste de passer. Retour à pieds donc. Les quelques véhicules (lourds) qui passent, nous arrosent copieusement de poussière, merci. Ici l’hiver est neigeux, le printemps boueux, et l’été poussiéreux, et pas qu’un peu. La douche, le sandwich, la bière, et la sieste, dans cet ordre, sont tellement bienvenus.

Lessive ensuite. Puis à 18h ball-room dance où j’ai été convoqué par les filles. Les gentils animateurs tout droit sortis d’American Gothic sont toujours là, toujours aussi appliqués. Et on s’amuse comme la fois précédente. Jeanne, la fille très sympa qui nous encadrait pour la visite sur le ‘pressure ridge’ vient me demander de la faire danser. Demande à laquelle j’accède avec l’empressement de chez nous. Eun-Suk n’a pas perdu son chapeau cette fois (elle et Jin-A progressent bien), mais j’ai cassé mes lunettes (à 10$, j’en consomme une paire par trimestre en moyenne).
Mauvaise surprise : Comme il y a la women soiree ce soir au galley, la cantine ne sert plus après 19h, heure à laquelle nous y sommes. Et comme j’ai sauté le repas de midi sur mes skis, la perspective de compléter le sandwich avec des corn-flakes ne m’enchante guère. Mais soit. Nous nous retrouvons dans un lounge du 155 avec notre bol de céréales et notre café. Maigre.
Entraînement ping-pong ensuite. Intensif. J’ai apporté la bouteille de Glennfidich histoire de nous donner du cœur à l’ouvrage. Jin-A a disparu du coté de l’atelier de céramique. Young-Soo a fait des progrès exceptionnels. Il s’est décidé à smatcher. Il le fait très bien et il y a pris goût. J’ai réussi à battre Opher une fois sur deux parties. Il a battu Eun-Suk deux fois, qui l’avait écrasé l’autre soir, littéralement déchaînée. Demain bataille décisive après le ‘souper’ (en anglais dans le texte) de 16h - barbecue en fait - contre l’empire du soleil levant (les gars de BESS). Sans le scotch, mais après le vin, et la bière.
Après ça j’ai faim, et on va grignoter un peu au galley. J’en profite pour soulever une question technique et diplomatique sur l’analyse des données. Mais Mark - responsable sécurité du village, très disert, époux d’une coréenne, parlant le coréen, et qui organise le souper/barbecue de demain après-midi - débarque et détourne la discussion. On bavarde un moment et on rentre. J’ai faim et je rêve d’un steak.
Je blogue tard ensuite (0h30), avec une bière et des cacahuètes.

Dimanche 16 décembre
5h15, déclic. Morphée m’éjecte. Beuh, comme il est trop tôt.
A 6h30 je sors des draps. Petites courbatures aux pectoraux bien sollicités hier. Messagerie, en partie diplomatique (classified), puis rédaction blog.
Terrible fringale. Encore 3h avant le brunch du dimanche. Je vais défaillir avant. Suspense.

Le ballon pilote fait du surplace autour de l’isobare 3 mb. Yo est en route pour la glace. Sasha, notre gentil collaborateur russe à la carrure de docker, qui devait diriger l’équipe du ‘recovery’ (récupération de l’instrument après l’atTerrissage) comme les années précédentes ne viendra pas finalement, c'est officiel. Il n’a pas pu avoir sa qualification médicale. Il n’est pas PQed (cf dictionnaire). La situation était connue et discutée ici depuis l’arrivée d’Eun-Suk. Mais s’agissant d’un problème médical, qui attendait une confirmation, la discrétion était de mise. Eun-Suk m’a courtisé pas mal pour que je reste, ce qui était exclu, ou que je revienne. C’était bien tentant mais pas réaliste, car pour janvier, mon dernier mois d’activité, j’avais déjà des engagements difficilement modifiables. Elle est revenue à la charge plusieurs fois. Dommage. L’idée du chantier dans l’arrière-pays Antarctique, des navettes en Twin-Otter et de la foule estivale des manchots et des phoques à la plage sur la banquise me plaisait beaucoup. L’année prochaine peut-être si nous volons à nouveau, ou plus tard, dans une autre vie sinon. Terri va rester, veinarde. Peut-être un autre membre de la collaboration viendra-t-il aussi.
Je me recouche pour bouquiner et je dors un moment. 9h, douche rapide.

10h, je suis sur le point de courir au brunch quand, boum, la nouvelle tombe. Young-Soo est au briefing météo. Fenêtre de lancement praticable demain matin à 7h. Branle-bas dans les têtes, dans les cœurs, et dans les chambrées. Tout le monde sur le pont dès ce soir à 21h30 au LDB.
Pour ceux que ça intéresse, j’essaierai de tenir le blog à jour disons d’heure en heure, à partir de 22h heure locale (10h du matin heure française), si c’est possible car nous serons beaucoup dehors je pense, et bien occupés quand nous serons dedans.

Il faut oublier tout le reste – facile – et prévoir de dormir un peu avant, facile aussi jusqu’à 30 minutes pour moi. Je me suis pris une assiette de bouffe au brunch que j’ai mise au frigo. Il y aura du café. Mark propose de transporter son barbecue là-bas. Pas trop de circonstance, mais ça a l’air de lui faire plaisir et personne n’a objecté.
Le compte à rebours pour la nuit la plus longue commence.

Il fait beau aujourd’hui. Le grand soleil et la petite brise permettent de traverser DJ en T-shirt (plus gilet-doudoune sans manche) sans être frigorifié.
Passage au Crary Lab pour manipulation de photos, puis montée rapide au sommet d’Observation Hill pour le point de 15h de la trajectoire du soleil.
Ensuite sieste d’une bonne heure. Bonne surprise.
Dîner tous ensemble.
A 21h tout le monde, équipes scientifiques et techniques, 25 personnes environ, est dans le Terra Bus en route pour le LDB.
La webcam du LDB pour ceux qui sont loin: http://www.nsbf.nasa.gov/antarctica/ice0708.htm
23h50 - Actuellement le vent a un peu forci mais pas de manière préoccupante (13 noeuds pour 10 tolérables théoriquement) et la préparation suit son cours.

Lundi 17 décembre
2h - Le vent est capricieux depuis plusieurs heures. Quelques gros nuages passent qui cachent le soleil et limitent la puissance électrique des panneaux solaires. Mais jusque-là ça va coté météo. Les tests instrumentaux sont en cours et sont bons. Chercam se comporte bien. Reste à faire le run muons (particules cosmiques secondaires - électrons lourds - les plus nombreuses au niveau du sol).
3h30 - Un gros nuage passe devant le soleil au moment où je veux aller faire le point photo de 3h30. Le vent est passé à 16 noeuds depuis un moment. Pas encore sérieux, il n'a fait que monter et descendre et tourner depuis le début de la soirée. C'est l'Antarctique.

Au cours du séjour j’ai profité des creux d'activité pour aller faire des photos au même endroit qui montreront la trajectoire du soleil et couvert les 24h avec une photo toutes les trois heures. Grosses parties de photoshop en perspective en rentrant. J’irai voir Christian pour m’aider.
4h - Hélas, le soleil est revenu mais le vent en altitude s'est renforcé et il a fermé la fenêtre de lancement. Décision du responsable technique de la campagne. La nuit la plus longue a été presque courte. Plus qu'à attendre la prochaine ouverture.
Il faut maintenant inverser la procédure, arrêter les tests et l'instrument, le ramener et le rentrer. Ça va prendre un moment avant qu'on aille se coucher.
On est tous un peu sonnés par la décision. Le temps en bas n’avait pas l’air de jouer contre nous. Mais voilà. Rien à faire, qu’à tout plier et à se préparer à recommencer.

Toutes les phases de restauration du statu-quo ante semblent infiniment longues. J’ai transféré les fichiers tests à Grenoble où Laurent qui est à UMD maintenant pourra les récupérer. Finalement, le petit déjeuner au galley sera à 6h15 et le retour au village à 6h45. A l’heure dite on remballe nos affaires, on petit-déjeune du bout des lèvres. J’essaie mentalement de ne pas m’énoncer la suite, dont j’appréhende l’issue évidente. En prime, le Terra Bus nous fait attendre un gros quart d’heure supplémentaire. Je somnole un peu pendant le transport et finalement je suis au lit vers 8h, frileux, les pieds gelés et un peu long à trouver le sommeil à cause de la fatigue.

Réveil bien difficile vers 10h30. l’amertume du vol reporté, qui m’attendait au coin des draps, ressemble furieusement au poids de la défaite. Eole en cet accès d’iniquité nous a refusé la montée au ciel. En bon mécréant je ne suis pas surpris. Mais cette fatalité m’accable plus qu’un peu. Résumons : Le vol ne pourra pas avoir lieu demain mardi pour des raisons techniques. S’il n’a pas lieu mercredi, c’est fichu pour moi, puisque je dois partir par le vol de jeudi pour Christchurch, seul vol de la semaine, et être là-bas pour rentrer sur Paris dimanche. Yoann arrivant jeudi par l’avion que je vais prendre pour partir, je n’ai pas de raison de rester puisque la relève est assurée. Je n’en ai pas vraiment envie non plus. Donc pour moi, c’est mercredi ou jamais. La locomotive de la fatalité est en marche, et je suis sur les rails. Un peu dur à déglutir la perspective de devoir partir avant le lancement. Mais je m’en remettrai, forcément. Pas facile de déborder d’optimisme quand on est à sec de sommeil. Moral d’enfer, littéralement. Bon, portons la lorgnette ailleurs, vers la vraie vie. Une troisième loupiote va nous tomber du ciel, je veux dire du sein de sa jolie maman, ma grande fille, début janvier. Mes deux loupiots sont à l’écoute, au quotidien, qui attendent les histoires que je vais leur raconter en rentrant. Je leur ficellerai des petits contes de pingouins, de phoques et de skuas. Arno a explosé de rire à l’histoire du skua qui m’avait piqué mon bonnet. Il a un rire merveilleux. Dans trois semaine je n’aurai rien oublié, mais tout digéré et CREAM flottera là haut à la pêche au petits messagers galactiques. Voilà, la messe est quasi dite. Mais on peut encore espérer un miracle. Je vais me secouer la cervelle mitée sous la douche. Petit soulagement. J’aimerais y rester longtemps. Mais l’eau est ici un bien encore plus précieux qu’ailleurs. Sobriété minimaliste donc. J’ai faim. C’est le bazar dans la piaule comme dans la tête. Essayons de remédier à tout ça. Huitième carte postale à mes délicieux petits-enfants en passant devant la boîte. Déjeuner en vitesse. Chowder et morue au four frites, pas pire. J’en reviens un peu soulagé, d’avoir rencontré des gens normaux, souriants, pour qui les histoires de ballons sont toujours drôles. Ça aide un peu. Et puis la jolie blonde qui sert au magasin et qui voulait que je lui donne des cours de français, est venue me dire qu’elle avait un cadeau pour moi : une bouteille de Laphroaig, un de mes deux ou trois scotchs préférés avec Balvenie et Talisker, magnifiquement fumé sur la tourbe écossaise. Je lui avais dit l’autre jour que j’étais furax parce qu’ils venaient en mettre en rayon alors que j’avais à peine entamé la bouteille de Glenfiddich que j’avais achetée, un peu à reculons. Elle en a récupéré gratuitement dans une procédure commerciale qu’elle m’a expliquée rapidement et à laquelle je n’ai rien compris. Il faut que je passe la voir, au magasin évidemment. Parade nuptiale ? C’est la sterne ou le grèbe mâle qui apporte le petit poisson normalement. J’espère qu’il ne va pas falloir que je m’accroche à ma chasteté. Je ne me sens pas le courage de résister à une épreuve supplémentaire. Et si quelqu’un monte au cieux, mieux que moi j’y paie des prunes, Y a cent sept ans qui dit mieux, Qu’j’ai pas vu lune Chantait le poëte en célébrant son chêne et son épouse délaissée, et qui se moquait des ballons, pourtant ses compagnons d’ascension. Magali, j’ai perdu mes billes. Je rentre Silence radio total coté labo, sauf Aurel qui se manifeste un peu. Bon. Je vais faire la sieste. 16h – Hélas, de sieste il ne fût point, que de la veille atténuée que de vains efforts ne purent engloutir. Veillons donc, en griffonnant sur le clavier. Un bonheur n’arrive jamais seul : message du bureau du logement qui m’annonce que j’aurai un compagnon de chambrée demain soir. Fini la belle vie. Il est bien temps de partir. Chants de Noël à la chorale à nouveau ce soir. Toujours aussi agréable. Puis bout de soirée ping-pong. Mark nous amène un invité, John, grand quadra sympathique de Denver qui sort sa raquette personnelle de son étui et nous donne une belle leçon de ping-pong. Que croyez vous que fit alors Eun-Suk ? Elle lui a proposé tout de suite, gourmande, de prendre du service dans l'équipe CREAM pour le tournoi contre BESS. Inénarrable. Je lui ai proposé d’appeler Zidane.
Mes deux heures de sommeil de ce matin n'ont pas suffit à me redonner vie. Je m'esquive après avoir passé ma raquette à Young-Soo qui vient d'arriver. Je force un peu sur le scotch ensuite - on est en dessous du volcan ! - pendant une partie de cartes postales et une réservation TGV Roissy-Grenoble pour le 24.

Mardi 18 décembre
4h30 - Pas un chant d'oiseau. Les merles tapageurs de mon jardin me manquent. Les étoiles et les nuits du pays aussi. Plutôt que de tourner en rond dans les draps, à 5h je regarde la messagerie et je communique avec Laurent et Antje qui sont au boulot à UMD et Alice qui nous a réservé des chambres à College-Park pour la réunion de collaboration de janvier. 6h30 - J'ai grand faim. Vent mordant sur la place. Petit déjeuner costaud. Je me mets en tenue légère, je bouquine un moment, et je m’endors. Réveil à 10h requinqué. Je veux télécharger les dernières photos du Pentax : alerte virus ! VirusScan l’a éliminé (trojan). Mais impossible d’accéder à la carte. Comment ai-je pu récupérer un virus sur une carte mémoire neuve, qui n’a pas encore été lue ? Je l’ai installée avant-hier. Seule option qui me semble possible, c’est la carte précédente qui l’a récupéré sur le lecteur de cartes mémoires du Crary Lab que j’ai utilisé à défaut du câble que j’avais égaré, et qui a contaminé le soft de l’appareil. Mais je n’ai pas eu de problème avec la carte précédente que j’ai relue je crois, après cette opération. Bref. J’irai au Crary Lab après déjeuner pour essayer de la lire sur le lecteur.

Le nuit la plus longue

10h42 – ‘Redeployment December 20, 2007’, c’est le titre du message que je reçois à l’instant de l’administration NSF, et qui commence le compte à rebours du départ. Petit pincement au cœur, bercé par Mozart et Gulda. Bof.
11h38 – ‘Room inspection tomorrow’ . Faut que je trouve où est l’aspirateur.
Puis un autre :
11h54 – ‘Launch Attempt #2’ Noooooooon ? Siiiiiiii ! Ouiiiiiiiiii ! Yahouuuuu !!!! Je n’y crois pas. Mais si, le miracle ! il est là, c’est reparti ! Fenêtre de lancement pour demain vers 13h. Trooooooop chouette.
Cette nuit à 4h transport au LDB et on recommence tout. En essayant d’éviter de prendre les deux heures de retard qu’on avait prises avant-hier. Donc on va essayer de simplifier les procédures de validation de fonctionnement, histoire qu’on ne se retrouve pas coincés.

Je retrouve les autres à la cantine. On fait le point. La procédure de départ pour jeudi et le lancement mercredi sont un peu antinomiques. Mark qui est permanent ici sait qu’il y a des accommodements avec ce ciel-là aussi. On passe voir les bonnes personnes après le café, et on a un feu vert pour être un peu hors limites pour l’inspection des turnes, la pesée et l'enregistrement des sacs. Les deux dernières se feront entre minuit et deux heures du matin jeudi lorsque nous rentrerons de Willy Field. Le vol sur Christchurch serait vers 16h jeudi. Transport vers 14h. On aurait donc aussi le temps de dormir avant de partir. Tout le monde prendrait l’avion si ça marche, sauf Terri qui reste pour le ‘recovery’. Elle et Yo qui arrive, s’occuperaient d’emballer les PC et l’instrumentation de réserve pou la réexpédition sur UMD.

Je passe ensuite au Crary Lab et je résous rapidement un problème de carte mémoire bloquée. Puis préparation du sac et ménage de la chambre.
Dîner vers 18h. En rentrant je me rends compte que j’ai oublié de rendre mon équipement de ski de fond. J’arrive 2 minutes trop tard. Je peste car je ne peux plus le faire aux horaires d’ouverture. J’appellerai demain. Poursuite de la préparation ensuite. Vers 20h je suis paré.

Mercredi 19 décembre
Au lit à 21h30. Réveillé à 22h45. Fatigué de ne pas dormir à 0h, puis de lire à 0h30. Sommeil jusqu’à 2h30. Là, piiin-pooon dit mon réveil. Dommage, je dormais bien. Sommet de Observatory Hill à 3h (20’ pour monter, au pas de course). Photos d’Hélios soi-même sur sa promenade circadienne. Douche à 3h30, puis messagerie. Terra Bus à 4h. LDB à 4h30. Temps clair, vent faible, moral inaltérable.
La banquise fond sur la côte est de la péninsule, coté Scott Base. Des petits lacs se sont formés. Le Terra Bus n’a pas trop de ses huit ou dix roues monstrueuses pour traverser cette gadoue. Et on se demande même s’il va y arriver, avec des cahots au ralenti de 50cm d’amplitude.

Aujourd’hui est un grand jour. J’offre à ma grande fille (la cadette) pour son anniversaire (on est le 18 décembre en France) un lancer de ballon en Antarctique. Pas beau ça ?
Coté sérieux, la procédure de lancement est en route. On va simplifier les tests histoire de ne pas se trouver en retard. Ils ont été répétés de multiples fois au cours des trois dernières semaines. Si on doit avoir un pépin il sera impossible d’y remédier, mortel ou pas, quoi qu’on fasse à ce stade, donc nous ferons simple.

6h00 L'instrument est en cours de déplacement. Début des tests dans 1/2h.
6h30 Initialisation des tests de fonctionnement de l'instrument
6h45 Début des tests. Mise sous tension des détecteurs.
7h30 Test du SCD (silicon charge detector) OK
7h40 Test de Chercam (Cherenkov Camera, c'est nous) OK
8h00 Test du TCD (Timing Charge Detector) puis Run muons 3000 événements enregistrés.
8h15 Test de la procédure d'acquisition de données en vol.
8h30 Bon pour le service.
L'équipe Wallops/NSBF teste maintenant le CDM (Command Data Module)

On peut voir le bébé dans son berceau, suspendu au camion lanceur sur http://www.nsbf.nasa.gov/antarctica/ice0708.htm

On file manger quelque chose au galley. J'ai grignoté plein de cacahuétes depuis qu'on est là, je n'ai pas faim, mais très sommeil.
9h30 - Le ciel s'est voilé d'un gros nuage mince. Le vent est faible (< 10 noeuds) et plein sud, ce qui n'est pas favorable pour mettre le ballon sur sa trajectoire qui doit être sud ou sud-sud-ouest pour tourner ensuite autour du pôle dans le sens inverse des aiguilles d'une montre (cf carte dans album McTown). Pas droit à l'erreur, à 4M$ le lancement pour la NASA, sans compter la manip.
On est à H-4h, le vent peut tourner. Et le vent de surface peut être différent du vent d'altitude. Il peut encore arrêter le compte à rebours avant le Go final.
10h maintenant j'ai faim, et toujours sommeil.
Coucou Gaëlle, merci pour le commentaire.
10h20 - Une triplette de scrambled eggs, deux saucisses, une louche de hash brown, et un mug de thé plus loin, ça va fichtrement mieux. J'ai plus faim.
Mais j'ai encore sommeil.

dormeur 1
dormeur 2 hdormeur 3
Petite brèche dans la nuit la plus longue, les jeunes pousses ayant plus besoin de sommeil que les têtes chenues.

Il faut que je regarde les données du test, et que je transfère les fichiers à Grenoble.
Je me suis endormi pendant le transfert, qui s'est planté. Jin-A dort sur la table, à coté de moi. Et Young Soo un peu plus loin. Je vais coller des photos sur l'album.

11h15 - Même ciel, même vent. Patience sur la banquise.
L'équipe Wallops/LDB prépare le ballon et son attelage: 150 m allonger très soigneusement sur la banquise. Le camion porteur est maintenant sur place, les camions de bouteilles de gaz aussi.
11h35 - Examen plus attentif: le voile nuageux s'est allégé. Le vent est faible. Il a tourné à l'est. Bonne dérivée.
11h50 - Le ciel s'est encore allégé. Le vent est complètement tombé. Le petit ballon cerf-volant tire un peu vers l'ouest. Après tout le mal que j'ai dit des météorologistes récemment, je suis bon pour une cure de contrition. Mea-culpons, humblement. Je veux bien faire un chèque aux bonnes oeuvres de father John (curé de McMurdo) si le ballon s'envole.
Joli pétard de nuages sur les trois compères de la ligne bleue de l'Erébus (photo, encore, la 2251ème depuis le 5 novembre (2.3Go). Jobard ? peut-être, faudra trier c'est tout. L'Erébus c'est ma cathédrale de Rouen, peint sur digits à toutes les heures du jour, et donc aussi de la (pseudo)nuit.
Début du gonflage du ballon porteur, (2 camions de gaz (hélium)
12h10 - Le ballon test est pratiquement vertical. Ils en envoient un autre (?). Retenez votre souffle svp, ça le fait bouger.
Il semble qu'on attende maintenant que le vent d'altitude tourne au NE.
12h40 - Silence. On entend les mouches voler.

ballon 2 ballon 3 ballon 4
CREAM sur le pad de lancement.
ballon 2 ballon 3 ballon 4
de gauche à droite: le parachute (camion porteur au loin), début du gonflage et vue d'ensemble du gonflage (2 camions de gaz).
13h30 - Photo soleil. En revenant je vois The Boss le camion porteur avancer doucement vers l'aire de lancement. Pour les tests finaux sur site. Pas de décision encore. Mais le vent est au nord, donc idéal, au sol. On tient le bon bout ?
Je mets des photos en ligne dès que j'ai mangé un bout.
Les camions de gaz partent aussi.
13h45 - Go ! Feu vert final pour le lancement! C'est partiii !!
13h55 - Chicken noodles à coté du laptop. Terri m'attend pour aller sur le pad en snowbile. Young Soo fait les derniers tests. Encore deux heures de mise en place du ballon sur l'aire, et de tests finaux et de raccordements mécaniques, avant le lancer. Je ne vais sans doute pas trop pouvoir donner des nouvelles pendant la phase de lancement. J'espère que la webcam a été orientée.
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De gauche à droite: le ballon gonflé à l'hélium vient d'être largué de son amarrage au sol. Il s'élève rapidement et la nacelle se libère du bras porteur lorsqu'il arrive à la verticale.
Il flottera à environ 40 km d'altitude dans le vortex polaire sur une trajectoire (très) approximativement circulaire autour du pôle, pour environ 3 semaines de prise de données, si tout se passe bien.... Noter le parachute (bande rouge) à environ un tiers de la longueur du système de suspentes, qui sera utilisé pour terminer le vol et ramener l'instrument au sol sans dommage, où il faudra aller le chercher (équipe recovery).
16h55 - Voooooolaaaare oh oh ! cantare .... CREAM vole depuis une petite demi-heure.
Comment dire ? C'était un vrai spectacle, un beau spectacle, un ballet d'une suprême élégance, sans la mort du cygne. C'était beau comme la réussite d'une belle entreprise, sous le soleil et sous le regard indifférent de l'Erébus, qui en a qui d'autres. Le temps de réduire la taille des images (sélection) et je les colle dans l'album en ligne. Disons une demi-heure. Après je raconte.

19h40 - Bon, ça a pris plus de temps que prévu. Mais une sélection de photos est maintenant disponible dans un nouvel album. J'ai aussi pris le temps de manger un peu, et avant, de faire le point soleil de 18h que j'ai failli oublier.

Donc c'était aussi passionnant à vivre qu'on pouvait l'espérer, parce que pas gagné d'avance. L'ambiance de la préparation du lancement sur l'aire était habitée de ce qu'il fallait de fébrilité, de ferveur, d'anxiété, et d'enthousiasme, ce petit mélange qui vous tatoue dans les neurones un souvenir pas facile à gommer ensuite. L'équipe GSFC/NASA est d'un professionnalisme rassurant, typiquement américain. Pas un truc qui cafouille. La séquence de mise en place du parachute, puis du ballon, du gonflage, et du lâcher, enchaînée tambour battant avec une belle rigueur. Seule ombre au tableau pour moi, j'avais choisi pour photographier le lancement un endroit qui me semblait être le meilleur, avec un angle de vue idéal sur les deux extrémités de la chaîne, le massif de l'Erébus en toile de fond, et le soleil en gros transversal. Juste avant le lâcher, les techniciens en motoneige ont fait évacuer les zones non autorisée, et j'ai découvert que j'étais dans l'une d'entre elles (raison totalement mystérieuse: l'aval de la nacelle par rapport au mouvement du ballon). Phil m'a obligé à remonter à mi-chemin du coté du ballon, ce qui a mis la nacelle très près du soleil dans le champ de l'appareil photo. Même avec mon motoneige, il était trop tard pour trouver la meilleure option suivante. J'ai dû faire avec. Voir le résultat sur les photos. Pas terrible.
Mais on ne va pas bouder sa joie pour autant.

On n'est pas encore éteints ici, même si les flammes commencent à vaciller. Il faut commencer à remballer tout le matériel. La séquence à venir ne va pas beaucoup nous laisser le temps de souffler, surtout si on veut faire un peu la fête, ce que tout le monde semble admettre comme un passage obligé...
On voit très bien le ballon dans le ciel à l'heure qu'il est (20h), à 80000 pieds environ (24km). Photo. Il devrait atteindre son altitude de flottaison soit 36 à 40km dans 3h environ. A ce moment-là on mettra les détecteurs sous tension, on fera un test de fonctionnement pour chacun, on passera la main au SOC (Space Operation Center) à l'U.Maryland d'où Laurent vient de repartir et où Antje vient d'arriver, et on ira se coucher, le coeur léger. Et demain il fera encore jour, toujours.

21h – Coup d’œil sur la trajectoire. Il part comme le ballon pilote. A contre courant, un peu. Pas Terrible. Pathfinder 2 fait du surplace depuis une semaine là-haut. S’il n’a pas envie de bouger on s’en fout, pourvu qu’il y reste.
22h10 - Altitude de flottaison. Montée des tensions.
22h30 - Young-Soo et Terri règlent le TCD (Timing Charge Detector) qui détecte le passage de la particule, valide l'événement à enregistrer et fournit le signal de déclenchement de la lecture de la réponse de tout les détecteurs de l’instrument au passage de la particule.
23h30 – J’ai un peu somnolé. Je m’enquiquine. On a un problème avec une alim HT du CD (détecteur Cherenkov à seuil) qui ne répond pas.

Jeudi 20 décembre
Les réglages tournent un peu à la déroute. Sans entrer dans les détails ici, sur les cinq détecteurs autonomes qui constituent l’instrument, deux ont des défaillances liées à la tension d’alimentation des photomultiplicateurs (claquages dans un cas, sans doute), et un ne donne pas le signal de déclenchement qu’on attend de lui. Seuls le calorimètre, cœur du système pour la mesure de l’énergie, et Chercam, notre imageur Cherenkov, fonctionnent bien apparemment. A eux deux ils constituent un système complet et ils peuvent couvrir les objectifs de l’expérience.

On décide d’arrêter à 3h et de passer la main au SOC à Maryland. La navette est commandée pour 4h. On emballera les ordinateurs entre les deux. Ensuite pesage des sacs enregistrement jusqu’à 7h. Et après on devrait pouvoir dormir peu (j’ai en gros dormi trois à quatre heures depuis 48h). Après on fera un peu la fête même si la situation n’est pas si brillante. Et puis on rentrera à la maison. Le vol sur Christchurch est programmé samedi matin à 4h. On va donc devoir se lever à minuit ou plutôt - encore une fois - ne pas se coucher.

Le Delta se fait attendre un peu mais à 4h30 nous sommes au village. Mon cothurne est arrivé et il dort. Finalement je ne verrai pas son visage. Heureusement que j’ai pratiquement terminé la préparation de mes deux sacs. Les réarrangements indispensables de dernière minute sont un peu laborieux. J’essaie d’être le plus discret possible. Il faut transporter la totalité de l’équipement pour la pesée des deux sacs autorisés et du passager avec son bagage cabine. Même si le bâtiment 140 n’est pas très loin, porter environ 35 kg sur deux cents mètres à 5h du matin, après 48h de présence au LDB et un lancer de ballon, n’est pas une partie de plaisir. Donc je mouille la chemise, encore un peu. Le pesage me déclare bon pour cette course. Je peux aller dormir tranquille. Il est 5h30.

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Epilogue

Jeudi 20 décembre (suite)
Sommeil récupérateur jusqu’à 10h30. Petite demi-heure de grâce matinée à me rejouer dans les draps les heures récentes et à méditer celles à venir. Je suis content. J’en reparlerai.
Douche tonique. Je passe rendre mon équipement de ski. Déjeuner vers midi. En sortant du galley je rencontre Mark tout triste qu’on ne l’ait pas contacté pour le barbecue qu’il avait proposé de faire. Je lui explique les problèmes qu’on a eu. En fait Jin-A et Eun-Suk ont préparé vers 1h du matin du riz et du bœuf à la coréenne. C’était bon. Passage au Crary Lab pour rendre la radio qui était restée au fond de mon sac. Phil m’a demandé de la laisser dans le bureau qui avait été mis à notre disposition. Pas de nouvelle de mes collègues de Grenoble, ni du SOC en général. Puis sieste, d’une bonne heure, réussie à la deuxième tentative. Vers 17h je passe au bureau de poste coller les tampons de McMurdo sur mon passeport. Souvenir.

Dîner vers 17h30. Je retrouve les filles et Mark qui ont presque terminé leur repas. La bouteille de vin que j’avais apportée est donc restée au fond du sac. Ils sont venus tôt car Jin-A doit aller terminer ses céramiques à l’atelier. Young-Soo et Opher arrivent ensuite. On se met d’accord pour se retrouver d’abord pour une photo extérieure, puis au ping-pong. Je passe préparer mes affaires avant. Vers 20h je laisse les bouteilles (scotch, mousseux, vin rouge, bière) au lounge du ping-pong et je file au rendez-vous photo après avoir accroché des petits cadeaux de Noël aux poignées des portes de Young-Soo (calendrier Antarctique), Eun-Suk (bonnet avec déco pirate), et Jin-A (pingouin peluche). Photo sur l’album épilogue. Nous allons ensuite au ping-pong pour découvrir que la bouteille de scotch (à moitié pleine), et la bouteille de mousseux, ont disparu. Merci les pillards. Si on vous dit qu'il n'y a pas de rats à McMurdo, ne le croyez pas.
J’essaie de faire contre cette mauvaise fortune bon cœur, mais l’incident a un peu cassé la dynamique de la soirée. En prime, le temps a complètement tourné et il a commencé à neiger et on a commencé a craindre une annulation du vol. On a quand même pas mal joué tout en surveillant d’un œil inquiet le canal 7 des vols programmés à la télé sur McMurdo channel. John qui est venu, a donné une éblouissante leçon de ping-pong sur le mode burlesque à Opher toujours aussi raide et emprunté, qui a fini par gagner une partie où John avait été particulièrement acrobatique et n’avait pas pu remonter le handicap accumulé des points perdus dans ses clowneries. J’ai battu Opher ensuite à mon tour en fin de soirée quand on ne jouait plus que pour tuer le temps qui nous séparait du départ. On est allés finalement faire une partie de billard ensuite, morne, alors que les filles s’étaient éclipsées avec Mark.

Vendredi 21 décembre
Et puis tout le monde s’est retrouvé à minuit à l’enregistrement où j’ai dû confier mon couteau suisse à la préposée pour qu’il voyage dans une enveloppe.
Le Terra Bus bondé (avec un Delta derrière) part à minuit et demi. Il met anormalement longtemps pour atteindre l’aérodrome que je pensais être Willy Field, mais dont je finis par découvrir en arrivant qu’il est beaucoup plus au sud sur la banquise du coté de Black Island. Spécial C17 probablement car je n’ai effectivement jamais vu de C17 à Willy Field, que des C130 à turbopropulseurs et plus petits, donc plus légers et moins susceptibles de casser la glace.

ballon 2 ballon 3 ballon 4 ballon 5
En attendant le vol retour sur Chrischurch: Eun-Suk, Young-Soo, Opher, et Jin-A.
ballon 2 ballon 3 ballon 4 ballon 5
En attendant on fait les fous, l'avion arrive enfin (C17), Photo avec Yoann (à gauche) qui vient de débarquer pour le recovery, et orage de neige avant l'embarquement.
Nous arrivons vers 1h15. La visibilité est effectivement correcte, mais le plafond est bas. Là commence une longue attente.
L’atterrissage de l’avion est prévu à 2h23, et le décollage vers 4h après que le plein de la soute ait été fait.
Longue attente donc, que certains ont passée à l’intérieur du terminal comme Opher (un préfab chauffé), ou dans le Terra Bus, ou dehors, comme nous (la Korean Connection et moi) dans un temps qui ne s’améliore pas, un vent de 10-15 nœuds soufflant en permanence. Bavardages, quelques pas dans la neige, séances photos autour des points intéressants. Jin-A adore se mettre en scène et les résultats sont souvent assez drôles. A l’heure dite, le C17, émerge sous les nuages, masse sombre imposante, vaguement inquiétante, comme la tête dans les épaules, phares d’atterrissage allumés. Il fait un passage de reconnaissance le long de la piste et va virer loin pour revenir se poser.

dernier café
Le dortoir du retour.
Les passagers en sortent rapidement et parmi eux Yoann, que nous retrouvons avec plaisir.
Le temps des congratulations d'usages version express et il doit grimper dans le Terra-bus qui s’en va rapidement. Je repense à notre arrivée dans cette lumière extraordinaire et je me dis que Yo n’aura pas le même souvenir. Ainsi est l’Antarctique. Le temps commence à se dégrader progressivement. Il neige et le vent se renforce, et la visibilité plonge. Le déchargement du cargo commence. Nous embarquerons lorsqu’il sera terminé.

Nous apprenons bientôt que le Terra-Bus est planté dans la gadoue au pied de la côte près de Scott Base, là où je craignais fort qu’il ne se planta l’autre jour. Des tracteurs sont partis le décoincer, mais ça va prendre un moment. Pauvre Yo, une é’ilpreuve supplémentaire au bout de ce long voyage.
Le temps devient vraiment mauvais, on se fait quelques photos supplémentaires pour llustrer (voir album). L’avion à cent cinquante mètres est une ombre dans la tourmente de neige. Nous nous sommes mis à l’abri de l’énorme lame frontale d’un chasse-neige, d’un mètre quatre vingt de haut, qui constitue un paravent efficace. Là, chacun médite en attendant la suite.
Finalement nous embarquons, rapidement, alors que la tourmente s’est un peu calmée. Une petite demi-heure après, nous décollons.
Vol sans histoire. Comme je meurs de faim je consomme ma boîte pique-nique, caricature de nourriture. Puis tout le monde s’endort rapidement. Sommeil hautement inconfortable. Les bords relevés des assises des sièges scient douloureusement les cuisses et on est obligé de changer de position souvent. Méchant coltard au réveil. La fin du vol est proche. Procédure de contrôle habituelle à l’arrivée chez les kiwis, mais les fonctionnaires de l’immigration sont débonnaires, et les choses vont assez vite. On passe à l’agence de voyage de l’USAP où les gens d’UMD finalisent leurs parcours de retour, puis nous nous posons pour un bref lunch à la cafétéria de l’Antarctic Center où nous avions mangé le jour du départ sur la glace. Bouclage symbolique de la boucle immense des événements autant que de la géographie.

dernier café
Un dernier café, sur le plancher des vaches.

Puis vient l’heure de la séparation. Les UMD – Eun-Suk, Opher et Young-Soo – partent vers l’embarquement, tandis que Jin-A et moi allons nous poser à Christchurch pour un départ dimanche. La bise à Eun-Suk, French way, je lui en fais péter trois à la provençale, elle adore ça maintenant. Elle était ravie. On serre la pogne aux gars, et ils s’en vont.
En attendant la navette-taxi, j’achète encore une adorable peluche de mouton pour Elisa, et un mug manchots. Puis j’ouvre le petit cadeau que m’a fait Jin-A et qu’elle m’a remis hier soir à l’enregistrement, un tout petit manchot en céramique fait par elle à McMurdo. Délicieux. Le conducteur de la navette est le même maori sympa qu’au départ, et qui me reconnaît. Nous bavardons sur ce que nous avons fait sur la glace. Il me donne ses coordonnées pour que je lui transmette les liens internet des sites où il pourra voir des photos du lancement du ballon.

Le luxe sans tapage de l’hôtel Ibis de Christchurch m’apparaît quasi miraculeux. D’abord la douche, vite, puis déballage des bagages enfournés en vrac dans la salle d’habillage. J’en ai partout. J’abandonne pour une sieste, courte, mais habitée d’un rêve délicieux, que je m’efforce de prolonger en faisant durer un réveil euphorique, avant de revenir à la réalité, assumée sans regret, heureux d’avoir savouré les miroitements de cette bulle onirique.
Le soir restau avec Jin-A. Il fait beau, à peine fraîs, environ 18-20°. On se fait un plateau de fruit de mer arrosé d’un joli Sauvignon NZ, dans un restau brasserie d’évidence très populaire, dans le quartier de l’Art Center, et dont le bar est plein à craquer. Superbe. Puis grande ballade digestive dans le jardin botanique tout proche, où nous assistons au nourrissage d’une toute jeune grive musicienne. Retour vers 22h à l’hôtel après un café à la terrasse d’un bistro près de l’Avon.

Christchurch et NZ

Samedi 22 décembre
Milieu de nuit insomnieux. Bof. Messagerie, phone home, lecture. Réveil tueur à 7h. Je trouve une location de voiture après avoir essayé plusieurs loueurs. A 9h je prends Jin-A à son hôtel et nous filons sur Akaroa. Passage dans le "birdlands sanctuary", simple zone naturelle aménagée, joli coin de nature. Là nous rencontrons un tahitien en vacances sur le site. Echanges de propos conviviaux. Tour sur le sentier d’observation, sous-bois et prairie, superbe. Le sous-bois est clairsemé de digitales somptueuses. Observation d’un énorme pigeon de Nouvelle-Zélande. Puis route vers la baie. Premier arrêt au lac Ellsemere où je découvre que les talus sont couverts de pieds de bourrache, que je fais découvrir à Jin-A. J’évoque la bourrache dans le clos du Boutillon à Ars. Le lac est couvert de centaines de cygnes noirs, avec plein de portées de jeunes.

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Dernières vues de l baie d'Akaroa et de ses environs.

Les harriers (busards) sont toujours aussi nombreux dans le secteur. Arrêt au café où nous nous étions arrêtés avec Opher, posé au débouché du col d’où l’on découvre le magnifique panorama sur la baie d’Akaroa. Puis route qui contourne la baie par les crêtes. C’est toujours aussi beau. Encore des photos. Nous ne redescendons que pour un rapide déjeuner au By Jove, où je me contente cette fois d’une seafood chowder et d’un bière. Puis retour sur les crêtes pour une après-midi de montagnes russes à d'exploration des jolies baies qui sont coté océan de la péninsule d’Akaroa. Nous y passons de très bons moments. Jin-A adore être photographiée. Elle est d’un naturel assez extraordinaire. Nous entrecoupons la séquence d’une petite sieste dans la voiture à l’abri du vent qui peigne la crête. Retour à Christchurch vers 21h. Dîner dans un restau Thaï. Assez bon.
Je prépare valise et sacs, et je fais une partie de messagerie avant d’éteindre, éteint, à 22h30.

Dimanche 23 décembre
Même nuit qu’hier, après 1h30. Vivement les vacances. Finalement je découvre, en faisant à nouveau l’expérience, que la lecture est la meilleure manière de retrouver le sommeil. Mais je m’y suis pris un peu tard. Donc c’est à 4h que je me rendors. Réveil à 6h en pleine phase de sommeil profond, vraie torture - pour le jogging de 6h30 avec Jin-A. Je me rendors plusieurs fois et il me faut de longues minutes pour m’extraire finalement, bien délabré, de ce sommeil bienfaisant, et être à l’heure au rendez-vous. Jin-A n’est toujours pas apparue à 6h50. Je file en solo autour du parc Hagley comme la dernière fois. J’écourte un peu le parcours à cause de ma petite forme et des préparatifs du départ. Retour vers 7h30.
Douche, puis longue partie de bouclage des bagages. Finalement j’enregistrerai la valise plus un sac à dos bourré de fringues et godasses pour faire de la place à tout ce que j’ai acheté pour les petits enfants, les enfants, et Magali, et je voyagerai avec le sac de matériel photo et le petit sac à une bretelle pour le laptop et le reste.
Connexion messagerie (payante) à 8h30: Message de Jin-A qui est désolée. Panne d’oreiller. Grrrr. Elle propose qu’on se retrouve au musée d’art à 11h. Nous verrons. Réponses aux messages de Terri, Laurent, Antje, etc… LHCb au CERN me menace de poursuites pour une histoire d’erreur d’imputation d’une transaction interne qui n’est toujours pas réglée. Je ne suis pour rien dans ce retard, j’ai transmis aux services financiers de l'IN2P3 en temps opportuns. J’appelle Magali par Skype. Elle est chez ELise, notre petite bientôt-maman, à qui je parle un peu, qui va bien, mais qui est fatiguée. Le trousseau est prêt. Encore deux semaines.

9h30 - Petit déjeuner rapide mais conséquent. Nouveau message de Jin-A qui est venue jusqu’à l’hôtel quand j’étais au petit-déjeuner, et qui a l’air vraiment désolée. Elle doit aller à 11h30 récupérer son appareil photo oublié dans sa parka au CDC (Clothing Center). Je rappelle le n° de son hôtel, qu’elle a mis dans le message, mais qui se révèle être en fait celui de la compagnie de taxi-navettes. Je la rappelle finalement à son hôtel et on convient que j’arriverai plus tôt à l’aéroport – elle part à 17h moi à 18h30 - pour qu’on se dise au revoir.

Je quitte l’hôtel à 11h, la limite tolérée, et je laisse mes bagages jusqu’à l’heure du transport à l'aéroport. Ce dimanche est un jour d’été. Grand beau temps et brise légère. Passage à la librairie près de l’hôtel. Je cherche le nom d’espèces vues hier dans la journée (silvereye, variable oyster catcher, black phase), et je vérifie que les moineaux, chardonnerets, accenteurs mouchets, pinsons des arbres, grives musiciennes, etc…, sont bien des espèces introduites, d’origine paléarctique (disons européenne). Il y aussi des espèces américaines introduites. Puis grand tour nonchalant dans le jardin botanique, que j’aurai donc beaucoup visité et toujours avec le même plaisir, précédé d’une incursion dans le parc Hagley, dont il n’est séparé que par l’Avon. Photos un peu partout. Il y a des arbres magnifiques, d’espèces natives et importées. Bravo les kiwis. Petit arrêt au café du parc pour un long black. Somptueux hortensias et autres hydrangéas, très beaux massifs de fleurs diverses.

J’en sors vers 13h, et j'observe en marchant que les rues sont bourrées de massifs d’agapanthes encore en boutons, en fleurs pour certains, précoces ou mieux exposés. Bière en passant, chez Dux-Lux où nous avons mangé l’autre soir. Ils brassent eux-mêmes leurs bières. Bonne bitter ale. Et retour à l’hôtel pour le taxi. C’est toujours le même chauffeur (Stuart Mauri) qui me transporte à l’aéroport. Congratulations sincères je crois.

A l’aéroport, je retrouve Jin-A. On passe un moment ensemble en bavardant devant un verre, et snif, on se fait la bise et chacun s’en va vers son comptoir d’enregistrement et vers son bout de la planète.

16h30 - Je suis dans la salle d’embarquement, après avoir passé les contrôles et acquitté la taxe de départ de 25$NZ. Je suis lessivé par le manque de sommeil. On va rattraper ça pendant le vol. J’ai le temps de gratter un peu le clavier avant l’embarquement.

Et voilà, c’est la fin de l’histoire, six semaines……, quelques phoques et pingouins, un Erébus et quelques Terra Bus, deux room mates, un long régime cantine, quelques verres de scotch et canettes de bière, et soirées sympathiques, et joyeuses parties de ping-pong, des ballades à ski de fond, un doigt d’escalade, beaucoup, beaucoup, d’azur, et de lumière féerique, et les extases qui vont avec, et le lancement beau comme le jour d’un ballon stratosphérique, bref, une grosse tranche de vie, bien saignante, et 2300 photos engouffrées dans 2.5 gigaoctets de digits numériques, …….plus loin, Je suis à nouveau dans un hall d’aéroport public en partance pour ma destination préférée, mon coin de planète, d’où j’aime partir, et où j’adore revenir.

Merci encore à l’Erébus que je quitte à grands regrets, pour l’extraordinaire expérience de lumière que j’ai vécue à son pied. C’était la récré comme on la rêve. Je vais retrouver ma meilleure copine, mes mouflets, mes loupiots, mon verger, mes potagers, mes tas de compost (les épigés festoyaient quand je les ai quittés), nos maisons qui me rendent la vie impossible, mes boîtes à outils, mon bureau au labo exposé plein-est où il fait si bon les matins d’hiver ensoleillés, mes plantes vertes et fleuries bichonnées par Sabine en mon absence, le boulot aussi - que je vais bientôt quitter, les copains du café du matin, et tout quoi, la vie ordinaire, si belle. Et le reste aussi, la vie publique, les hontes grandes et petites que nous infligent nos personnages publics. Ça m’étonnerait que le Père Noël qui m’a déjà bien gâté, m’apporte aussi un nouveau président ou seulement qu’il envoie au diable, je veux dire en enfer, son ministre gestapiste de la chasse à l’enfant pour qu’on en finisse avec cette ignominie de la traque et de l’infâme déportation des familles de migrants sans papiers qui ont le culot de venir chez nous en espérant trouver un coin de planète où vivre en paix. C’est à mourir de honte au pays qui fût une terre d'asile et de liberté. Bref c’est comme si j’y étais déjà. Allons-y pas gaiement, donc.

Merci aussi à l’USAP pour sa très remarquable organisation qui gère un flux constant de missionnaires dans les deux sens, sans heurt, sans blocage, dans une constante continuité, ce qui constitue un exploit impressionnant dans les conditions climatiques extrêmes de l’Antarctique, et en faisant face à des situations aussi hautement variables avec une réactivité exemplaire. Je suis sans indulgence aucune vis-à-vis de bien des aspects de la société américaine, mais je dois lui reconnaître une efficacité impressionnante dans les entreprises de cette nature.

J’ai passé au cours de ce séjour quelques vrais bons moments de convivialité, et j’ai le sentiment d’avoir contribué à harmoniser l’équilibre de la petite équipe. J’ai pu extraire Eun-Suk du village pour une ballade à pieds, ce qu’elle n’avait jamais fait alors que c’est sa 3ème campagne ici. Anodin évidemment, mais très significatif dans ce contexte. Je l’ai traitée, délibérément, comme une personne normale, comme la femme qu’elle est forcément. Je l’ai un peu chahutée, ce qu’elle a fini par accepter après quelque petite raideur initiale. Je l’ai fait danser et rire aux éclats, ce qui aurait été considéré comme une idée totalement farfelue il y a seulement un mois. Elle a accepté de se départir de ses oripeaux de responsable scientifique et de quitter l’ombre de la soutane de son curé, et elle s’est mise à rire, et je crois qu’elle a découvert le vrai plaisir d’être bien ensemble, et qu’elle m’en sait gré. Initiation à l’hédonisme pratique. Elle a apprécié les bains de bonne humeur et elle a contribué à remplir la baignoire. Elle est devenue un peu une copine. De mon coté, j’ai retrouvé mon âme d’adolescent, laquelle n’est jamais très loin en toutes circonstances. J’appréhende de devoir renoncer maintenant à ce petit retour de jeunesse. J’ai l’âge où on commence à faire certaines choses pour la dernière fois. Cette ambiance de colonie de vacances pourrait bien être un exemple de cette inévitable fatalité. Mais loin de moi l'idée de me soustraire à cette étape de la vie.

Lundi 24 décembre
C’est un vol de nuit, un peu interminable à la fin, depuis Sydney. J’ai dormi presque une nuit normale, enfin. Merci zolpidem. Somnolence sur fond de morosité.
Arrivée à Dubaï à l’heure, plutôt un peu en avance, quatorze heures après le départ de Sydney. Brin de toilette. Passage au duty free, bien riche en whiskies, dont pas mal que je ne connais pas. Je prends une bouteille de Laphroaig, valeure très sure, une de Macallan que je vais découvrir, et une de cognac 1er cru de Rémy Martin.
Vol sur Paris à l’heure. J’ai faim. Petit déjeuner léger après le décollage. Trop léger à mon goût. Il va falloir se cramponner pour attendre l’heure du déjeuner.
L’avion a pris une trajectoire inattendue mais très bienvenue. Il traverse le détroit d’Oman plein nord au-dessus de l’Iran. Spectacle fantastique de paysages de montagnes que je photographie abondamment (au Canon). Puis l’avion s’oriente nord-ouest et c’est un défilé de paysages tous plus beaux les uns que les autres. Un régal total dont je me gave sans retenue. Je crève de sommeil et je m'endors souvent le nez collé au hublot.

9h (CHC), soit 10-11h locale. Nous sommes en dessus de la mer Noire. L’heure du déjeuner approche. On nous propose un apéritif et je me fais un scotch matinal (Famous Grouse) pour commencer à me recaler sur l’heure européenne (vil prétexte). Nourriture raisonnable. Chardonnay australien.

Longue traversée de la mer Noire, un peu en diagonale, puis des Carpathes où pas loin. Fin de vol somnolente et nuageuse. Arrivée à Paris à l’heure prévue. Débarquement presque normal, exceptionnel pour Roissy. Bagages récupérés. Douaniers distraits. Je file retirer mon billet de train à une borne de la gare TGV. C’était trop beau. Des mouflets grincheux ont dû vouloir fêter Noël à leur manière. Retards de tous les TGV à cause d’un acte de malveillance sur les voies. Retard d’une heure pour le nôtre, et je raterai donc la correspondance à Lyon. Retard au départ, retard à l’arrivée. On ne peut quand même pas parler de tous les trains qui n’arrivent pas à l’heure. Mais le bouquet c’est qu’à Lyon on annonce que le train suivant pour Grenoble a une difficulté technique et que nul ne sait quand il partira, s’il part jamais. Je suis planté comme un légume sur le quai glacial. J’ai froid, je suis mort de fatigue, je ne peux pas envisager de me recharger de mes trois sacs et de ma valise et de mes achats hors taxes et redescendre dans la gare pour me renseigner. Somnambule, misérable, vidé de toute énergie, j’attends, appuyé contre un pilier métallique, qu’il se passe quelque chose. Je n’ai même pas la force de maudire la SNCF.
La providence des voyageurs a finalement pitié de ma détresse et m’annonce un train à 17h45, et qui s’arrête à Voiron. Un peu plus d’une heure plus tard, soit trente six heures après avoir décollé de Christchurch, je descends sur le quai où Magali m’attend. Ce soir c’est Noël.

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Ce soir c'est Noël...

Le 26 décembre le ballon à fait un joli demi-tour au-dessus du continent Antarctique. On peut voir le tracé de sa trajectoire sur le lien http://www.nsbf.nasa.gov/map/cream.htm (supprimé aujourd'hui, cf Carte antarctique USGS-256é) Le bel oiseau blanc aux ailes noires, navigateur solitaire, si près du ciel, dans la paix céleste et glacée de la stratosphère, va chaluter le rayonnement cosmique nucléaire au moyen du savant filet que nous avons tricoté pour lui.